Jean-François Leroy et Émilie Satre, lauréats du prix Novembre à Vitry 2014
Galerie municipale Jean-Collet, Vitry-sur-Seine, du 17 mai au 28 juin 2015
Parmi la cinquantaine d’artistes invités à exposer durant l’automne dernier à la galerie municipale Jean-Collet, Jean-François Leroy et Émilie Satre ont été désignés lauréats du prix Novembre à Vitry 2014, et présentent ainsi leurs derniers travaux dans un accrochage convaincant, pensé en duo. Si le prix Novembre à Vitry réunit des plasticiens de moins de 40 ans et se focalise plus particulièrement sur la peinture contemporaine, il a le mérite de ne pas se cantonner à une définition trop étroite du médium et de s’ouvrir à d’autres formes de création, comme c’est notamment le cas avec Jean-François Leroy qui multiplie les interférences entre peinture, sculpture, installation, bricolage ou mobilier.
D’ailleurs, ce qui nous séduit d’emblée, c’est la scénographie adoptée par le duo d’artistes, où trois œuvres de Jean-François Leroy viennent structurer l’espace de la galerie. Tout d’abord, Ceci Cela ouvre une perspective sur l’ensemble de l’exposition. En effet, cette longue pièce de lino jaune pétard déployée sur le sol nous invite à rentrer progressivement dans la galerie, comme un tapis qui se déroule sous nos pas. Surtout, Jean-François Leroy affirme que ce lino jaune apparaît comme une pure étendue de couleur rappelant l’un des gestes primordiaux de la peinture : le recouvrement d’une surface plane. Mais à mesure que l’on avance le long du lino, celui-ci se plie et se replie comme une page écornée, ou un accroc dans lequel on finirait par se prendre les pieds. Ainsi, dans un premier temps, Ceci Cela sert d’introduction et de fil conducteur au déroulement de l’exposition, avant de se muer en un obstacle ou en un élément clivant dans l’organisation de l’espace.
Puis notre parcours se heurte carrément à une cloison de Placoplatre trouée, construite à partir de matériaux glanés aux étalages des magasins de bricolage. Jean-François Leroy a effectivement bâti un véritable mur entravant la fluidité de notre itinéraire. Mais alors même que cette cloison se dresse face à nous et bloque notre progression, une trouée, découpant la forme d’une pièce plus ancienne réalisée par l’artiste, donne accès à ce qui se trouve derrière la paroi. Jean-François Leroy détourne ainsi avec malice l’habituelle fonction d’usage du mur. Désormais, celui-ci semble davantage relier les espaces de l’exposition que les séparer, et rendre visibles les œuvres plutôt que de les cacher. Notre regard peut alors prolonger sa course à travers la percée du mur, et accéder au fond de l’exposition.
Là, une cimaise sur laquelle Émilie Satre a peint d’élégantes colonnes, en référence aux piliers que l’on rencontre dans la galerie, bloque pour de bon notre perception. Sauf que Jean-François Leroy a disposé dans un coin de la salle un ensemble de lames d’acier bleues courbées. Leur forme assouplit donc l’angle droit formé par les murs, et esquisse une sorte de boucle assurant la circulation du regard. Cette installation infléchit ainsi notre vision, et offre une lecture globale, continue de l’espace.
Parmi les derniers travaux de Jean-François Leroy, Assis / Couché, œuvre lauréate du prix Novembre, est étrangement biscornue. Elle superpose différentes strates de matières empruntées au mobilier domestique, avec une surface plane couverte d’une moquette bleue, et une couche de crépi mural rabattue sur le sol. Un tabouret jaune complète l’installation, relié au reste du mobilier par une courbe de polypropylène rouge. Pour Jean-François Leroy, Assis / Couché évoque un entre-deux inconfortable. Effectivement, cette installation hybride assemble de manière improbable un tabouret et une banquette, et nous laisse dans une position indéterminée, comme si nous restions irrésolus face à cette double injonction à travers laquelle deux termes ou deux états entrent en contradiction.
Fenêtre sur mur associe à son tour deux couches de matière : par-dessus un crépi rouge apposé directement sur un des murs de la galerie plane une plaque de polystyrène trouée, suspendue au bout de deux bras métalliques. Celle-ci découpe un hublot par lequel s’opère un focus ou un zoom sur la strate de crépi. De par sa position, la fenêtre surplombe donc le crépi et offre une vue aérienne sur la surface rouge. Par là, Jean-François Leroy bouleverse une nouvelle fois la fonction initiale de l’objet auquel il se réfère : dorénavant, la lucarne nous projette sur une surface, et non plus sur un champ extérieur, et clôt plus qu’elle n’ouvre l’horizon.
Émilie Satre, quant à elle, élabore ses dernières peintures autour d’un pattern à deux temps, comme en témoigne Crisss, autre œuvre lauréate du prix Novembre à Vitry, qui nous accueille en préambule de l’exposition. Tout d’abord, le fond des toiles d’Émilie Satre est le résultat d’un processus où le hasard joue un grand rôle. En effet, l’artiste trempe de grandes feuilles de papier dans des bains d’encre jusqu’à ce que des formes émergent. Des taches, des coulures, et même parfois de petites nervures comme dans Black Rain, surgissent. Ce premier moment s’apparente donc à un lâcher prise par lequel l’artiste ne maîtrise pas vraiment ce qui se produit. Elle explique même qu’elle laisse advenir les choses mais décide toutefois du moment où elle fixe le fond d’encre, comme dans un labo photo, en laissant sécher à l’horizontale la feuille de papier humidifiée.
Le second temps de son protocole est beaucoup moins aléatoire, moins expérimental. La main de l’artiste reprend le contrôle de la peinture et vient superposer des motifs redondants sur les fonds d’encre. On retrouve par exemple dans Crisss et dans Grid des roses des vents aux branches colorées, accolées les unes aux autres. Tantôt Émilie Satre dispose ces croix sur les bordures de la feuille de papier, et joue ainsi sur le hors champ de la peinture, tantôt elle rompt la répétition des motifs pour marquer un moment de respiration au cœur même de sa composition. Dans Collumns, de petits triangles blancs forment un maillage ondulant, tandis que les losanges de Sans titre donnent du volume à la peinture. Lace jouit à son tour d’une géométrie moins stricte où le tracé des lignes fluctue. Dans cette composition, Émilie Satre brouille les cartes : elle donne désormais à ses coulures rouges l’apparence de motifs géométriques – des losanges en l’occurrence –, et semble alors intervertir le fond et la forme que l’on reconnaît habituellement dans ses peintures.
articles liés
AD HOC
par Elsa Guigo
Bivouac, après naufrage
par Alexandrine Dhainaut
Cécile Paris, Conduire, danser et filmer
par Sarah Ihler-Meyer