Julie C. Fortier à La Criée, Rennes
Extérieur Jour
Sur un écran suspendu est projetée l’image d’un autre écran planté dans un terrain vague, un drive-in,quelque part dans l’Est canadien. La scène se passe en plein jour, l’écran est blanc, le parking est désert, la magie du cinéma s’est éclipsée, il n’y a rien à voir – circulez ! Seul le temps s’écoule à l’infini, faisant la démonstration imparable de la vacuité du réel. Mais cet espace n’est pas vide, il serait plutôt plein d’un vide hanté, déjà habité par le vacarme du projecteur et la machinerie titanesque qui permet de faire tourner en boucle la pellicule Super 8.
C’est la mécanique de l’imaginaire qu’on entend là, celle sur laquelle mise Julie C. Fortier en réduisant au minimum l’éloquence de ses embrayeurs de fiction. Il faut passer derrière l’écran pour s’engouffrer dans
l’interstice de la mise en abyme. On y assiste à l’autopsie des illusions, quand cette enfant du cinéma reproduit la maquette de la maison qui s’envole dans Le Magicien d’Oz. Pas étonnant que cette détective spécialisée dans les comportements schizophrènes du réel soit fascinée par les effets spéciaux, où la règle est d’user du plus faux pour faire plus vrai. Ainsi a-t-elle découvert que la maison de Dorothée ne s’était pas envolée, mais a fait une chute libre sur la caméra avant que la scène ne soit passée à l’envers. Sa course interrompue, dans une fragile lévitation, elle semble attendre son sort. Sera-t-elle emportée dans le monde imaginaire ou rattrapée par les lois de la gravité. C’est dans cet entre-deux que nous laisse errer Julie C. Fortier, dans le doute inexorable qui s’est installé dans le réel en même temps que le cinéma est entré dans la maison. La frontière est désormais poreuse. Alors la fiction fait irruption dans le quotidien, quand La Tribune de Sherbrooke datée du 25 mai 1985 montre une voiture criblée de balles pour avoir approché de trop près le repaire des Hells Angels. Le visiteur lui-même est invité à banaliser le fait divers par dissémination, en emportant une reproduction de ce journal où le texte a disparu.
« On ne sait plus de quel côté de l’écran on se situe » dit-elle. Au fond peu importe, ce qui intéresse Julie C. Fortier c’est d’observer comment l’illusion triomphe toujours par l’effet de réel, et ce sans trop d’effort. La double vidéo Maison Desjardin montre le démantèlement d’une maison en kit exposée sur un parking pour un grand tirage au sort et sa reconstruction sur le terrain de l’heureux gagnant. Dans cette œuvre plus ouvertement critique, l’analogie est plutôt tentante, entre ce pavillon symbole de l’accomplissement social, et les identités préfabriquées ou démontables du consumérisme mondialisé. Qu’en est-il des vérités sur lesquelles le monde s’est assis pour continuer d’exister, quand la maison – le chez-soi – ne cache plus sa vraie nature de décor de cinéma ? Ou, pour reprendre Baudrillard, Pourquoi tout n’a-t-il pas déjà disparu ? (1)
(1) Titre d’un texte inédit paru aux éditions de L’Herne, coll. Carnets, 2008.
Julie C. Fortier, Cinéma-Maison
La Criée, Rennes
19 février – 3 avril 2010
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- Du même auteur : Fabrice Hyber, 2716, 43795 m2, Ane Hjort Guttu, Urbanisme Unitaire, Amalia Pica, One Thing After Another, Alan Fertil & Damien Teixidor, Gabriel Kuri, bottled water branded water,,
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