Collectionner, le désir inachevé
Musée des Beaux-Arts d’Angers, 18.11.2017 – 18.03.2018
Ce titre très sensuel n’est pas sans rappeler les enjeux du film La Collectionneuse d’Éric Rohmer. Haydée, la jeune protagoniste, attise les hommes puis elle devient l’objet de leur désir, un désir mimétique. Sa collection se veut éphémère ; il n’en restera qu’une liste non exhaustive de prénoms. Ici, il ne s’agit ni de corps ni d’amants mais d’œuvres d’art. Sandra Doublet et Christine Besson, commissaires de l’exposition, mettent en lumière un besoin avide d’acquérir des objets, des œuvres. Elles présentent cinq fragments de collections privées toutes marquées par une forte singularité. À travers des recherches, des rencontres et un choix précis d’acquisitions, le collectionneur s’inscrit comme auteur. Il a généralement un rapport intime avec les pièces qui le lui rendent bien, reflétant une part de sa personnalité. Dans Le système des objets, Baudrillard évoque ce rapport ambigu aux objets : « l’objet est le seul être dont les qualités exaltent ma personne au lieu de la restreindre1. » Loin de leur écrin domestique, les pièces d’une collection privée se dévoilent autrement. Toujours en mouvement, la collection particulière est en perpétuel état de mutation, elle se déplace et se transforme au gré des expositions. Mais peut-on présenter des œuvres issues de collections particulières de la même manière que des œuvres issues de collections publiques? Ici, le parti pris des deux commissaires est celui de réaliser cinq portraits, ce type d’exposition plaçant souvent le statut du collectionneur par devant le travail lui-même.
Chaque collection se caractérise par une identité particulière : une période historique, un mouvement, un territoire particulier, etc. L’exposition est donc compartimentée en cinq espaces laissant entrevoir plusieurs manières de constituer une collection.
Le premier espace est consacré à l’Association PACA (Présence de l’Art Contemporain, Angers) qui regroupe plusieurs collectionneurs autour d’un intérêt commun, celui de la peinture d’après-guerre. Ces derniers organisent collectivement des expositions et s’engagent dans la diffusion du travail d’artistes comme Hans Hartung, figure tutélaire de l’abstraction lyrique, Robert Combas, Peter Klasen (la Nouvelle Figuration) ou encore Arman (le Nouveau Réalisme). Leur collection témoigne d’un pan de l’histoire de l’art où le geste fait figure dans l’abstraction et la matière.
Bien connue des amateurs d’art conceptuel, la collection Philippe Méaille se concentre essentiellement sur les œuvres du collectif Art & Language. Né de la collaboration de deux artistes, Michael Baldwin et Mel Ramsden, Art & Language remet en cause de manière critique les conditions d’existence d’une œuvre d’art. En 1969, le duo crée la revue Art-Language dans laquelle une réflexion est menée sur les formes que peuvent prendre une œuvre engagée politiquement. On retrouve dans l’exposition plusieurs travaux emblématiques du collectif comme Flags for organisation (1968) ou 100 % Abstract (1968). Philippe Méaille, soucieux du partage de sa collection, inaugure en 2016 le château de Montsoreau-musée d’Art Contemporain, où il anime régulièrement des conférences.
La quête est présente dans l’élaboration d’une collection, la quête d’un savoir, la quête de la prochaine œuvre qui fera sens aux côtés des autres pour créer un ensemble pertinent. La rencontre avec un territoire géographique spécifique et une scène artistique peuvent aussi être le point de départ d’une collection, c’est le cas de la fondation La Roche Jacquelin. Fondée par un couple de collectionneurs qui a longtemps séjourné à Singapour, elle se concentre sur la scène de l’Asie du Sud-Est (Thaïlande, Indonésie, Vietnam, Birmanie, Philippines). Les pièces présentées ici sont esthétiquement proches de l’artisanat, que ce soit Scandals de Joséphine Turalba, des chaussures réalisées en cartouche de balles, ou encore The Postmodernist (III) de Mella Jaarsma, des costumes composés d’écussons cousus les uns aux autres. La fondation met en avant une scène artistique méconnue en France.
Dans la vidéo introductive à l’exposition2, Alain Le Provost énonce à propos de son rapport à sa collection : « Si c’est un portrait, ce serait alors un portrait fictif. J’ai envie que l’on me voie d’une certaine façon et la collection serait là pour vous faire voir celui que j’aimerais être ou paraître mais que, peut-être fondamentalement, je ne suis pas. Donc c’est peut-être une totale imposture, en tout cas une fiction. » La question de l’imposture est ici intéressante car dans sa collection, Le Provost dédie une salle entière, chez lui, à Marcel Duchamp qui avait lui-même créé et incarné Rrose Selavy, son hétéronyme féminin. On retrouve d’ailleurs dans l’exposition La Boîte Verte de 1934 dont l’éditeur n’est autre que Rrose Selavy. À ses côtés, « une peinture cuite » de Morgane Tschiember, des peintures / écrans de Cécile Bart ou encore un Mondrian à la fourrure synthétique de Sylvie Fleury.
Quant au dernier collectionneur, il a souhaité conserver l’anonymat. Le choix de ses œuvres dénote une touche d’humour décalé voire une certaine irrévérence : Trophy, de Wim Delvoye, est un bronze poli où deux cerfs s’accouplent ; Habiter la viande crue de Gilles Barbier est un amas de répliques de morceaux de viande crue comme l’indique son titre. Au premier regard, c’est donc la dérision qui surgit de cet accrochage puis le caractère surréaliste de certaines œuvres nous plonge dans une certaine étrangeté ; la perte de gravité dans le monde à l’envers de Philippe Ramette, la pile de livres sertie de globes oculaires et d’une longue langue de Théo Mercier.
Au-delà de la collection, la question de la sélection se pose. Quelle œuvres choisir parmi ces ensembles pour créer un dialogue cohérent entre les différentes pièces mais aussi, dans le cadre de ce type d’exposition, entre les différentes collections ? La déambulation à travers les cinq espaces apparaît comme une accumulation d’œuvres et le lien entre celles-ci semble ténu.
1 Gallimard, Paris, 1968.
2 Collectionner, le désir inachevé, Mathieu Delalle, 2017.
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