r e v i e w s

Laurent Montaron, Dioramas

par Alexandra Fau

Fondation d’entreprise Ricard, Paris, 14.11.2016 – 7.01.2017

Derrière leur vitrine, les œuvres de Laurent Montaron conservent jalousement leur mystère. Un tirage photographique d’une femme poitrine nue (Figure pentagonale, 2016), répété trois fois, conjugue le temps de l’écriture au sol et celui du dévoilement. Les deux moments sont réunis sur un même cliché sans qu’apparaisse la moindre différence d’une image à l’autre. Mais on y voit si mal, ou si peu. Au plafond, une machine volante, majestueuse, dissimule en son sein un appareil photographique à peine perceptible dans le reflet de la boîte-miroir du fond (How one can hide from which never sets?, 2013).

L’exposition, intitulée « Dioramas », démonte le dispositif classique illusionniste à visée pédagogique des premières institutions muséales pour instaurer d’autres ressorts, quasi magiques, qui reposeraient sur l’autosuffisance des œuvres en présence. Et si ces œuvres n’étaient finalement pas destinées à un public ? Tenu de force à l’écart, le spectateur s’en tient à ce qui vraisemblablement relève de la mystagogie de l’artiste, qu’importe. Baignées d’une lumière froide et intense, les œuvres vivent dans un monde léger, fluide, en apparence détaché du poids des choses et du temps. Cet univers protégé n’en est pas moins dépourvu d’activité : deux magnétophones Nagra IV-S (Delay) enregistrent et diffusent en décalé les moindres sons, forces ou esprits latents.

L’artiste excite un peu plus la frustration du regardeur qui pensait pouvoir approcher les œuvres comme on le ferait du Graal et repart avec une image en tout point identique à celle qui circule sur les plateformes numériques. Mais il comprendra tôt ou tard que cette rétention couplée à l’expérience intellectuelle et physique à venir — le film 16mm Sans titre (2016) est accessible par un autre accès — sont quelques-uns des préalables nécessaires qui le mèneront au but.

Comme pour l’une de ses premières installations, Craignez celle qui suit (1998), dans laquelle la projection super 8 est visible à travers les hublots d’une salle de cinéma, le spectateur est une fois de plus relayé derrière la vitre. « C’est une façon de présenter les choses avec distance mais aussi de dire qu’elles sont montrées d’un point de vue précis qui indexe notre compréhension1. »

Dans une vidéo (Sans titre, 2016), le personnage féminin laisse exprimer une sorte de voix intérieure à laquelle se mêle parfois le crépitement du vieil enregistrement. Elle a une conscience aigüe de sa respiration, de ce corps humain devenu émetteur-récepteur. « Des voix venaient. Des mots d’autres. Je disais les mots des autres. Les voix des autres. Je ne pouvais pas le croire2. » Pour Philippe-Alain Michaud, « l’analogie parle la langue somnambulique de la divination et des rêves : à travers elle, c’est la voix de l’inconscient qui se fait entendre et qui surgit des appareils d’enregistrements comme d’une lampe magique convertie à la reproduction du son». Si le téléphone a été un temps le canal privilégié de la télépathie, il est ensuite remplacé par la radio. Celle fabriquée par Laurent Montaron à partir d’un cerf-volant antenne et d’un émetteur transmet tout le programme radiophonique à une jeune femme pourtant éloignée de toutes sources émettrices. Quel crédit apporter à ce récit ? Faut-il le soumettre aux paradoxes de vérité écrits par l’artiste à la façon de Wittgenstein (Revision Theory of Truth, 2016) ? La série de photographies présentée parallèlement à la galerie Triple V revient sur un moment précis de la vidéo où la première machine à écrire à mémoire, reléguée au grenier, s’étonne de ce qui émane d’elle : « It is true that I do not speak and it is false to say that I wrote this sentence but just as one speaks without knowing how the single sounds or produces ». La vieille croyance animiste rejaillit pleinement ici. Sans verser dans le paranormal, l’artiste rappelle combien la transmission du sens ne peut être dépourvue d’affects. Il convoque à chaque fois des référents visuels à l’érotisme aussi puissant que dérangeant comme cette langue venue lécher la cornée, ce cœur de carpe palpitant au creux d’une main (Pace, 2009). Mais à force de montages et de remontages, cette intensité s’éteint. Et le temps glisse inéluctablement.

1 Entretien entre Daniel Baumann et Laurent Montaron paru dans la monographie Laurent Montaron, Les presses du réel / IAC, 2012.

2 Citations du synopsis du film Sans titre, 2016.

3 Philippe-Alain Michaud, Sur le film, 2016, éditions Macula,334-339.

Commissariat : Lorenzo Benedetti.

 

 

 

 

 

 

 

 


articles liés

GESTE Paris

par Gabriela Anco