r e v i e w s

Biennale internationale du Son

par Guillaume Lasserre

Biennale internationale du Son – Valais, Suisse
Commissaires :  Jean-Paul Felley, directeur de la Biennale, Christophe Fellay, Luc Meier, Sylvie Zavatta.
Du 16 septembre au 29 octobre 2023

Nouveau rendez-vous helvète de l’art contemporain, la première édition de la Biennale internationale du Son investit le canton du Valais avec la volonté de célébrer la place de plus en plus prégnante du son dans la création plastique. Avec Sion pour épicentre, l’évènement résonne dans cinq villes et dix-sept lieux. Débordant par sa multidisciplinarité des cases qui délimitent des disciplines artistiques pourtant plus poreuses qu’il n’y parait, la biennale invite à voir et à entendre les œuvres de plus de soixante-dix artistes déclinées en installations, sculptures, œuvres textuelles, films, performances, concerts, pièces de théâtre. C’est dans un lieu emblématique de la ville de Sion, la Centrale de Chandoline, immense bâtiment de style moderniste, que se situe le centre névralgique de cette première édition, accueillant la majorité des performances et concerts, de Saâdane Afif à Tobias Koch, d’Isabel Lewis à Antoine Chessex. La pièce performée par la vocaliste et artiste transmédia tokyoïte Ami Yamasaki interprétant le « Manga scroll » de Christian Marclay, ouvrait la manifestation de manière fracassante. 

Deborah Joyce-Holmann, Untilted (In Rage).
La Grenette de la Ferme-Asile © Biennale Son / FINIStudio

Parmi les lieux associés, le musée d’art du Valais déploie des installations sonores mais aussi des œuvres muettes dont le son est induit dans leur forme. Ainsi, « Bourdon du Rhône » (2023) d’Adrien Missika, « un jeu dont le joueur invente les règles » se compose de galets du Rhône qui présentent des mots autant que des chuchotis et des flèches pas vraiment droites. Ils sont lancés tels des dés sur un long tapis de jute et de chanvre marqué par cinq lignes parallèles d’une portée. Ici, la prédiction de l’oracle se devine dans une partition musicale, invitant le visiteur à activer l’œuvre pour composer sa propre version. Un peu plus loin, la vidéo « Assange dancing » (2012) de Clément Cogitore montre le lanceur d’alerte créateur de Wikileaks dansant quasiment seul sur la piste dans une lumière stroboscopique. En supprimant le son, en usant du ralenti et de la boucle, l’artiste accentue l’aspect chamanique de cette « danse pour chasser les démons », signant le portrait d’un héros tragique d’aujourd’hui. L’exposition se poursuit avec le « SaXophone » (2019) de Valentin Carron, et « Dreamscape », prémisse à une archive des rêves d’Éva Frapiccini. Un peu plus bas, à la Grenette, ancienne galerie municipale désormais dirigée par la Ferme-Asile, l’installation sonore ambiophonique « Untitled (in rage) » (2021-23) de Deborah-Joyce Holman plonge le visiteur dans l’intimité d’un espace étroit tamisé par des filtres orange. Une rangée de six haut-parleurs fait face à des caissons de basse geignant sous les bancs des visiteurs. Paysage sonore empreint de tension et de colère dont les différentes contributions se détachent comme des voix individuelles, il compose une sorte de chorale chaotique. Si l’œuvre est dépourvue d’encrage narratif, sa force émotionnelle a un potentiel transformateur. « Il s’agit de ce que nous faisons, et de ce que nous ne faisons pas. De la façon dont nous écoutons, et de la façon dont nous n’écoutons pas – qu’avons-nous appris à rejeter comme étant du silence ? » interroge l’artiste suisse. 

L’église des Jésuites offre un très bel écrin à « On the edge » (2016), première œuvre purement sonore de Julian Charrière, faisant surgir les images mentales à partir de nos vécus, de nos peurs. Des échantillons audios de comptes à rebours provenant de différents coins de la conscience collective brouillent la frontière entre fiction et réalité. La grange de la Ferme-Asile, diffuse en très grand format la vidéo « If and only if » (2018) d’Anri Sala, road-movie dans lequel un escargot entame une longue marche sur le dos de l’archer alors que l’altiste interprète l’« Élégie pour alto solo » de Stravinsky. À l’arrière de l’écran, l’artiste albanais augmente sa pièce d’une chorégraphie lumineuse pensée spécifiquement pour rythmer la structure de bois en forme de coque de bateau renversée.

Latifa Echakhch, Der Allplatz (2023). La Centrale © Biennale Son. Photo Olivier Lovey

À Martigny, six lieux associés à la Biennale présentent des œuvres issues de la collection du Frac Franche-Comté dédiée au temps et dont une partie est en lien avec le son. Sa directrice, Sylvie Zavatta assure le commissariat de cette section réunissant les productions de vingt-deux artistes présentées pour la plupart au Manoir de la ville, dédié à l’art contemporain. Le rez-de-chaussée rejoue l’exposition que Nina Laisné a présenté à Besançon autour de la « joueuse de tympanon », l’automate représentant Marie-Antoinette et l’histoire de Karl Wilhelm Naundorff, horloger ayant usurpé l’identité de Louis XVII, source du film « L’air des infortunés » (2019). Aux étages, sont présentées entre autres « Daleko (loin) », œuvre de Marceline Delbecq à la croisée des arts visuels et de l’écriture et « Mashup IV », diptyque cyanotype de Christian Marclay présentant deux audiocassettes dont les bandes magnétiques sont déroulées. Le téléphone modifié de « DIAL-A-POEM » de John Giorno précède deux vidéos d’Ulla Von Brandenbourg : « The record : 2005-2014 » faisant référence à « L’Atalante » de Jean Vigo, et l’extraordinaire « Le milieu est bleu » (2020), à la fois préparation de rituel, rituel et récit de transformation et d’émancipation, dans laquelle l’artiste déjoue à nouveau les frontières entre le cinéma, le théâtre, le conte et la vie. La Fondation Louis Moret expose des œuvres de Roman Signer, Sadaâne Afif et Tom Johnson, tandis que la Grange à Émile donne à voir l’une des plus belles œuvres de cette collection, le film « Afterword via Fantasia » (2015) de l’artiste américaine Catherine Sullivan, évoquant l’histoire de l’Association for the Advancement of Creative Musicians (AACM), foyer de création essentiel qui a permis à une génération de musiciens noirs de sortir des clichés et de développer un free jazz et un jazz expérimental proches des musiques contemporaines.

De l’ambition, cette première édition de la Biennale internationale du Son n’en manque pas. De Martigny à Sierre, elle expose la diversité des acteurs qui travaillent sur ces problématiques entre art et son pour mieux rendre compte de leur interpénétration. Elle interroge aussi notre rapport à l’environnement et à d’autres formes du vivant, à l’image de ce court poème composé pour la biennale par David Horovitz et placardé sur le mur de la Centrale : « Imagine le silence émanant d’un glacier disparu ».

Christian Marclay, Manga Scroll, interprété par Ami Yamasaki © Biennale Son. Photo Olivier Lovey

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Head image : Roman Signer, Piano (2010) – Collection Frac Franche-Comté  © Roman Signer. Photo Blaise Adilon


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