Jeff Koons à Versailles
Koons, les pieds dans le tapis
Par Bénédicte Ramade
Depuis l’ouverture de l’exposition Koons à Versailles, avec trompettes et tambours, déroulant tout le faste de la république muée en oligarchie, les chroniqueurs se sont répandues positivement, certains même allant vers la Galerie des Glaces comme on va à Lourdes. Certes, on a fait bien pire dans le mélange, la tarte à la crème qu’est devenue la soit-disant battle art contemporain versus patrimoine. Le choix de Koons pour cette super pâtisserie dorée à la feuille qu’est Versailles était parfait. L’exposition s’est muée en une véritable poupée russe de mégalomanie, entre celle du créateur et celle de ses super collectionneurs, le très médiatique François Pinault en tête, en grand ordonnateur du raout de la rentrée.
Du bling et du fun, de la culture comme on l’aime maintenant, indolore et divertissante, Mickey dans la chambre du roi, l’ère du vide Lipovetskienne. Koons a mis son autoportrait en marbre dans le salon d’Apollon. Logique. Méthode Coué sans doute pour croire en sa toute puissance mais de tels « traits d’esprit » font souvent « pschitt ». Bien sûr, force est de constater qu’il y a tout de même quelques réussites dans ce parcours en dix-sept œuvres. Dès lors que les œuvres s’affranchissent du dispositif de monstration/protection qui les carapace. Car on ne joue pas impunément dans les salons de Versailles. Tout Koons qu’il est, il a dû lui aussi obéir aux règles du patrimoine. Vous allez comprendre tout de suite. Dès le salon d’Hercule, le Balloon Dog (magenta), délicieuse choucroute rutilante trône sur un socle recouvert de velours lie de vin à l’effet désastreux. Podium cheap et massif ; quitte à jouer l’ultra visibilité, on comprend mal ce qui a poussé l’artiste ou le commissaire à choisir cette version « élection de super mamie ». Passe encore lorsque le dispositif opte pour des socles en faux marbre, cela peut être drôle. Mais le plus souvent, le ver est dans le fruit et gâte le produit. Prenez Rabbit en acier inoxydable effet miroir, encagé par une cloche de verre sur son piédestal en faux-marbre, on atteint le summum du ratage. Et un effet bibelot garanti. La rencontre n’exerce une déviance féconde et retorse que trop rarement, lorsque les sculptures sont affranchies des dispositifs-verrues. Le homard, réplique d’une bouée en alu polychrome, pend avec une grâce désolante en pendant d’un lustre de cristal dans le salon de Mars, un Louis XIV en acier bien kitsch assume son mauvais goût dans le salon de Mercure et un bouquet en bois peint est tapi dans la chambre de Reine. Ce sont ces embuscades qu’on aurait aimé plus fréquentes. Le pompon étant remporté par Chainlink fence, certes une des pièces les plus nulles de Koons, une barrière grillagée ornée de deux fausses bouées gonflables, posée sur une rehausse en velours. N’est pas Louis XIV qui veut. Et là de nous rappeler ces quelques lignes écrites par Louis Marin lorsqu’il analysa le système de « Versailles » :
« Le pouvoir politique, le pouvoir d’Etat, s’approprie les dispositifs de la représentation, il en produit, il en construit, parce que ce dispositif de représentation se construit lui-même comme puissance d’effets. Autrement dit, la représentation, dans le cadre de cette pensée de l’absolutisme, serait cette « façade », l’ « orthographie » palatiale, comme disent les traités d’architecture de l’époque, où émerge, se présente et se résume le fond, l’arrière-fond sombre du pouvoir. Mais inversement, quoique dans le même mouvement, la représentation est non plus façade, mais machine à effets. […] Ce qui est en jeu dans le jeu des signes, ce n’est pas de cacher la force, mais de faire croire à la réalité de ce qu’ils simulent. »
« Un double pouvoir de la représentation apparaît ainsi : par délégation, effet et pouvoir de présence au lieu de l’absence et de la mort ; par auto-présentation, effet et pouvoir de sujet, c’est-à-dire d’institution, d’autorisation et de légitimation ; d’un côté, rendre à nouveau et imaginairement présent, l’absent ou le mort ; de l’autre, construire une identité légitime et autorisée par exhibition ostentatoire de qualifications et de justifications.
C’est au croisement et à l’échange de ces diverses significations et processus que se constitue la représentation du pouvoir d’état en monarque absolu ; le lieu du pouvoir, l’ordre local de l’absolu, nous l’avons vu, c’est la tension à l’absolu de la force, le désir d’absolu. Dès lors, la représentation est l’accomplissement imaginaire de ce désir. » À Versailles aujourd’hui, il s’agit bien plus d’une démonstration du désir de pouvoir que d’art. C’est certainement là qu’est le nœud du problème.
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- Du même auteur : Un Michel de Broin un brin solennel mais redoutable,
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