53e Biennale de Venise
Aux formes modernes de l’art et à leur souveraineté prônée par leurs grands maîtres, de Mondrian à Pollock, Quand les attitudes deviennent formes objecte en 1969 l’inachevé, le process et le refus de l’autonomie : « des formes [non pas] nées de préjugées esthétiques, mais de l’expérience vécue d’une démarche artistique »[i]. Certains virent en cet événement l’expression pure du postmodernisme et en Szeemann, le modèle du re-lecteur, au sens derridien du terme, d’une scène artistique protéiforme. Pendant le dernier tiers du XXe siècle, le curateur devient chef d’orchestre, prédicateur parfois même despote au détriment de l’expression de l’artiste elle-même, porté par la prolifération des rendez-vous mondiaux, nouvelles tribunes dédiées. Il semble pourtant qu’aujourd’hui la profession peine à conserver (ou trouver) sa place dans un contexte mondialisé. Les nouveaux vecteurs d’information de ce début de siècle ont fait exploser les chapelles et l’activité curatoriale se résume trop souvent à une course contre la montre. Et l’exposition de quitter son rôle paradigmatique pour lui préférer la fonction simpliste d’étalage à peine verni que déjà obsolète ou de tenter inlassablement de redéfinir ses propres règles et enjeux à travers le bien sommaire prisme du nombrilisme corporatiste. Force est de constater que la biennale 2009 sonne une fois de plus le glas de la posture du curateur omnipotent. Mais si le périmètre historique d’intervention du commissaire ne lui correspond plus, est-il pour autant pertinent de décréter la fin définitive de cette pratique critique ? Invité à poursuivre un
débat international de moins en moins fertile, Daniel Birnbaum prend la tangente et ouvre une voie salvatrice à ce statut professionnel en mal d’orientation. L’exposition semble organisée comme la présentation d’une collection idéale. Le postulat de départ du curateur suédois et de son Fare Mondi/Making Worlds s’incarne en effet dans un ensemble rhizomique où les œuvres dialoguent et collaborent. Ainsi l’enfilade dans le palais des expositions de trois salles présentant respectivement Matta Clark, Fahlström et Gutai s’inscrit indéniablement dans une perspective de témoignage plus que de défrichage. En revanche, Birnbaum échoue dans sa tentative revendiquée de « créer de nouveaux espaces de présentation de l’art qui dépassent les mécanismes du marché »[ii], mais offre néanmoins une sélection qui alterne artistes incontournables du moment – Pisano, Bouchet ou le duo Guyton\Walker – et projets plus inattendus comme la Parade d’Arto Lindsay ou le Momentary Monument (Swamp) de Lara Favaretto. La question posée à Venise cette année est ainsi moins celle de la contemporanéité de la sphère artistique mondiale que celle du statut du curateur et par extension de la pertinence des grands raouts du genre. Il ne s’agit pas ici de figer une pratique artistique dans l’histoire, mais au contraire de lier le présent au passé dans un processus dynamique trans-générationnel et trans-langagier. Le texte introductif à la dernière Tate Triennial esquisse un élément de réponse. Nicolas Bourriaud y invite à rééquilibrer les rapports de force dans le champ de l’exposition et définit un continuum triadique entre discours du curateur, propos des artistes et dialogues qui s’opèrent entre composantes. Son « altermodernisme » appréhende la création contemporaine non plus comme un ou plusieurs corpus (potentiellement théorisables en un tout cohérent), mais comme une expression culturelle, reflet de notre civilisation aujourd’hui mondialisée « qui porte les traces d’une explosion multiculturelle et de la prolifération des strates culturelles et ressemble à une constellation sans structure attendant sa transformation en archipel »[iii]. Cette alternative de lecture préfère à un tracé monolithique une multitude de possibilités aussi autonomes qu’interagissantes. À l’évidence, Birnbaum a su quelques mois plus tard rattraper la balle au bond avant qu’elle ne périsse une fois encore dans les abîmes de la sérénissime lagune. Il invoque Edouard Glissant et la nécessité de préserver le pluralisme identitaire par la traduction : « l’action de traduction est en soit un moyen de rendre notre monde partagé plus riche. Avec chaque langage que nous perdons, c’est l’imagination de notre monde qui s’appauvrit »[iv]. Il semble alors abonder dans le sens de l’ex-co-directeur du Palais de Tokyo et refuser les dérives nivelantes de la globalisation. Fare Mondi/Making Worlds postule en effet l’idée de lire l’art d’aujourd’hui dans une perspective scientifique proche de l’activité muséale, en évacuant les travers de la logique évènementielle où jeunisme et soi-disant découvertes sensationnelles sont de rigueur. Au contraire, Birnbaum décide de présenter des corpus plus conséquents (Thayou ou Håfström) et offre ainsi au public de véritablement entrer dans ces pratiques. Et l’exposition, sans tendre à l’exhaustivité, de se rêver représentative de l’actualité artistique contemporaine mondiale, tout en s’appuyant sur une assise historique forte caractérisée par la convocation des figures tutélaires que sont Pape ou Pistoletto. Leur présence se veut un contrepoint aux productions plus récentes, et les « re-readings », « misreadings » et confrontations proposés par la scénographie sont la véritable clé de voûte de cette biennale, espace privilégié de dialogue, fût-il simplement visuel.
53e Biennale de Venise, Fare Mondi (Construire des Mondes), du 7 juin au 22 novembre 2009. Commissariat Daniel Birnbaum
[i] L’Art de l’exposition, Paris, éditions du Regard, 1998, p. 372.
[ii] Daniel Birnbaum, We are many, in cat. Fare Mondi/Making Worlds, Venise, Marsilio Editori, 2009, p. 187.
[iii] Nicolas Bourriaud, Altermodern, Londres, Tate Publishing, 2009, p. 12.
[iv] Daniel Birnbaum, Fare Mondi/Making Worlds, Venise, Marsilio Editori, 2009, p. 17.
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- Du même auteur : Documenta 13 , Map of the Mind , carte blanche au peuple qui manque, Tranche de Kippenberger, Sur la route, et après, Spacy movie,
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