r e v i e w s

Stéphane Thidet

par Vanessa Morisset

Le Tour du vide,Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, 19.01—14.04.2019

Chaque exposition à la Chapelle du Genêteil réserve la surprise de découvrir comment l’artiste invité a pensé son œuvre ou son installation par rapport à ce lieu à la fois vaste et vide puis, bien sûr, architecturalement déterminé. La proposition de Stéphane Thidet, avec une grande élégance, presque une évidence, dépasse de ce point de vue les attentes. Sentiment d’évidence en effet tant son installation est calée en équilibre entre les murs, le sol et le plafond et, pourtant, si on réfléchit deux secondes aux éléments en présence, si peu habituels dans une chapelle, on se demande comment il est possible qu’un bateau suspendu en hauteur à l’envers, son mât traînant dans une couche de sable recouvrant le sol, puisse inspirer une telle impression de classique sérénité. Ou alors, est-ce la capacité de cette œuvre à concilier les contraires qui explique l’attrait, voire la fascination, qu’elle ne manque d’exercer ?

Comme souvent dans les installations de Stéphane Thidet, les choses ont été pensées en grand. L’œuvre occupe tout l’espace, le mât en particulier, traversant en diagonale la nef romane. Mais de l’ensemble se dégage une certaine modestie, due sans doute aux éléments convoqués, simples, prosaïques, y compris dans l’imaginaire — un bateau, du sable— à quoi s’ajoute le fait qu’aussitôt dit, le terme « occuper l’espace » s’avère inadéquat, l’œuvre consistant autant dans le vide qu’elle révèle que dans ses matériaux. Son titre d’ailleurs l’annonce clairement puisqu’il s’agit de faire « Le Tour du vide ». Présence forte de matériaux on ne peut plus affirmés, notamment le bois reluisant du bateau, et espace finalement à peine rempli de la chapelle sont les deux composantes de cette œuvre, avec, entre les deux, l’idée de tracer, de dessiner. Car il s’agit bien d’une monumentale machine à dessiner, démesurée, quelque peu absurde — shadokienne ? — qui, lorsqu’elle est en fonctionnement, est animée d’un mouvement conduisant le mât à tracer des cercles dans le vide et dans le sable[1]. Un nouvel usage, inattendu, est ainsi inventé pour cet objet monumental, tout en ramenant chacun au souvenir du geste minuscule et enfantin d’enfoncer son doigt pour tirer des traits dans le sable d’une plage, l’été. La pièce rappelle aussi bien sûr toutes les machines à dessiner de l’histoire de l’art, à commencer par celles de Tinguely, elles aussi absurdes et drôles dans leur manière de se substituer à la main de l’artiste, mais bricolées, mal fichues et chaotiques, alors que celle-ci, dans son apparence, est parfaite. Parce qu’enfin, il faut insister sur la beauté de l’ensemble. Le bateau, précisément un fireball pour les spécialistes, un bateau de compétition, avec sa forme effilée et sa coque en bois vernie, ressemble à un objet de collection. La sable au sol est lui aussi superbe, clair et fin, réparti impeccablement car passé au tamis, tel un désert miniature où le sable se serait répandu au gré des vents, hormis le cercle tracé par le mat mais dont la temporalité semble bien éphémère par rapport à celle de la matière naturelle. Cette dimension esthétique des éléments naturels, très souvent présente dans les œuvres de Stéphane Thidet — par exemple la surface verte que forment les lentilles d’eau dans une autre installation récente, There is no Darkness, exposée en 2018 à Taipei et de nouveau à Chaumont-sur-Loire au printemps 2019 — apporte une temporalité spécifique, celle du temps long des cycles végétaux et de la géologie. Importé d’une berge d’une rivière de la région, le sable rappelle aussi le contexte géographique de la chapelle, Château-Gontier étant traversée par la Mayenne, non loin de là (et l’on sait, depuis la monumentale œuvre Détournement à la Conciergerie de Paris où il avait fait enter le flux la Seine dans le bâtiment, l’intérêt que l’artiste porte aux cours d’eau). Œuvre onirique et œuvre en contexte, voilà donc une dernière contradiction réconciliée.

Avec cette installation, Stéphane Thidet convoque dans la Chapelle du Genêteil plusieurs dimensions — monumentale, esthétique, temporelle, en somme contemplatives — qui amènent à porter un regard nouveau sur le lieu, en particulier sur son plafond de bois, en écho à celui du bateau qui, de charpente romane en plein cintre, devient elle aussi une coque à l’envers. Par ses propres qualités, et n’ayons encore une fois pas peur du mot, sa beauté, l’œuvre révèle celle du lieu.


[1] Au moment de ma venue, l’œuvre n’était pas en fonctionnement.

Image en une : Stéphane Thidet, Le Tour du vide. Photo : Marc Domage.


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