Saison #5 – Dis] Play Off [Line, 1er cycle
Expositions de Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu et Victor Vaysse, Ludovic Chemarin©, Cécile Le Talec, Benoit Maire, Lucy + Jorge Orta
Les Tanneries, Amilly, 10.10-13.12.2020*
La veille du vernissage, au milieu d’un accrochage encore un peu en chantier, Benoît Maire réfléchit à quelques finitions et, autant pour trouver une solution que pour expliciter sa démarche aux personnes présentes, il remarque que le sens excède toujours les significations. Selon lui, il en va de même pour les œuvres d’art, le rôle de l’accrochage étant précisément de rendre, sinon compréhensible, au moins perceptible, la nébuleuse de sens qui les entoure. Comment mieux définir le travail de mise en relation des pièces au sein d’une exposition ? Et du même coup, comment mieux faire comprendre l’esprit de la thématique proposée par Éric Degoutte pour l’ensemble des expositions de ce début de cinquième saison des Tanneries, dont le mot d’ordre est Display off line. Il est une invitation à jouer avec et entre des lignes littérales ou métaphoriques, le terme de display, tout générique qu’il est, étant à la fois au cœur de la démarche de Benoît Maire et de la nouvelle saison.
Dans l’immense halle du rez-de-chaussée, des pièces, pour la plupart monumentales, de Lucy + Jorge Orta (une installation composée d’une succession de lits de camp, un bateau-laboratoire à purifier l’eau…) interagissent avec l’ancien atelier de traitement des peaux et soulignent la manière dont ses anciennes fonctionnalités déterminent son architecture. Dans ce lieu chargé de ce passé industriel et à la fois physiquement dépouillé, proche du style brutaliste, le duo d’artistes s’est essayé à de nouveaux rapprochements, évoquant un univers de situation d’urgence qui se veut humaniste, certes un peu convenu.
Plus enchanteresse, à l’étage, sous la verrière, dans l’intégralité de la longueur du lieu et même dans l’intégralité de l’espace – puisque la pièce est aussi sonore – l’installation de Cécile Le Talec est d’emblée immersive et néanmoins mystérieuse. Au sol, une étendue qui s’avère être de sable, un sable très clair où des formes a priori abstraites ont été peintes en noir au pochoir, se découvre comme une frise, en marchant tout autour, tapisserie de Bayeux éphémère dont on ne déchiffre pas les figures schématisées. Inspirées des motifs de tapis berbères tissés par les femmes de l’Atlas – qui les utilisent comme codes pour se transmettre entre elles leurs secrets, écriture d’une histoire traditionnellement jugée mineure – ces formes , aussi bien échos à certaines recherches modernistes liant, elles aussi, peinture et musique, apparaissent dans l’œuvre de Cécile Le Talec comme la traduction visuelle de la musique qui l’accompagne : l’histoire secrète des femmes devient rapsodie. En complément, par la fenêtre, on aperçoit dans le jardin de sculptures une autre œuvre de l’artiste, Folies mélodiques, elle aussi traduction visuelle d’éléments sonores. Une musique composée à partir d’enregistrements du bruit des fleurs (à écouter, quand on se trouve proche) et à regarder, sous la forme d’une tonnelle minimaliste (même de loin).
Dans l’une des salles attenantes, Camille Besson, Raphaël Rossi, Maxime Testu et Victor Vaysse, anciennement identifiés comme le collectif du Marquis, ont installé leurs pièces qui ont en commun de se référer aux images issues de la culture médiatique : affiches de cinéma pour Raphaël Rossi, eau-forte aux allures de vignettes de bandes-dessinées pour Maxime Testu… dans une continuité assurée visuellement, au mur par une frise noire qui rappelle une pellicule de cinéma, prolongée au sol par un rouleau de moquette noir, comme laissé – là, marque de passage, voire signature collective des artistes. Leur accrochage invite à penser les modalités possibles de collaboration entre artistes aujourd’hui.
Puis, dans un plus vaste espace du même étage, on découvre l’exposition évoquée en introduction de Benoît Maire. Intitulée In Hawaii, et bien que comportant des peintures des nuages, elle n’est pas pensée comme un voyage vers des paysages de rêves mais comme une interrogation sur la manière dont l’art peut faire écho à l’actualité. Doit-il le faire directement ? Benoît Maire choisit au contraire de passer par le détour d’un événement historique qui en son temps a occupé les journaux, comme le montrent les éléments sérigraphiés sur ses toiles. Car le Hawaii dont il est ici question est celui de l’attaque de Pearl Harbor. Titres et amorces d’articles sont transportés par l’artiste aux côtés de nuages donc, motifs dont il s’est emparé depuis quelques années comme symboles de l’histoire de la peinture. La tradition picturale se trouve mêlée aux faits politiques.
Enfin, dernier artiste exposé dans cet ensemble de propositions déjà très riches, Ludovic Chemarin© est dispersé dans le jardin de sculptures. Car Ludovic Chemarin© est moins un auteur qu’un principe (créé par Damien Beguet et P. Nicolas Ledoux en 2011), un nom d’artiste acheté à son « propriétaire » alors que celui-ci avait décidé d’arrêter de faire de l’art. Son nom continue ainsi à produire des œuvres après lui, sans compter qu’il peut lui-même (oui, le vrai) être invité à en produire une, comme c’est le cas ici avec une pièce in situ. Ludovic Chemarin© est un dédale conceptuel dans lequel on se perd avec bonheur, à l’image de ce premier cycle de la cinquième saison aux Tanneries.
* Certaines des expositions sont prolongées : Ludovic de Ludovic Chemarin© jusqu’au 3 janvier 2021 / IN HAWAII de Benoît Maire jusqu’au 7 février 2021 / Lucy + Jorge Orta : Interrelations de Lucy et Jorge Orta jusqu’au 30 mai 2021.
Image en une : Benoit Maire. Vue de l’exposition In Hawaii. Photo Aurélien Mole. Courtesy de l’artiste et des Tanneries, Centre d’art d’Amilly.
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- Du même auteur : Wael Shawky - Dry culture Wet culture, Defiant Muses, Un énoncé surpris par hasard, Lytle Shaw, Pierre Ardouvin, Nathaniel Mellors,
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