Trisha Baga : World Peace
Dans son texte d’introduction de dOCUMENTA (13), Carolyn Christov-Bakargiev analyse l’impact d’internet sur la production et la circulation des connaissances dans notre société actuelle. Elle s’interroge sur la manière dont le numérique affecte le politique, l’économique et le social. Au cours des quinze dernières années, ajoute-t-elle, les ordinateurs portables, iPads, iPhones, BlackBerrys ont modifié les rapports humains et notre relation à l’image et à l’information. Les smartphones ont contribué à relier les personnes de façon inédite, construisant des réseaux sur le modèle des structures moléculaires à l’intérieur desquelles les individus sont de plus en plus connectés et cependant de plus en plus isolés. Dans ce monde digitalisé et dématérialisé que reste-t-il de réel ? Pour World Piece, sa première exposition personnelle dans une institution européenne, Trisha Baga, née en 1985 à Venice (Floride) croise simultanément ou en différé plusieurs temps et plusieurs espaces : elle ouvre une série de fenêtres virtuelles dans l’architecture de la Kunstverein de Munich, mêlant différentes sources d’images superposées à des objets. Prenant à parti l’espace du centre d’art, le plus grand qu’elle ait investi à ce jour, la jeune artiste américaine présente plusieurs installations dans la continuité de ses récents projets, de Plymouth Rock (2012) à Hard Rock (2012). À l’aide de quelques vidéoprojecteurs, d’objets personnels collectés dans son atelier et sur le lieu de l’exposition, Trisha Baga conçoit des dispositifs intuitifs et bricolés, pop et sonores. Débarrassée de toute tentative de narration, elle propose une expérience déconstruite et décousue d’immersion dans son univers virtuel.
Dès son arrivée dans l’exposition, le spectateur plonge dans Rain, une projection de chute d’eau, en noir et blanc, accompagnée de plusieurs bouteilles d’eau posées au seuil de l’escalier et dont les ombres projetées semblent dessiner une chorégraphie sur le mur. Plus loin, pour l’installation centrale Burning Up (2012), une foule d’objets négligemment posés au sol s’inscrit dans le champ du vidéoprojecteur lui-même tout juste sorti de sa boîte en carton. Les dispositifs de Trisha Baga jouent sur une construction chaotique et apparemment improvisée, cherchant délibérément à créer cet état de confusion entre l’achevé et l’inachevé. Sommes-nous en train d’assister au montage de l’exposition ? Avons-nous interrompu quelque chose ? Projetées dans un angle, du sol au plafond, les images de Burning up sont issues de différentes sources : youtube, séries américaines, clips, publicités, documentaires animaliers, archives familiales. Par le biais d’un logiciel type Photoshop ou Sketch, graphisme et texte sont insérés en direct sur ce collage d’images, donnant au spectateur le sentiment de voir se construire la vidéo sous ses yeux. Les images sont projetées sur le mur mais également sur des cartons, peintures, baskets, boule disco, micro-sculptures et installations formant un paysage et projetant leurs ombres sur la vidéo, figurant ici une tour, là un personnage. L’espace d’exposition devient littéralement l’extension du bureau de l’ordinateur ouvert sur différents programmes, le mur, une surface de jeu augmentée dans laquelle la lucarne Skype peut apparaître à tout moment. Quand elle ne performe pas elle-même, Trisha Baga observe comment les objets, par définition inactifs, performent pour elle. Comment donner du mouvement à ce qui est statique ?
La position du spectateur est également au centre des préoccupations de la jeune artiste pour qui l’insertion des conditions de vision du public est primordiale. L’expérience et le comportement du visiteur sont considérés comme un matériau dans son travail et relancent la question de l’art participatif face au développement du web 2.0 et des réseaux sociaux qui semble coller à cette génération d’artistes nés au milieu des années quatre-vingt. Poursuivant son exploration de la consommation culturelle de masse, Trisha Baga fait de Madonna la guest star de World Peace, dont elle s’est d’ailleurs inspirée pour le titre. Avec Body of evidence, la jeune américaine démontre par un dispositif très élémentaire la position centrale de Madonna dans tous ses clips : en plaçant une bouteille d’eau dans le champ du projecteur diffusant une compilation de ses tubes, l’icône pop disparaît à l’ombre de la bouteille aux proportions idéales. Si, pour Madonna, « Music mixes the bourgeoisie and the rebel », avec Trisha Baga, l’art sample et compile images artificielles et fenêtres sur la vie réelle.
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- Du même auteur : Mandla Reuter, Protocole d'erreur, Melvin Moti au Palais de Tokyo,
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