Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim au Musée Guggenheim, Bilbao
« Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim »
Musée Guggenheim, Bilbao.
16 février – 15 septembre 2024
Le musée Guggenheim de Bilbao ouvrait le 16 février dernier une exposition dédiée aux grands noms du pop art et aux artistes qu’il a inspirés, notamment des artistes sud-américains, français et italiens, tandis que dans la salle attenante, le musée bilbayen proposait une exposition rétrospective de Giovanni Anselmo, une des figures majeures de l’Arte povera.
Le musée Solomon R. Guggenheim a toujours entretenu une relation privilégiée avec le pop art puisque, dès l’année 1963, il contribua à la consécration du mouvement en organisant une exposition d’envergure dans son site new-yorkais, « Six Painters and the Object »,qu’il avait confiée à l’un des curateurs historiques du mouvement, Lawrence Alloway, celui-là même qui lui donna son nom. À soixante ans de distance, il est intéressant de se remémorer l’importance de ce pop art et de ce qu’il a généré en termes de descendance, mais aussi ce qu’il a pointé au sein de la production artistique de l’époque, notamment dans le nouveau rapport à la marchandise et à la consommation. À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, la scène artistique américaine est largement dominée par l’expressionnisme abstrait des Jackson Pollock et autres Willem De Kooning : les Richard Hamilton, Andy Warhol, Roy Lichtenstein, Claes Oldenburg, James Rosenquist forment le noyau dur d’une nouvelle génération qui allait secouer définitivement l’art des années 1950 et que le Guggenheim a su collectionner dès ses débuts.
« Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim » réunit des œuvres majeures de la mouvance que l’on n’a plus l’habitude de voir dans des catalogues, nous laissant imaginer la difficulté de faire se côtoyer dans une même exposition le canonique Grrrrrrrrrrr!! (1965) de Roy Lichtenstein avec le non moins célèbre Flamingo Capsule (1970) de James Rosenquist, le très rare Self-Portrait (1986) d’Andy Warhol – qui, vraisemblablement, fut son dernier autoportrait – avec les expérimentations picturales révolutionnaires de Robert Rauschenberg (Sans titre, 1963) et les affiches déchirées de Mimmo Rotella (Casablanca, 1980) ou encore les « objets mous » de Claes Oldenburg (Soft Pay-Telephone, 1963)
Au passage, il est important de noter que ce mouvement, que l’on associe généralement aux artistes américains, est né en Angleterre et que c’est à Richard Hamilton que l’on attribue généralement sa naissance. Ce dernier est bien entendu représenté dans l’exposition de Bilbao, avec une œuvre de 1965, The Solomon R. Guggenheim Museum (noir et blanc), uneœuvre qui se situe un peu à part dans la production de l’Anglais et qui fait vraisemblablement preuve d’un sentiment de reconnaissance à l’endroit du Guggenheim, mais aussi d’admiration pour l’architecture du musée. La production du natif de Londres, à l’instar de son célébrissime Just what is it that makes today’s homes so different, so appealing? (1956), est annonciatrice d’une inflexion majeure de l’art de cet immédiat après-guerre. Les œuvres d’Hamilton s’éloignent de la peinture expressionniste et de ses envolées romantiques pour se rapprocher d’un quotidien préempté par les représentations d’une marchandise qui apparaît de plus en plus prégnante. Le pop art ne cessera d’ailleurs jamais d’interroger ce rapport à l’objet qu’il investira sous toutes ses coutures, allant de l’adulation la plus spectaculaire – comme celle d’un Claes Oldenburg dont on peut considérer le stretchism comme une forme de célébration et auquel le musée a dédié un espace spécifique pour présenter son monumental Soft Shuttlecock – jusqu’à l’overdose finale d’un Warhol, dont la multiplication des boîtes de soupe Campbell à l’infini ou les séries des Désastres peuvent être lues comme l’issue logique de ce tropisme consumériste.
Mais le pop art n’a pas fait totalement table rase, contrairement à ce que l’on pourrait penser : l’œuvre de Lichtenstein (Girls with Tears, 1987), très justement proposée dans cette réunion de fabuleuses masterpieces, montre tout ce que le peintre américain doit à l’héritage de ses prédécesseurs – notamment à Magritte , dont elle est un sublime écho à son art de la transparence et de l’illusion. La deuxième partie de l’exposition fait d’ailleurs la part belle aux influences d’un pop art renouant avec la vision critique et ironique des avant-gardes européennes – particulièrement le dadaïsme – que le grand art américain de l’immédiat après-guerre avait largement éclipsées. Les assemblages en carton de Rauschenberg (Cardbord, 1971), ainsi que l’entreprise de déconstruction picturale opérée par Jim Dine à la même époque (Pearls, 1961), montrent le chemin parcouru pour aboutir au tremblement de terre artistique que fut le pop art et dont les répliques continuent à se propager à l’intérieur de travaux récents, comme celui de Josephine Meckseper (African Spir, 2011) ou encore celle d’un Douglas Gordon, dont la reprise du célèbre Empire de Warhol montre l’imprescriptible pertinence du New-Yorkais (Bootleg (Empire), 1998). Le Daddy, Daddy (2008) de Maurizio Cattelan, qui fut donné au Guggenheim en 2012, signe-t-il la fin de cette descendance prolifique du pop art et de ses hommages à la culture populaire ou est-il simplement un ultime pied de nez du Milanais à tout ce qui, pour lui, pourrait fait figure d’idolâtrie suspecte ?
L’exposition semble répondre indirectement à l’Italien en montrant que le pop art continue d’inspirer de nombreux artistes contemporains qui ont su updater la vision ironique du pop art, en s’attaquant à des icônes de l’establishment comme le fait le Mexicain José Davila avec l’empilement célébrissime de Donald Judd qu’il reprend dans sa version périssable en carton (Sans titre, 2017), ou encore de l’œuvre de Lucia Hierro et Lucia Guzman Garcia qui réactualise les thèmes fondateurs du pop art, son intérêt indéfectible pour l’objet de grande consommation, mais en version beaucoup plus trash, très littéralement, puisqu’il s’agit désormais de se débarrasser de tous ces objets qui nous encombrent et finissent dans nos poubelles (De Todo un Poco, 2017-2021).
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Head image : Vue de l’exposition / exhibition view of « Signes et objets. Pop art de la Collection Guggenheim ». © Guggenheim Bilbao Museoa.
- Publié dans le numéro : 108
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- Du même auteur : Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica, 9ᵉ Biennale d'Anglet, Biennale de Lyon, Interview de Camille De Bayser, The Infinite Woman à la fondation Carmignac,
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