Entretien avec Damien Sausset
Entropia, 8.10.2016-8.01.2017, Transpalette, Bourges
Le Transpalette, lieu mythique de la scène alternative de l’art contemporain des eighties réouvre après une longue fermeture dans des locaux qui appelaient d’indispensables travaux de remise en forme. Dans une période difficile pour l’art contemporain où des centres d’art ferment (le Quartier à Quimper) et où des run spaces ont beaucoup de mal à se maintenir en vie, la réouverture du « Transpal » apparaît plutôt comme un bonne nouvelle. Mais la réhabilitation des anciennes friches industrielles qui ont affecté un peu partout le tissu culturel français se fait désormais de manière bien plus contrôlée, à l’instar de ce qui se passe à Marseille pour la Belle de Mai, au risque de perdre une partie de ce qui faisait le sel de ces scènes : une grande liberté de ton et de forme, une absence de concessions au marché et aux tendances, une véritable attention à l’émergence sans tomber pour autant dans les multiples pièges d’un jeunisme complaisant. Pour Damien Sausset, le directeur artistique du nouveau Transpalette, une page est tournée, celle des années 80 synonymes d’une incontestable radicalité, mais qui renvoient cependant à des paradigmes sociétaux et artistiques pour le moins dépassés. Ce dernier n’en demeure pas moins confiant dans la capacité du Transpalette à conserver de véritables audaces formelles et à participer d’un débat sur de nouvelles formulations qui ne fait que commencer…
Patrice Joly : Comment a été rendu possible le nouveau départ du Transpalette, après une cessation prolongée des activités ? Cela est-il dû à une volonté forte des collectivités territoriales ou à la chance de croiser un généreux mécène qui a permis de repartir dans de nouvelles conditions ?
Damien Sausset : La cessation des activités sur le site Transpalette s’est imposée d’elle-même il y a 18 mois. La réhabilitation des bâtiments de la friche nécessitait une fermeture. Durant ce temps, nous nous sommes délocalisés, organisant par exemple la première édition de la Triennale de Vendôme ou imaginant avec Claude Lévêque « Genre Humain », vaste exposition dans le Palais Jacques Cœur de Bourges. Quant aux travaux, ils étaient indispensables. Depuis 1984, date de création de la friche, rien n’avait été fait ou presque. Au Transpalette, la situation devenait précaire. L’humidité, les infiltrations, l’absence de chauffage rendait certaines opérations difficiles. Heureusement, les services de la DRAC ont miraculeusement trouvé en 2012 un budget pour la rénovation du site, secondé en cela par la Région Centre-Val de Loire, région très engagée sur ce thème. À une époque ou nombre d’élus se plaisent à réduire drastiquement, les budgets liés à la création contemporaine, il faut saluer la volonté de cette région de miser sur l’art contemporain. La création du centre d’art des Tanneries à Amilly ou l’ouverture de la Fondation Debré à Tours l’an prochain en attestent tout autant. Quant aux mécènes, ils restent pour l’instant étonnamment discrets et peu désireux de soutenir l’art contemporain.
Réouvrir une friche telle que le Transpalette sous-entend de repartir sur de nouvelles bases : le Transpal fait partie de ces endroits mythiques qui ont accueilli toute une génération d’artistes comme Claude Lévêque et bien d’autres qui ont représenté un vrai engagement artistique. La réouverture de ce lieu, comme d’autres friches en France signifie-t-elle aussi la fin d’une époque, nettement plus punk, avec des coudées beaucoup plus franches et une absence totale de contrôle des tutelles ?
Au cœur de la politique des friches dans les années 1970 et 80, on trouvait des utopies libertaires, anti-systèmes, radicalement activistes et profondément en lien avec leurs territoires de proximité. Autant avouer que ces utopies n’ont plus la même actualité, le monde de l’art ayant radicalement changé. Musées et centres d’art se sont multipliés sous l’action de l’état, puis, plus récemment, l’irruption d’un marché tout puissant, international, ultra versatile a modifié les pratiques même de l’art. En 1998, lorsque fut ouvert le Transpalette, il était encore porté par ces utopies. Nous étions un lieu un peu punk, un peu bohème, fortement politisé et engagé dans la défense des identités. Au Transpalette, tout était possible : casser les murs, défoncer les sols… Seule comptait la volonté de sortir des cadres, d’expérimenter, de pousser les artistes à tenter de réinventer leur pratique, d’explorer de nouvelles voies, le tout avec des moyens assez dérisoires. Certains ont remarquablement joué le jeu : Lévêque, Buren, Weiner… Aujourd’hui, c’est plus compliqué. La faute notamment à des coûts élevés. Nos financeurs – état, région, département et ville – ont tendance à nous imposer une forme de professionnalisation, non pas dans notre programmation mais dans notre forme de fonctionnement. Ils réclament un service des publics conséquent, une programmation à plus long terme, le choix d’un thème artistique qui guiderait définitivement toutes les expositions, un secteur pédagogique fort, bref autant d’activités nécessitant des investissements humains et financiers autrement plus importants. À nous de préserver ce qui fonde notre ADN, à nous aussi d’inventer d’autres modèles de fonctionnement. C’est ce que nous construisons dès à présent avec l’idée que le Transpalette devienne un hub, un lieu de croisement entre des savoirs, des pratiques, des interventions éphémères et des visions du monde.
Qu’est-ce qui différenciera le Transpalette d’un ensemble comme la Friche de la Belle de Mai à Marseille ? Assiste-t-on à la naissance d’une espèce de normalisation des friches, d’encadrement institutionnel qui ne veut pas dire son nom ? Le transpalette conservera-t-il son attitude résistante, face au marché notamment ?
Notre exigence, notre volonté de refuser toutes les facilités, de rester des agitateurs de conscience, d’explorer sans cesse les marges de la création, nous l’avons payée assez cher dans le passé. Jamais nous n’avons plié. Ce n’est pas maintenant que nous allons le faire. Comme la Friche Belle de Mai à Marseille, nous sommes un lieu pluri-disciplinaire. Nous avons une salle de concerts (le Nadir), un secteur théâtre et danse contemporaine, un ensemble unique de studios de répétitions pour les groupes locaux, une association – Bandits-Mages – spécialisée dans la production vidéo et cinématographique et un centre d’art : Le Transpalette. Ce sont donc des milliers de visiteurs, de spectateurs, d’amis fidèles qui viennent sur le site chaque année. Face aux incertitudes d’existence de structures comme la notre, l’état prône la mise en place de labels. On peut les voir comme des cadres fixant de façon pérenne les financements et les engagements des collectivités. On peut aussi les percevoir comme des tentatives de normalisation fixant, par le biais des règles strictes, nos modes de fonctionnement. Or, nous sommes une association. À nous d’y répondre ou non. Certaines structures ont fait le choix de refuser cette labellisation. Nous estimons qu’il est possible de jouer avec sans pour autant y perdre notre âme.
Avec qui allez-vous inaugurer le « nouveau » Transpalette ? La programmation à venir traduira-t-elle ces nouveaux éléments contextuels en s’éloignant d’une histoire pour le moins chargée ?
Au contraire, la future programmation tient compte de notre histoire. Nous débutons avec « Entropia », dialogue entre le travail de Smith et Art Orienté Objet. L’exposition interroge les frontières de plus en plus ténues entre art et savoir, entre pratique artistique et science. Comme nous souhaitons devenir un hub, lieu de croisement et de frottement entre des champs différents, notre programmation doit être perçue comme un ensemble d’événements pluri-séquentiels. Par exemple, « Entropia » accueille le jour du vernissage, une performance de François Chaignaud, un concert-performance de Chloé/Kill the DJ. Du 30 octobre au 13 novembre, l’exposition est contaminée, perturbée et enrichie par l’installation de Transplant, laboratoire expérimental du duo espagnol Quimera Rosa. Ce sera la première fois que ces recherches seront présentées au public. Le tout sera complété de conférences, workshops. Le 8 janvier, ce sera au tour de Smith de construire une journée spécifiques avec des interventions d’astrophysiciens, d’écrivains… Dans le futur, chaque exposition sera transformée par des modules ultra contemporains qui viendront se greffer là quelques jours. Pour 2017, nous prévoyons une exposition sur la pratique encore largement incomprise de Michel Journiac. Suivront une rétrospective de Thierry-Loïc Boussard, peintre inconnu décédé en 2009. Nous clôturerons l’année en participant à l’anniversaire des 40 ans du centre Pompidou. Par le biais d’œuvres historiques de la collection, nous nous interrogerons sur la manière dont se construisent les identités dans notre monde. Son titre ? « Cartographie renarde ».
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- Du même auteur : Capucine Vever, Post-Capital : Art et économie à l'ère du digital, Chaumont-Photo-sur-Loire 2021 / 2022, Paris Gallery Weekend 2021, Un nouveau centre d'art dans le Marais. (Un tour de galeries, Paris),
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