Explore, collection du Frac Île-de-France

par Ingrid Luquet-Gad

Château de Rentilly, Marne-et-Gondoire, du 22.11.14 au 19.04.15

Si l’œuvre a lieu, comme nous le rappelait la jolie formule de Jean-Marc Poinsot[1], qu’en est-il de la collection ? Ce printemps aura fourni l’occasion de faire l’expérience d’une collection, celle du Frac Île-de-France, en dehors de son lieu d’exposition usuel, le Plateau à Belleville, longue enfilade de salles blanches et étroites, relativement intimistes, où, souvent, des rideaux viennent ménager une discrète théâtralité. Au MAMCO, tout d’abord, avec l’exposition After Dark, où l’espace se dilate et s’élargit tout en plongeant son visiteur dans le noir mais aussi au château de Rentilly, le nouveau lieu d’exposition du Frac Île-de-France, inauguré en novembre dernier, réhabilité en vue de doter le Frac d’un second lieu d’exposition permanent.

Le projet architectural, porté par les architectes Bona & Lemercier, l’artiste Xavier Veilhan et le scénographe Alexis Bertrand, est la matérialisation d’une dialectique de l’effacement. Au sens propre, peu ou prou : à défaut d’avoir pu raser le bâtiment d’origine, une massive batisse, ils l’ont fait disparaître. Le stratagème visuel est des plus simples, et en cela, à la mesure de son efficacité : l’extérieur du bâtiment a été intégralement recouvert de plaques d’acier réfléchissantes ; les murs se volatilisent, se gondolent, et engagent une conversation faite de creux et de bosses avec le parc alentour dont ils revêtent la texture tout en l’aplanissant. À l’intérieur également, un système de cimaises mobiles vient ponctuer l’espace avec légèreté sur les deux étages dédiés aux expositions.

« Explore », l’exposition inaugurale, rassemble des œuvres monumentales, celles qui ne pouvaient, faute d’espace, être montrées jusqu’alors. Ce sont en grande partie des œuvres d’artistes déjà présentés au Plateau que l’on retrouve ici, ceux qui, ensemblent, constituent le vocabulaire bien spécifique de cette collection, ou plutôt sa patine (granuleuse comme un film argentique, crépitante comme une vidéo en super 8), sa sonorité (les partitions, le piano) et sa profondeur (immersive, en noir et blanc). Comme c’est habituellement le cas pour les expositions collectives de la collection au Plateau également, le thème de l’exposition est un thème en creux, prétexte à laisser s’exprimer cette texture incarnée de la collection. À ce titre, le choix de chacune des œuvres a été pensé pour explorer une relation spécifique au lieu, sans souci de tisser des résonnances thématiques ou signifiantes entre chacune : nul récit ne se construit, c’est bien plus la dissolution de ce dernier qui est mise en scène, et son effacement.

Explore. / ch‚teau de Rentilly

C’est d’abord la vidéo Singspiel (2009) d’Ulla von Brandenburg que l’on découvre en montant l’escalier principal. En noir et blanc, tourné en 16mm, un long plan séquence balaie la Villa Savoye du Corbusier, s’attardant sur des groupes clairsemés de personnages, alors que s’élève par intermittence une comptine allemande mélancolique et sans âge. Une architecture moderniste épurée et radicale qui répond de manière saisissante au contexte de projection : une rampe d’escalier en rappelle une autre, un pan de mur en enfilade semble se dérober pour ouvrir sur le mur, réel, sur lequel la vidéo est projetée. Une invitation à l’errance quasi-Antonionesque qui se fait mode de lecture pour le reste du parcours. Avec The All Seeing Eye (The Hardcore Techno Version) (2008) de Pierre Bismuth et Michel Gondry, un projecteur vidéo suspendu au plafond d’une salle vide la balaye à 360 degrés. Le spectateur se retrouve immergé dans un salon meublé à échelle réelle. Cependant, en l’espace des huit minutes de la vidéo, certains détails disparaissent et, à terme, il ne restera plus que la salle vide et blanche.

Cette puissance de l’illusion, pouvoir d’évocation quasiment magique d’images que nous prenons habituellement pour acquises, se retrouve chez Mark Geffriaud qui, comme pour le hors-les-murs du MAMCO à Genève, présente son installation Polka Dot (2008), un livre illustré éclaté et présenté à l’échelle de l’espace, dans une salle plongée dans le noir et éclairée seulement d’un faisceau lumineux qui fait le tour de l’espace et vient successivement révéler quelques-uns des éléments de ce livre imaginaire.

Le schème de l’effacement qui avait présidé à l’apparence du château filtre à l’intérieur : les parois semblent perméables. C’est le cas, en tout cas, pour le dispositif foucaldien Project 4 Brane (2007) de Laurent Grasso qui trône au centre de la pièce principale, cube à la surface poreuse à l’intérieur duquel est projetée une vidéo qui permet de voir l’extérieur sans être vu soi-même. Alors que celle-ci, Radio Ghost (2003), raconte en voix off une histoire paranoïaque d’esprits venant hanter les ondes de la radio, superposée à un long travelling au-dessus de la ville d’Hong Kong, nous apparaît au dehors, en fond à la vidéo, la perspective à perte de vue du parc qui entoure le château. Pour reprendre la formule d’Aby Warburg déjà reprise par Georges Didi-Huberman qui faisait de l’histoire de l’art une histoire de fantômes pour grande personnes, c’est ici une histoire de fantômes pour grandes œuvres qui se fait jour.

 


[1] Jean-Marc Poinsot, Quand l’œuvre a lieu – L’art et ses récits autorisés, Genève, Les Presses du Réel / MAMCO, 2008.


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