Hypnose

par Philippe Szechter

Musée d’Arts de Nantes, 16.10.2020-31.01.2021

L’exposition « Hypnose » se propose d’examiner les liens qu’entretient la pratique thérapeutique éponyme avec l’art. L’historien de l’art et commissaire de l’exposition Pascal Rousseau nous invite à (re)penser les relations que les artistes tissent avec l’hypnotisme.

Un premier parcours présenté dans le Cube, dont la scénographie s’organise en petites alcôves intimistes plongées dans la pénombre, est subdivisé en six sections chronologiques allant de Mesmer à nos jours. Une installation immersive de Tony Oursler clôture l’exposition. Inédite, elle est constituée d’une douzaine d’œuvres mêlant sculpture et art vidéo et créées spécifiquement pour la chapelle de l’Oratoire. L’artiste américain s’empare de l’histoire de l’hypnotisme et la conjugue à nos angoisses contemporaines liées aux technologies numériques. Invité à déambuler dans la pénombre, le spectateur circule autour d’installations foisonnantes composées d’images de personnages mystérieux aux comportements intrigants. Dès l’entrée, une saynète reprend une caricature de Franz Anton Mesmer1 : un mannequin, à la tête d’âne et à la queue animée, représente le médecin viennois en pleine séance d’hypnose. Le visage de la jeune fille qu’il a pour patiente est vidéo-projeté sur un écran saturé des logos des principales figures des Big Data. Dans Magnetic Tree, sur un arbre factice qui fait référence à l’arbre de Puységur2, une bouche verticale vidéo-projetée articule des phrases qui se noient dans le flux des installations voisines. Avec Charcot Bed, est projetée une vidéo sur les voilages-écran du lit métallique d’une femme prise de crises hystériques – évocation lointaine des séances du docteur Charcot à La Salpêtrière3. Le baroquisme d’Oursler s’exprime aussi dans les projections de l’artiste sur de gigantesques ballons au travers desquels s’entremêlent les théories de Newton et les Big Data.

Tony Oursler, State_NonState (Hypnosis), 2020.
Vue partielle de l’installation de Tony Oursler dans la Chapelle de l’Oratoire,
Musée d’arts de Nantes. Photo : C. Clos. Courtesy Musée d’arts de Nantes

Plus loin, un écran fragmenté accueille des extraits du film Le cabinet du docteur Caligari de Fritz Lang et un smartphone géant est transformé en Dark Mirror. La profusion d’images et de sons plonge le spectateur dans un univers chaotique où se croisent attirance visuelle et angoisse dystopique. Dans le cœur de la chapelle trône un remake de la Dream Machine4 de Brion Gysin, dont le changement d’échelle inviterait non plus à un rapport hypnotique onaniste mais à une séance d’envoûtement collectif. En contrepoint, Tony Oursler évoque le pouvoir hypnotique de la télévision en installant face à face une grosse tête du mannequin ventriloque Stooky Bill et un disque de Nipkow. À proximité, Facial recognition, une silhouette de visage géante affublée des points multicolores qu’utilisent les logiciels de reconnaissance faciale nous alerte sur les dangers d’une société de surveillance. Tony Oursler nous laisse libre de subir ou non l’emprise hypnotique et fantasmagorique de son œuvre.

La section « L’Hypnose contemporaine » est certainement la partie la plus passionnante du parcours dans le Cube. Les artistes, dans une approche post-éricksonnienne, abordent des questions d’identité, de dissociation et de sexualité alternatives. Mom/Me de Larry Miller5 se présente sous une forme documentaire, constituée de la vidéo de la performance de l’artiste avec son hypnothérapeute, complétée de photos de famille, de photogrammes et d’intrigants dessins. En état hypnotique, l’artiste réalise ces dessins, dans un acte de distanciation psychique et de dédoublement de personnalité, pendant une séance où son hypnotiseur lui suggère de se penser être sa mère. Par cette (en)quête introspective, Larry Miller cherche les raisons pour lesquelles il est devenu artiste.. Avec The Other, Matt Mullican6 se met en scène dans une performance sous hypnose. Une capture vidéo retrace l’expérience au cours de laquelle l’artiste devient son alter ego – un autre lui-même sans âge ni genre. Ses dessins ésotériques, saturés d’écritures et de chiffres, sont suspendus pour former un environnement labyrinthique.

Marina Apollonio, Spazio ad attivazione cinematica, 1966
Installation au sol, dimensions variables. Photo : C. Clos. Courtesy Musée d’arts de Nantes

La section« Psychedelia » s’attache quant à elle à l’art optique des années 60 qui, influencé par les psychiatres américains Kubie et Margolin, repose sur une hypnose sans hypnotiseur7. Cette fois, ce sont les œuvres elles-mêmes qui auront un pouvoir hypnotique sur le spectateur. Déjà expérimentées par Marcel Duchamp dans les années 20, qui déléguait à la machine le pouvoir d’emprise sur le spectateur, les théories cybernétiques influenceront aussi largement les artistes dans les années 60. L’influence d’Abraham Moles ouvrait la voie à des œuvres multisensorielles et immersives : ainsi de l’œuvre de Marina Apollonio qui revisite la figure de la spirale, ou de l’œuvre mécanique d’une froideur inquiétante Mouvements circulaires de Joël Stein, artiste membre du GRAV,dont le fonctionnement repose sur les principes sériel et géométrique. Difficile de ne pas évoquer la période surréaliste et les dessins poèmes de Robert Desnos, qui inaugurent les séances d’hypnose collective, ou la période romantique avec ce tableau saisissant de Gustave Courbet, La Voyante ou la Somnambule, qui traduit à merveille l’état second dans lequel est plongé son modèle. Difficile encore d’oublier les dessins si singuliers de Théophile Bra, tracés dans un état d’emprise « magnétique » annonçant l’art abstrait d’un Kupka ou d’un Kandinsky.

L’œuvre hypno(p)tique sonore Hommage à Émile Coué d’Alain Séchas se lit à la fois comme une synthèse de l’exposition « Hypnose » et une injonction prémonitoire, dans notre époque pandémique, à se répéter « tous les jours, à tout point de vue, je vais de mieux en mieux ».


  1. Pascal Rousseau, Hypnose, Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours, 2020, Beaux-Arts de Paris éditions – Musée d’Arts de Nantes, pp.11-38 et pour une approche philosophique de la formation de la psychologie des profondeurs, Peter Sloterdijk, Bulles, Sphère 1, 2002, Hachette Littérature, pp. 244-266
  2. Pascal Rousseau, Hypnose, Art et hypnotisme de Mesmer à nos jours, 2020, pp. 42-45.
  3. Ibid., pp. 124-125.
  4. Ibid., pp. 282-289.
  5. Ibid., pp. 318-323.
  6. Ibid., pp. 324-331.
  7. Ibid., p. 275.

Image en une : Tony Oursler, State_NonState (Hypnosis), 2020.
Vue partielle de l’installation de Tony Oursler dans la Chapelle de l’Oratoire,
Musée d’arts de Nantes. Photo : C. Clos. Courtesy Musée d’arts de Nantes


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