r e v i e w s

Georgina Starr

par Ilan Michel

Hello. Come here. I want you.

FRAC Franche-Comté, Besançon, 18.05 — 24.09.2017

Ça commence par un air d’adolescence. Dans le hall, un pick-up fait résonner la mélodie sifflotée des Beatles : Yesterday (1991, coll. Frac Franche-Comté). Du vinyle à la caméra, l’artiste britannique Georgina Starr (1968) explore les interférences de la mémoire dans le présent. Cette première grande monographie de l’artiste fait la part belle aux allers-retours temporels et aux expériences sensorielles abordées avec intuition et humour. Les œuvres de jeunesse frôlent les dernières productions dans un parcours qui diffracte les projets comme un cristal.

Sans nostalgie, mais avec le souci du rituel, Georgina Starr revisite les technologies old school de sa jeunesse. En 2010, elle presse quatre-vingt vinyles à partir de ses archives sonores personnelles contenues sur cassettes audio. I am a Record (2010-2017), procède de la « mythologie individuelle[1] » qui invite à la mise en scène et au récit de soi. Dans le hall, une chambre d’écoute aux parois de verre violettes ouvre la cérémonie. Chaque disque original est apporté individuellement, accompagné de l’anecdote à l’origine de l’enregistrement. Les pochettes des vinyles peintes et dessinées par Starr clôturent le solo show. Parmi eux, I’m the Medium fait figure de manifeste. L’artiste a suivi des séances mensuelles de spiritisme dont des extraits ont été fixés dans les deux cent cinquante sillons fermés du vinyle. Apprentie médium, l’artiste est aussi son propre matériau d’expérimentation. L’œuvre révèle par ailleurs son goût pour la matière sonore et l’onomatopée, qui rappelle les poésies sonores dada.

L’exposition nous fait traverser une série de décors contrastés allant du sépia aux paillettes, de la photographie jaunie aux filtres de discothèque. Sa dernière production, Moment Memory Monument (2017), convoque l’imaginaire rétro-futuriste du film d’Alain Resnais, Je t’aime, je t’aime (1968), dans lequel un homme est prisonnier d’une machine à remonter le temps. Retrouver le temps d’avant la naissance. On y parviendrait presque dans cette reconstitution de laboratoire farfelue. Mise en scène obsessionnelle d’instruments d’enregistrement (magnétophone, montres, oscilloscopes, machines à écrire…), de schémas jonchant le sol, de carnets et de costumes de science-fiction revêtus par les performers qui activent la pièce. Un prototype à échelle 1:1 de la machine-cerveau propose de tenter l’expérience. Les souvenirs de l’artiste sont prétextes à jouer des écarts et des reconstructions de la mémoire. En quête d’un film de SF (Visit to a Small Planet, 1960), elle réunit quelques madeleines de Proust dans une cabine d’enregistrement éclairée d’un halogène orange : des raviolis, un disque de Dean Martin et un casque d’invisibilité doté de deux antennes hertziennes ! Convoquant une « mémoire involontaire[2] », l’artiste réécrit le scénario et le décline en une série d’expériences : les objets y sont autant d’indices de la scène originelle disparue tandis que le visiteur est conduit à disparaître dans un nuage mental ! À la suspicion de l’authenticité, Georgina Starr substitue le plaisir de l’imagination. Ses installations ne craignent pas l’éclatement, la discontinuité. « I make it real by putting it into words » écrivait Virginia Woolf[3].

Georgina Starr, Moment Memory Monument, 2017. Vue de l’exposition au Frac Franche-Comté. Courtesy de l’artiste et Alcantara. © Adagp, Paris, photo : Blaise Adilon.

Une pirouette. Un pas de deux. Ou une danse de salon acrobatique. Autant de propositions de mise en marche du corps qui déplacent l’expérience individuelle vers l’imaginaire de l’enfance. La première vidéo de l’artiste, Static Steps (1992), au centre du parcours d’exposition, présente des silhouettes de papier chargées en électricité statique dont les mouvements désarticulés sont diffusés au ralenti. Chorégraphies impossibles retranscrites sous forme de partitions. The Stroke (« Le coup de foudre »), The Streamer (« La décharge »), autant de noms qui disent l’énergie magnétique sous-jacente à tout duo et invitent à détourner les règles pour tirer soi-même les ficelles. Le fil, c’est aussi celui de Junior, marionnette et alter ego de Georgina Starr oublié dans une valise durant 18 ans. Dotée d’une vie propre, la créature ventriloque a eu le temps de méditer leur future collaboration. Ce qui produit un numéro de claquettes époustouflant.

Comme une petite fille, revêtant un nouveau costume à chaque numéro, Georgina Starr tente de sonder l’invisible. Des flux magnétiques aux flux de conscience, les œuvres de l’exposition laissent place à l’hypothèse. Avec tout ce que cette recherche empirique comporte d’erreurs et de maladresses, l’enquête invite à rejouer la partition en une infinie variation.

[1] Ce qu’Harald Szeemann, commissaire de la Documenta 9, théorise alors au sein de la section« Individuelle Mythologien », 1972. Georgina Starr est également héritière du courant du Narrative Art apparu à New York en 1973.

[2] « nous sentons combien ce passé était différent de ce que nous croyions nous rappeler, et que notre mémoire volontaire peignait, comme les mauvais peintres, avec des couleurs sans vérité », Marcel Proust, entretien avec Élie-Joseph Bois, Le Temps, 1913.

[3] « C’est seulement en la traduisant par des mots que je lui donne son entière réalité », Virginia Woolf, « A Sketch of the Past » [Une esquisse du passé] (1939), Instants de vie, Editions Stock, Paris, 2006, p. 92.


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