Pierrick Sorin au Musée d’arts de Nantes
Pierrick Sorin, Faire bonne(s) figure(s), commissariat : Katell Jaffrès,
Musée d’arts de Nantes, du 19 avril au 1er septembre 2024.
« Je n’aime pas tellement le théâtre », confie Pierrick Sorin, dont le travail vidéo emprunte différentes formes, du court-métrage au théâtre d’optique, en passant par l’installation. Le Musée d’arts de Nantes, sa ville natale où il vit et travaille, lui consacre tout l’été une exposition monographique d’envergure réunissant plus d’une vingtaine d’œuvres, des plus anciennes aux plus récentes, ainsi qu’une pièce inédite, conçue spécifiquement pour l’espace central du patio qui avec la chapelle de l’Oratoire accueillent l’évènement, offrant une traversée dans l’imaginaire de l’artiste. Tout à la fois vidéaste, réalisateur, scénographe et metteur en scène, Pierrick Sorin s’essaie, à partir de 2006, à la mise en scène de spectacles, des opéras notamment. Cet adepte de l’autofilmage incarne lui-même tous les protagonistes de ses œuvres – saynètes filmiques tournées dans des décors bricolés, mélangeant objets réels et factices – inspirées par le cinéma burlesque et l’univers poétique de Georges Méliès et de Jacques Tati, ce dernier observant comme lui les gestes ordinaires de la vie de tous les jours. Au fur et à mesure de sa production, il invente un personnage lunaire, volontiers gaffeur, qui interroge le sens de la vie à l’aune de notre quotidien. Le burlesque et l’absurdité portent une forme de réflexion philosophique. Déguisement, comique de répétition, gag de music-hall, tous les ingrédients classiques du divertissement sont présents, rendant ses œuvres d’autant plus accessibles au public que les codes lui sont familiers. Il y adjoint une certaine ironie et une bonne dose de dérision.
Diplômé de l’École des beaux-arts de Nantes en 1988, Sorin cultive le goût de l’illusion et de la poésie caractérisant une œuvre qui met en avant l’importance du récit avec beaucoup d’autodérision, dans des installations vidéo et des dispositifs à effet holographique appelés théâtres optiques. Ces derniers lui permettant de réaliser des mises en scène miniatures au décor fixe dans lesquelles il apparaît sous la forme d’hologrammes grâce à un jeu de reflet sur une plaque de verre inclinée, reprenant le principe du praxinoscope-théâtre inventé en 1876 par Émile Reynaud. « Je reconnais que la simple magie visuelle dans laquelle je me vautre volontiers en réalisant des théâtres optiques me fascine et me rapproche de l’inventeur d’autrefois », confie-t-il. Ses images en mouvement fascinent, opérant une interaction continue avec les visiteurs. Tout est prétexte à mise en scène, y compris les entretiens filmés présentant son travail qui ponctuent l’exposition. Ses pièces abordent l’idée même de la création artistique en offrant au regard du spectateur le processus de l’œuvre. Les personnages incarnés par Pierrick Sorin composent un portrait en creux de l’artiste qui, face au monde tel qu’il va, fait un pas de côté pour mieux interroger sur un mode cocasse les fondements d’une démarche artistique et son inscription dans la société.
Le parcours, dépourvu de parti pris chronologique, propose une déambulation libre qui s’articule autour de Peindre et nettoyer, ou la volonté à l’œuvre, création inédite dans laquelle le protagoniste s’essaie à des expériences picturales sur des vitres qui sont en réalité des écrans vidéo translucides. L’acte banal de laver les carreaux se transforme soudain en un geste poétique et esthétique, une manière de sublimer le quotidien en décalant le regard. « L’important pour moi n’est pas dans la qualité plastique des figures qu’il crée, mais bien dans l’expression d’une volonté farouche de “faire œuvre”, avec tous les doutes et les moments d’insatisfaction qui accompagnent une telle entreprise », explique-t-il. Les pièces exposées le sont en dialogue étroit avec l’architecture du lieu. Les installations à grande échelle se déploient dans le patio, tandis que les théâtres optiques prennent place dans les galeries qui l’entourent. C’est le cas de Pierrick on the Moon (2018) qui utilise les possibilités de trucage qu’offre le fond vert ou bleu pour rejouer en temps réel les premiers pas de l’homme sur la Lune, convoquant la dimension poétique et ludique du trucage, ou encore Un’ Aria sotto la doccia (2019), commande du Voyage à Nantes durant lequel il était montré à l’hôtel Voltaire Opéra, et qui donne à voir un petit Voltaire chantant un air d’opéra sous la douche et sous la direction d’un chef chien. Ce dernier ouvrant l’eau chaque fois que le philosophe chante faux. Dans la chapelle de l’Oratoire, Pierrick Sorin reconfigure un Ballet mécanique, installation réalisée en hommage à Fernand Léger et son film de 1924, Ballet mécanique. Cent ans après le film expérimental coréalisé par Léger et le cinéaste américain Dudley Murphy, Sorin détourne le film dans une installation monumentale associant machinerie, hologrammes et projections d’images, dont le contenu est directement issu d’objets activés par des mécanismes présents dans l’exposition.
Avec l’invention de son personnage maladroit, antihéros en décalage avec son environnement placé dans des situations cocasses du quotidien, Pierrick Sorin nous tend un miroir en mettant en avant nos échecs insignifiants pour mieux nous placer face à nos contradictions. Il affirme ainsi une œuvre à la fois intime et tragi-comique. « Un regard distancié sur ce que la vie a de plus banal porte des questionnements sur l’humain, sur sa fragilité, ses limites. Cela peut conduire à des idées sombres, mais quand on en rend compte avec humour, c’est aussi une source de joie »,dit-il. À l’occasion du Voyage à Nantes, Pierrick Sorin ouvrira son atelier tout l’été, une mise en scène de ses recherches révélant l’envers du décor, de quoi, on l’espère, découvrir la face encore manquante de l’exposition. En effet, si l’idée de l’exposition nantaise est de présenter un panorama assez large des œuvres de l’artiste, allant de la fin des années quatre-vingt à aujourd’hui, on peut s’interroger sur leur choix. À part Les Réveils (1988), les pièces politiques les plus subversives brillent par leur absence. En faisant le choix d’exposer des pièces consensuelles, qui plaisent au plus grand nombre, le musée brosse un portrait partiel de l’artiste, un portrait tronqué, amputé. L’exposition consacrée à Pierrick Sorin fait en ce sens un peu trop bonne figure.
Head image : Pierrick Sorin, Image d’étude pour la création de Peindre et nettoyer, ou la volonté à l’oeuvre, 2024. Courtesy Pierrick Sorin
Photo © Pierrick Sorin.
- Publié dans le numéro : 109
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- Du même auteur : Jordi Colomer au Frac Corse, Gianni Pettena au Crac Occitanie, Rafaela Lopez au Forum Meyrin, Banks Violette au BPS 22, Charleroi , Yoshitoro Nara au Guggenheim de Bilbao,
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