Virginie Barré, Pascal Rivet
Virginie Barré, Bord de Mer, Des films et leurs objets
Pascal Rivet, Rase Campagne
FRAC Bretagne, Rennes, 15.12.2017 – 18.02.2018
Du bord de mer au bord de route, Virginie Barré et Pascal Rivet se placent en position d’observateurs étonnés. Au-delà du dilemme qui se pose au vacancier breton, il s’agit surtout ici de revendiquer la question du point de vue et du déplacement.
Synthèse de la réflexion menée par l’artiste autour du travail en milieu rural depuis une dizaine d’années, l’exposition de Pascal Rivet occupe la grande galerie du Frac Bretagne devenue hangar pour l’occasion. Il fallait de l’espace pour garer ses tracteurs en contreplaqué reproduits à échelle 1:1. Le leitmotiv de l’engin a été premier dans ce processus de bricolage monumental qui creuse l’écart entre le réel et sa représentation. Si la machine reste le symbole de l’agriculture intensive, elle se trouve également revêtue des attributs de la virilité. D’où l’ironie de cette série de broderies au point de croix reproduisant des photographies de tracteurs accidentés. Ici les paysans avancent … (2011-2013, coll. Frac Bretagne), lentement, mais sûrement, à l’image de ce procédé qui rappelle le folklore des intérieurs bretons. La mise en série relève du vidéo-gag tragique. Tout le processus de déconstruction du signe emprunte à la fois aux principes de répétition et de décomposition1. La moissonneuse-batteuse est démantelée, les photographies d’exploitations rurales soulignent le lieu commun de la désertification des campagnes, les tronçonneuses en sapin recouvertes de coaltar menacent l’intégrité du bétail… Pascal Rivet malmène son motif. Si la réplique d’une Lincoln Continental des années 1960 trône au milieu de l’espace2, c’est qu’elle fait office de deus ex machina, tout droit descendue du ciel (Lincoln, 2012-2017). Véhicule associé à l’assassinat de Kennedy, elle convoque le plaisir imaginaire du crash autant que la standardisation du modèle fordiste. Dès l’entrée, un napperon brodé d’un tracteur cabré prêt à se renverser est suspendu comme le voile de Véronique portant la trace du visage du Christ. À l’autre extrémité de la galerie, une triple vidéoprojection rend compte de la disparition d’un autre tracteur devenu cyniquement bûcher à l’occasion de la fête de la Saint-Jean (Jour de fête, 2015). La récolte des cendres et leur mise en boîte reliquaire rejoue la dimension religieuse du symbole mais aussi la production en série. Les tableautins qui ponctuent l’installation reproduisent des fragments d’hebdomadaires ruraux sur le mode du cut-up : « Le Lait Coule » ou « La Paille Tremble » disent la colère d’un secteur d’activité précaire en ouvrant une brèche poétique (Où va la viande, 2016). Cependant, davantage que l’imaginaire du Grand Soir, c’est le sentiment de fin d’un monde qui domine3. Et le regard distancié du voyageur qui ne s’arrête pas.
L’air est plus rafraîchissant en bord de mer. Les films de Virginie Barré tournés à Douarnenez héritent de Jacques Tati et d’une fascination pour l’univers de l’enfance. Les deux salles s’articulent autour de courts métrages muets au synthétiseur vibrant. Odette spirite (2013, coll. Fonds départemental d’Ille-et-Vilaine) raconte l’histoire d’une revenante en quête de la première lettre de son prénom et de son identité, tandis que Le Rêve géométrique (2017, coll. Frac Bretagne) suit le trajet de trois petites filles aboutissant à une chorégraphie collective en bord de mer où les corps forment des points dans l’espace de l’estran. Les mouvements de caméra multiplient les plongées et vues aériennes et contribuent ainsi à l’atmosphère flottante de l’ensemble. Ils miment aussi la sensation d’abandon du corps dans les expériences de mort imminente. D’où peut-être ces sandales japonaises disproportionnées ou ces méduses en caoutchouc qui auraient été déchaussées pour être intégrées à des compositions florales façon ikebana. Les sculptures qui jalonnent le parcours ont traversé l’écran, assumant leur statut de décor ou d’accessoire. Étrangement statufiés, mannequins évoquant les costumes de Malevitch et serviettes de plage aux motifs géométriques sont autant de revenants, vestiges d’un jeu révolu que Virginie Barré redécouvre à travers ses propres filles. En mettant en scène leurs pérégrinations et l’étoffe dont leurs rêves sont faits, l’artiste, munie de son iPhone, semble partir en quête de l’émergence des choses avec une certaine candeur. La forme des rêves (2013) fait ainsi apparaître une multitude d’objets assemblés en natures mortes. Pompons, morceaux de skaï, ballons, gommettes, perles, billes en verre, scoubidous, cailloux, vocabulaire biomorphique recomposé par les petites filles. Aussi l’exposition rejoue-t-elle le plan flottant d’une estampe japonaise sur lequel s’étagerait un vaste répertoire de formes. Ce grand collage trouve sa force dans le burlesque et la parole détachée de la narration. Il suffit alors d’y croire. « L’odeur des chewing-gums à la fraise, ça fait mourir les cauchemars4 ».
- « Cette répétition du concept à travers des formes différentes permet de déchiffrer le mythe : c’est l’insistance d’une conduite qui livre son intention », Roland Barthes, Mythologies, Paris, Seuil, 1957, p. 193.
- À la différence de celle planquée dans un hangar lors de l’exposition « C’est encore loin » au Lieu Unique à Nantes en 2011.
- Henri Mendras, La fin des paysans: innovations et changement dans l’agriculture française, Paris, S.E.D.E.I.S., 1967, réédition Actes Sud, coll. Babel, 1992.
- « Est-ce que tu y crois ? » demande Marguerite Duras aux enfants dans l’émission radiophonique Comme il vous plaira en 1967.
(Image en une : Vue de l’exposition de Pascal Rivet, « RASE CAMPAGNE », Frac Bretagne, 2017-2018. Photo : Jean René Lorand.)
- Publié dans le numéro : 85
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- Du même auteur : L’Anthologie de l’éternuement de Fred Ott. Flinch aux Moulins de Paillard, Alex Cecchetti au musée de Rochechouart, Stéphane Thidet, Benjamin Seror, Jibade-Khalil Huffman,
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