Oriol Vilanova, At First Sight
M Museum, Leuven, 18.03_5.06.2016
D’Oriol Vilanova, on connaît principalement l’incroyable collection de cartes postales, constituée ces quinze dernières années et riche de milliers de spécimens d’origines et d’époques très disparates. Cette collection, que l’artiste alimente quasi-quotidiennement en arpentant notamment les nombreux marchés aux puces de Bruxelles et qui constitue le socle de sa pratique artistique, n’est toutefois que le point de départ d’une démarche beaucoup plus vaste et ambitieuse qui porte, pour le dire rapidement, sur les paradoxes inhérents à la culture de masse, avec un intérêt spécifique pour des thèmes tels que l’immortalité, les relations entre le temps, la mémoire et l’histoire, les icônes anciennes ou la réécriture du passé. Ainsi, Oriol Vilanova s’interroge sur la manière dont notre point de vue peut être orienté, dont certaines images ou œuvres parviennent à nous interpeller, et se révèle particulièrement attentif au processus d’élaboration d’un cadre narratif, d’une mise en scène – que ce soit pour une performance, une pièce de théâtre, mais également des objets et œuvres d’art. Il a donc saisi l’opportunité d’une invitation du M Museum pour développer un propos aussi critique qu’instructif sur le rôle joué par les musées dans la construction de notre regard. En s’emparant de différents éléments constitutifs d’une exposition – qu’il s’agisse des vitrines, des éléments de scénographie ou des produits dérivés –, il propose une réflexion sur la mise en scène, l’artifice, ce que l’on nous donne à voir et ce que l’on nous cache, et plus globalement ce que représente l’institution muséale aujourd’hui. Si ces problématiques sont au cœur du travail de l’artiste depuis de nombreuses années – comme par exemple dans sa performance Goodbye1, produite par le FRAC Champagne-Ardenne en 2012, qui s’articulait autour d’une peinture d’Hubert Robert représentant le musée du Louvre en ruine –, c’est la première fois qu’elles se développent avec une telle ampleur. La première des trois installations présentées, Without Distinction (2016), consiste en la réunion de trente-cinq vitrines provenant de différentes institutions culturelles belges – du fameux musée royal de l’Afrique centrale au musée royal des Beaux-Arts, tous deux sis à Bruxelles, en passant par De Singel à Anvers ou la Maison des Arts de Schaerbeek. Là où ces éléments de scénographie se doivent en général d’être aussi discrets que possible, ils sont ici vidés de toute œuvre, de tout objet, et sont simplement montrés pour ce qu’ils sont. Outre l’impression générale, extrêmement spectaculaire du fait du nombre de vitrines réunies, ce qui interpelle, c’est la manière dont chacune d’elles parvient à évoquer une histoire parallèle de l’exposition, et ainsi souligner l’impossibilité de neutralité de ce type de mobilier – que ce soit du fait de leurs formes, de leurs couleurs et des matériaux utilisés, voire parfois des traces laissées au sein même des vitrines. La seconde installation, intitulée Voilà (2016), poursuit la réflexion engagée par l’artiste sur cette dichotomie entre monstration et disparition. Elle se compose d’un mur blanc en demi-cercle, placé dans un couloir, à côté duquel on pourrait facilement passer sans le remarquer. Néanmoins, à l’approche, apparaît un léger espace qui laisse à penser qu’une œuvre a été placée derrière ce mur mais nous reste malheureusement inaccessible. Comme celle évoquée précédemment, cette installation joue de l’absence pour mieux révéler l’indicible et capter notre attention. Si le procédé utilisé par Oriol Vilanova dans la dernière installation est tout autre, les interrogations soulevées sont pourtant similaires : à quel point une scénographie ou une mise en scène oriente-t-elle notre perception d’une exposition ? Ces partis-pris de présentation révèlent-ils des structures de pouvoir sous-jacentes ? Anything, everything (2015-) se compose de 2 800 cartes postales – toutes issues de la collection personnelle de l’artiste – représentant des œuvres d’art ou des objets issus de l’artisanat. Parmi les innombrables possibilités de présentation d’un tel ensemble, Oriol Vilanova a cette fois opté pour un display en fonction des couleurs de fond des images qui fait totalement disparaître les objets représentés au profit d’une déclinaison chromatique. Par là même, il annule totalement l’effet recherché par cette mise en scène, à savoir la mise en valeur de l’objet photographié, et met en lumière par la profusion et la saturation des procédés et mécanismes qui restent d’ordinaire invisibles. Revient alors en tête le titre de l’exposition, « At First Sight » [Au premier coup d’œil], invitant chacun à s’interroger sur ce qui lui est donné à voir. En cherchant ainsi à dévoiler ce qui est habituellement sous-jacent, caché, voire invisible, Oriol Vilanova modifie sensiblement notre point de vue de spectateur et nous pousse à adopter une « métaposition », à porter un regard plus distancié sur l’acte d’exposer mais également sur le fait de visiter une exposition, et à aller au-delà des apparences.
1 Cf. Oriol Vilanova, Goodbye, (texte de la performance), Éd. FRAC Champagne-Ardenne, Reims, 2014.
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- Du même auteur : Il Palazzo Enciclopedico, 55e Biennale de Venise, Christopher Wool, Goldfinger, In search of everything, Punk's not dead,
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