Protocole d’erreur
Julien Prévieux
Par Claire Staebler
Après Think Park et Le dilemme du prisonnier — ses expositions personnelles à la Synagogue de Delme et au Château des Adhémar — Julien Prévieux confirme à la Galerie Edouard Manet son intérêt croissant pour le développement d’une pratique de l’installation avec en filigrane la question de l’échelle et de la fonction de ses sculptures. Les fantômes de personnalités aussi hétéroclites que Le Corbusier, Virginia Woolf, Larry Page et Sergey Brin ou encore Donald Michie viennent hanter l’espace spectral et épuré d’Anomalies Construites. L’écran, la 3D, la cartographie et l’aménagement du territoire réel et virtuel constituent les portes d’entrée dans l’univers de l’artiste pour qui les anomalies sont à la fois physiques et mentales.
En s’interrogeant sur l’existence de lieux favorables à l’émergence de la pensée, Julien Prévieux a déterminé deux types d’espaces : les chemins et les cabanes — partant du constat que les philosophes, écrivains, architectes ou ingénieurs ont souvent élaboré certaines des idées les plus révolutionnaires dans des maisonnettes, refuges, cabanons de jardin ou plus récemment garages. Mais pourquoi ces espaces fragiles, sans fondations et difficiles d’accès constituent-ils des lieux privilégiés de l’élaboration de projets complexes ? Dès la première salle, Le Lotissement propose une version mise à jour de cette série initiée en 2008. Oscillant entre la rue, le mini-lotissement ou l’allée de cimetière, l’alignement de cinq maquettes de maisons semble faire référence à des constructions élaborées sur des logiciels d’architecture puis directement matérialisées pour l’exposition. Sorte d’extension de sa boite crânienne, par sa volonté de les homogénéiser, de les standardiser, Julien Prévieux les transforme en prototypes, entre le meuble et la cabane pour enfant. Opaques et neutres, ces architectures deviennent des surfaces de projection et de simulation pour autre chose. Dans le même espace, la pièce sonore L’Huissier revisite la pratique de la médiation et de l’audio-guide. Pendant vingt minutes, un huissier décrit entièrement l’exposition précédemment présentée à la Galerie Edouard Manet. Factuel, raide et discipliné, il opère une sorte de mise à niveau en décrivant sur le même ton les œuvres et le mobilier d’exposition.
Julien Prévieux, Le lotissement, 2008 — 2011
Dans le second espace, la cohabitation de Menace 2 (2010) et de la série D’octobre à Février (2010) invite les spectateurs à s’interroger sur des notions aussi diverses que la rébellion et la ségrégation, le jeu, l’intelligence artificielle et la manipulation de l’homme par la machine. Acronyme de Matchbox Educable Noughts And Crosses Engine, Menace2, est une sorte de meuble à multiples tiroirs inspiré de l’invention de Donald Michie, célèbre pour avoir créé l’ancêtre du jeu d’échecs sur ordinateur. L’œuvre porte en elle la menace d’une intelligence artificielle qui pourrait battre l’intelligence humaine. Selon un principe simple, la mémoire de la machine s’améliore au fur et à mesure que les spectateurs jouent avec elle, la laissant ainsi prendre progressivement le pouvoir.
Avec D’octobre à février, l’activité du tricot témoigne d’actes de contestation et de cartographie sociale. Après avoir utilisé des diagrammes et autres modes de représentations abstraits de données variées (sexualité dans la société, groupe et leadership), Julien Prévieux a fait réaliser une série de pulls dont les motifs représentent les étapes-clés de simulation de phénomènes sociaux réalisées sur ordinateur. La ségrégation et la rébellion sont les deux notions exploitées pour obtenir les grilles représentées. Poursuivant la problématique de L’Huissier, Julien Prévieux délègue à nouveau la question de la performance à de nouveaux « performers » dont l’activité de professionnel ou d’amateur, est déplacée sur le terrain artistique.
Anomalies Construites, la vidéo qui donne son titre à l’exposition,est un long travelling sur une salle d’ordinateurs dévoilant une collection d’écrans sur lesquels apparaissent les pages d’ouverture des logiciels de conception et de simulation en 3D. À travers un récit en voix off, un personnage offre une fois de plus un double discours entre pratiques professionnelles et amatrices, entre activités rémunérées et bénévoles dans le cadre du développement des nouvelles technologies de l’information et de la communication. Si, comme l’affirme Julien Prévieux, « la machine n’amuse pas l’homme, elle s’amuse de l’homme », cette exposition apparaît être un guide de survie potentiel pour un univers minimal et codifié dont la figure humaine serait sur le point d’être congédiée.
Julien Prévieux, Anomalies construites, à la Galerie Edouard Manet de Gennevilliers, du 3 février au 19 mars 2011.
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- Du même auteur : Mandla Reuter, Trisha Baga : World Peace, Melvin Moti au Palais de Tokyo,
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