Antoine Dorotte, magmas & plasmas
Frac Aquitaine, Bordeaux, du 23 mai au 21 septembre 2014.
Pour ceux qui ne l’auraient pas remarqué, le titre de l’exposition est un clin d’œil au groupe mythique des années soixante The Mamas & The Papas qui nous a donné cet hommage à la « West Coast », California dreaming, tube mémorable à la sonorité proche de celle des Beach Boys dont ils partagèrent, en ces swinging sixties, a vision idyllique d’une Californie peuplée de surfeurs et de surfeuses encore épargnés par la déferlante à venir du culte du corps, bien que les paroles de la chanson laissent sourdre un sentiment pour le moins mitigé, annonciateur des grands désenchantements à venir [1].
C’est notamment sous l’aspect de l’une de ces surfeuses californiennes qu’apparaît l’héroïne récurrente d’Antoine Dorotte, Miranda PaintOmovie, à qui il fait accomplir un tour complet de la vague dans une courte animation, Move it piano. Spectaculaire figure de ce sport aux origines hawaïennes et au succès planétaire, la pirouette permet au pratiquant de se repositionner au même endroit, en montrant au passage une maîtrise des éléments censée renvoyer, dans l’esprit originel du surf, à une intense communion avec l’élément naturel. Cette figure majeure de la glisse rejoint ici une autre figure de style, la boucle, qui symbolise l’art vidéo, en lui permettant de se détacher du médium filmique et de sa linéarité scénaristique mais elle permet aussi à l’artiste de se rapprocher du jeu vidéo et du replay perpétuel des scénettes qui en constitue la trame, jusqu’à l’acmé final qui libère le joueur de sa compulsivité. Avec Miranda et ses adversaires de combat, on retrouve les étranges physionomies des personnages de jeu vidéo qui semblent tous des hybrides de monstres antédiluviens et de guerriers du futur en ce qui concerne les personnages masculins, de bombasses aux attributs sexuels hypertrophiés en ce qui concerne les héroïnes. La Miranda de Dorotte participe de ces stéréotypes féminins avec ses faux air de Lara Croft, l’inoxydable guerrière de Tomb Raider; les deux archétypes se retrouvent dans une autre vidéo, Fiji, où Miranda affronte un énorme ours blanc — symbole de l’animalité brutale — en lui décochant des coups dignes d’un maître des arts martiaux, autre caractéristique habituelle de l’héroïne numérique à l’androgynie assumée. Miranda PaintOmovie, dont le nom intrigant provient de l’anagramme d’un personnage de film de Feuillade incarné par l’actrice Musidora, passe d’une vidéo à l’autre et nous renvoie à l’héritage du film fantastique dont le réalisateur fut l’un des précurseurs ; par ailleurs le noir et blanc que privilégie systématiquement l’artiste dans ses vidéos nous ramène à une époque où triomphait le cinéma d’auteur. Difficile à première vue de faire le lien entre les multiples facettes de l’art d’Antoine Dorotte, entre des installations massives, nécessitant une lourde intervention sur le métal et pouvant donner naissance à des pièces monumentales comme ce fut le cas au Palais de Tokyo, et des vidéos au format ultra court.
Dans un cas comme dans l’autre cependant, il s’agit de « circuits longs » de production : en ce qui concerne les animations, une technique plus orthodoxe que la gravure d’innombrables plaques aurait épargné un alourdissement considérable du processus qui le rend presque aberrant au regard du produit fini qui n’est autre qu’une « simple » animation. Mais cette technique de l’aquatinte est celle qui unifie sa pratique, qui relie ses animations à la grande installation spécialement conçue pour le Frac Aquitaine, et dont la forme et le volume mais aussi le discours ésotérique sur la symbolique des éléments gravés fait inévitablement penser à une version SF de Stonehenge. Pour la présentation de sa vidéo séminale, Sur un coup d’surin, inspirée du film West Side Story dont il a repris la scène du duel, Antoine Dorotte a réuni les 256 plaques nécessaires à la fabrication de l’animation pour former une énorme paroi qui compose un véritable tableau avec autant de variations sur le motif ; pour l’enceinte de zinc sur laquelle sont tatoués les pseudo symboles d’une société secrète imaginaire, ce sont les états de la matière qui semblent avoir les faveurs de Dorotte, les altérations produites par l’aquatinte dont il maîtrise la subtile alchimie, ses saisissants effets de moirage et d’irisation, au-delà des commentaires sur un processus de fabrication fastidieux et des considérations sur le médium qu’il ne manque pas de susciter.
- ↑ All the leaves are brown and the sky is grey I’ve been for a walk on a winters day If I didn’t tell her I could leave today California dreaming on such a winters day
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- Du même auteur : 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac, Anozero' 24, Biennale de Coimbra,
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