Eva Kot’átková, Mute Bodies (Becoming Object, Again)
Parc Saint Léger, Pougues-les-Eaux, 20.02_1.05.2016
Présenté pour la première fois de façon monographique au sein d’une institution française, le travail d’Eva Kot’átková aborde la question du conditionnement social et culturel en s’appuyant sur le caractère aliénant des dispositifs éducatifs ou médicaux. De nombreux thèmes auxiliaires en découlent, comme la psychanalyse, l’inconscient, l’enfance, la solitude ou le façonnage du corps, de l’esprit et de l’individu. S’ils dénotent d’une certaine forme de gravité – ne serait-ce parce que sont évoquées des polarités qui toutes semblent confiner l’individu à un ordre d’idées qui le surplombe – ils sont pourtant abordés selon des axes particulièrement versatiles, laissant entrevoir des figures animales, des allusions musicales ou des associations formelles qui puisent dans des imaginaires insoupçonnés.
Fonctionnant à partir d’installations, de dessins, de vidéos ou de performances, l’exposition fait néanmoins la part belle à une logique de l’assemblage et de la composition à partir d’objets quotidiens ou fonctionnels. Au milieu de prothèses et de moulages en plâtre répartis ici et là, des instruments de musique sont détournés de façon à composer des structures aux allures vaguement serpentines, tandis que des armatures métalliques sculptent des cages sphériques et des volumes en forme de coquillage, que des équipements orthopédiques se muent en instruments de torture. Ailleurs, des ouvrages pédagogiques arpentent les murs de leurs pages vieillies, quand ce ne sont pas des collages agrémentés de textes dactylographiés. En conséquence, les tonalités qui parfois émaillent les pièces de l’exposition ne sont pas sans évoquer la grisaille architecturale des pays de l’Est ; elles signifient également l’atmosphère un peu sévère des lieux d’instruction du début du siècle dernier, comme le confirment certaines références convoquées par l’artiste, évoquant le pédagogue et médecin Moritz Schreber, lequel contribua à appareiller l’exercice du redressement du corps, ou Jacob Levy Moreno, l’un des pionniers de la thérapie de groupe.
Chez Eva Kot’átková, il résulte pourtant de cette apparente austérité une sensation de mouvance relativement enjouée, à l’image d’Anatomical Orchestra, pièce centrale de l’exposition, où l’on perçoit des figures géométriques non plus représentatives d’une absolue perfection mais des corps habités par des lignes harmonieuses, tout comme les structures coniques maintenues sur pied tiennent lieu aussi bien de gramophones que de créatures hypothétiques que l’on s’attend presque à voir remuer. Si l’on discerne avec cette installation une constante assimilation de l’objet au corps, prenant le contrepied d’une conception globale qui voit, a contrario et comme l’indique le titre de l’exposition « Mute Bodies (Becoming Object, Again) », le corps être assimilé à un objet que l’on manipule ou que l’on régule, on constate également que le mouvement n’est que latence et inertie, qu’il demeure en puissance, attendant d’être réactivé, comme pris de sommeil. De même, les notions de déséquilibre, de précarité et d’instabilité interviennent-elles en de nombreux endroits, comme dans les installations Huho Rennert’s Influencing Machine et Architecture of Sleep. Dans cette dernière, une structure métallique agrémentée d’une corde rend précaire sinon périlleux tout repos, le corps absent que l’on devine pourtant est invité à rester sur le qui-vive, à œuvrer continuellement dans un entre-deux aussi instable qu’interminable.
Une sorte d’incertitude naît donc de ce sentiment d’inconstance entre l’inerte et le mouvant. Elle se traduit également par la difficulté avec laquelle identifier certaines compositions, en particulier dans l’installation Anatomical Orchestra, dès lors que les différentes pièces semblent se glisser au-delà de morphologies intelligibles et préalablement convoquées par la mémoire ou la connaissance. Ni tout à fait humanoïdes, ni vraiment animales, ces figures investissent un imaginaire qui court-circuite toute lecture symbolique, comme pour prendre ses distances avec une logique interprétative, donc codante, au profit d’une appréciation qui reste guidée par l’intuition et l’imagination. L’incertitude découle en outre de cet indicible je-ne-sais-quoi qui semble fuir de chaque pièce partiellement vivante, comme un souffle indiscernable qui s’étiolerait, ou plutôt qui se fortifierait, à mesure que les connexions et les assemblages se consolident. En cela, la sémantique musicale participe de ce sentiment de fuite impondérable, certaines compositions peuvent en effet être assimilées à des instruments à vent, suggérant un souffle imperceptible mais virevoltant, une mélodie silencieuse synonyme de vie et d’imprévisible. Dans le même ordre d’idée, le motif récurrent de la grille peut être perçu certes pour son évocation du caractère détentionnaire des structures qui nous contiennent, mais surtout pour sa capacité à laisser filtrer des masses indiscernables, à l’image du filet du pêcheur dont les mailles entrelacées capturent, bien qu’elles laissent s’écouler.
Eva Kot’átková est donc de ces artistes dont l’œuvre, fonctionnant par strates et recoupements, paraît multidimensionnelle alors qu’elle semble poursuivre un cheminement qui se distingue par sa persévérance et sa cohérence. Si les dispositifs éducatifs et médicaux sont appuyés de manière à mettre en relief le corps en tant qu’objet de savoir et de projection dans un contexte disciplinaire, l’artiste ne vise ni à solutionner ni à débattre mais à enclencher des motifs qui, de par leur caractère imprévisible et inventif, affichent une forme de légèreté salvatrice sinon jubilatoire.
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- Du même auteur : Didier Vermeiren, Charlotte Moth, Claudia Comte, Sonic Geometry,
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