Bruno Peinado
Mutatis Mutandis
par Aude Launay
Le monde n’attend pas. Alors Bruno Peinado se permet ce que peu d’artistes ont déjà tenté, et encore moins réussi, la reprise d’une exposition. C’est-à-dire évidemment non pas la simple translation géographique ou temporelle de son display, mais plutôt une sorte d’auto-remix de son exposition, déjà nommée Suicidal Tendancies, présentée chez Mitterrand+Sanz, sa galerie zurichoise, il y a tout juste un an. Même image sur le flyer, même titre, et une déclinaison des pièces dans des formats ou des couleurs très légèrement différents, Peinado suit sa logique personnelle d’épuisement des formes, poursuivant par-là la réflexion qu’il développe depuis ses débuts sur le copyright et la reproduction.
Ainsi, le sol-painting qui soclait auparavant l’exposition a glissé vers les murs, lambrissant la grande salle de ses rayures jaunes et noires aux allures de signalétique de chantier, pour mieux dissimuler son hommage à Le Witt et Mosset sous l’extravagante référence à l’Hacienda, le temple situ qui vit naître la house et mourir le punk. Mais comme chacun sait, Punk is not dead!, et même si ses fantômes sont maintenant plus nourris au Burger King qu’au Fish’n chips, et portent des baggys bien loin du slim écossais d’origine, le son destroy perdure, mutatis mutandis. Entre Californication et Endless Summer, les pièces égrènent leurs références aux seventies west coast, suivant l’évolution du shape des planches du surf comme une histoire parallèle, celle du fun et du fluo, du sourire perpétuel d’une génération sous acide. Les rêves brisés comme les plaques de verre feuilleté laqué flashy éclatant sous l’effet du choc culturel provoqué par le passage aux eighties, la désillusion post-hippie, la maladie galopante, s’inscrivent sur les murs à la manière de constats amers mais chics, aussi tristes et sexy que le crash de James Dean. À côté, des blocs tombés d’un Tetris géant et coloré se sont fracassés au sol du monde des adultes, égratignant leur carrosserie glossy et court-circuitant l’allumage du smiley de néon, qui désormais clignote, comme essoufflé.
Bien sûr, le gimmick de la créolisation et de la violence inhérente à ce processus sous-tend l’exposition, comme à l’habitude, mais l’humour peinaldien se fait plus grinçant que frontal; outre la table basse de wengé aux contours martiniquais dans laquelle sont fichés coutelas et poignards de bois, une banane de 3 mètres se tient fermement sur ses deux pieds toonesques, brandissant le dessin d’une pomme comme jadis le Black Bibendum levait le poing. La banane et sa prodution déraisonnée, première cause de mortalité en Martinique, manifeste ici pour les pommes, mais bien plus sûrement pour des prunes. L’appel au secours des Antilles n’apparaissant guère plus intense qu’un bourdonnement de moustique aux oreilles des métropolitains. Derrière elle, une affiche imprimée à l’encre fluorescente qui auhentifie nos chers euros de papier nous montre une fois encore, sur le principe de la double image, que la première vue est souvent trompeuse. Alors advienne que pourrave.
Bruno Peinado, Suicidal tendencies, du 2 octobre au 8 novembre, à la galerie Edouard Manet, EMBA de Gennevilliers.
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- Du même auteur : Entretien avec Gaël Peltier, "Passages" ou la chrono-nécrologie d'un centre d'art, Didier Fiuza Faustino & Philippe Rahm, Tokyo Academy 2,
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