Jean-Luc Verna
« Jean-Luc Verna
—Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ?
—Non
Rétrospective »
MAC VAL, Vitry-sur-Seine, 22.10—26.02.2017
Rétrospective de l’œuvre de Jean-Luc Verna depuis le début des années 90, l’exposition organisée au MAC VAL apporte une connaissance approfondie d’un des grands artistes de la scène actuelle. Grâce à cette vision d’ensemble, on redécouvre en effet les aspects les plus connus de son travail, les plus spectaculaires, les panneaux Paramour éclairés d’ampoules, ses tatouages, en regard de pièces plus modestes ou plus confidentielles, le tout faisant vivement ressentir pourquoi son travail importe tant aujourd’hui.
On n’en saisit pas forcément toute la portée dès les premières cimaises mais, en déambulant entre les murs de dessins, les sculptures, les vitrines de pochette de disques, les vidéos et films (ceux de Brice Dellsperger auxquels il a collaboré), une impression globale se forme. Les pièces, parfois douces, parfois violentes, de mauvais goût ou au contraire d’une beauté mélancolique — parfois d’autres encore parviennent à être tout cela en même temps — s’agencent, ni dans l’harmonie, ni dans le chaos, tel un bric-à-brac, jusqu’au moment où on tombe face à face avec l’une d’elle qui agit comme un flash sur la conscience. C’est particulièrement le cas du Diaporama rétrospectif du corpus photographiques, 2000-2015, qui est à lui seul une mini rétrospective, rassemblant des photos où Verna, seul ou occasionnellement avec des complices, prend des poses en référence à l’histoire de l’art. S’agit-il de remake ? De provocation ? Son corps, de plus en plus tatoué en fonction des dates des prises de vues, plus ou moins jeune et svelte aussi, en décalage avec les corps des œuvres originales qu’on a tous, même vaguement, à l’esprit, très normés et dérivés de canons de beauté restreints, produit un effet de distanciation critique. On se dit que, décidément, dans l’histoire de l’art, la représentation a fait bien peu de place à la diversité des corps existants. Mais ce serait n’avoir lu les cartels accompagnant les photos qu’à moitié. Car les poses sont aussi référencées par rapport à l’histoire du rock. L’une d’elles est à la fois une citation des esclaves de Michel-Ange et d’un concert de Siouxsie and the Banshees, une autre rapproche une crucifixion de Goya de Freddie Mercury, une autre encore rejoue la Ballerine se regardant le pied droit de Degas en même temps que le chanteur des Cramps… On en vient alors à penser ces positions comme archétypales, des positions que Michel-Ange, Siouxsie ou Verna ont tour à tour incarné, chacun à un moment de sa vie selon son domaine, son projet, sa personnalité, sa chair… Plus encore, l’idée d’un lien étroit entre l’art comme source de représentation collective et la manière dont chacun vit son propre corps se précise.
Mais cette critique des canons de la beauté classiques émanant de l’histoire de l’art n’aboutit pas à leur bannissement pur et simple : ils sont sinon renversés, au moins relativisés. Car, dans l’exposition, la beauté apollinienne n’est pas tout à fait absente. Certains dessins ont la délicatesse d’œuvres historiques dignes des cabinets de curiosités. Les représentations d’oiseaux sont particulièrement émouvantes, avec leur plumage rendu duveteux, leur œil brillant, leur bec parfaitement tracé. Mais un commentaire vient la plupart du temps court-circuiter leur tendresse, que ce soit le radical « NUL » inscrit à même le dessin à côté d’un mignon volatile ou le plus prolixe « Les oiseaux sont des cons », emprunté à un court-métrage du dessinateur Chaval qui, tel un carton de film muet, forme avec l’image un diptyque.
C’est L’oiseau mort de Greuze, l’humour noir et le cinéma réunis. D’autres pièces évoquent une beauté plus baroque : des dessins transférés sur des pièces de tissu accrochées en drapés sophistiqués rappellent les linceuls et, à la limite, le Saint Suaire. À ce propos, certains dessins flirtent manifestement avec l’iconographie religieuse, avant tout ceux du visage de Siouxsie, par exemple dans une œuvre éponyme de 2015, ou encore dans Suzanne-Janet Préault, black widow de 2011 où les traits de la chanteuse (de son vrai nom Suzanne Janet) apparaissent mystérieusement en madone sur un panneau de bois noir encadré de plumes « de coq, de dinde et d’autruche » dit le cartel, dans un hommage à l’artiste romantique Auguste Préault. Ici, le beau croise le macabre, avec une dose de kitsch. Et l’on rencontre enfin le sublime, par l’intermédiaire d’un texte en prose de Didier Bisson distribué à la sortie, qui apporte un éclairage sur l’œuvre en même temps qu’il est un chant d’amour : « Il joue et montre et ne joue pas et brouille avec de sévères sourires et des grimaces qui ne sont pas toujours des coupes à boire l’amour, l’inaccessible jusqu’au nu d’impossibles désirs » […] « tatoué de poussières d’encre en suie, passées dessous le derme, mués en des je suis constitués ». Ce texte est comme un post-scriptum qui donne envie de tout revoir depuis le début.
(Image en une : Vue de l’exposition « Jean-Luc Verna — Vous n’êtes pas un peu beaucoup maquillé ? — Non. Rétrospective », MAC VAL, 2016. Diaporama rétrospectif du corpus de photographies, 2000 – 2015 (Edgar Degas, Ballerine se regardant le pied droit, terre cuite, 1980. Lux Interior (Cramps), Ultra Twist, vidéoclip, 1994). Photo Martin Argyroglo.)
- Publié dans le numéro : 81
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- Du même auteur : Anna Solal au Frac Occitanie Montpellier, Gontierama à Château-Gontier, Alias au M Museum, Leuven, mountaincutters à La Chaufferie - galerie de la HEAR, Lacan, l’exposition au Centre Pompidou Metz,
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