Une Fiac en grande forme
La véritable rentrée de l’art contemporain est fixée au mois d’octobre et commence derechef par la succession de Frieze à Londres et de la FIAC à Paris. L’intervalle d’une ou deux semaines entre les deux foires a fini par disparaître faisant s’enchaîner sans répit les deux évènements. Frieze et FIAC fonctionnent dorénavant comme un combo, bien que les deux organisations soient concurrentes, elles sont indubitablement en synergie, puisque du fait de leur proximité temporelle et géographique elles attirent un grand nombre de collectionneurs européens mais aussi bien sûr et surtout américains, et depuis plus récemment, d’Asie et du Moyen-Orient.
À la FIAC il y a donc maintenant ceux qui arrivent de Londres et ceux qui, plus fraîchement, commencent leur année ou du moins la poursuivent, dans le cycle habituel du marché de l’art, la dernière foire en date étant donc pour eux Art Basel.
Le changement notoire de l’édition 2011 de la FIAC est le rassemblement en un seul et même lieu : le Grand Palais, ce qui implique inévitablement une diminution de la surface d’exposition et une certaine augmentation de la densité. La FIAC est donc cette année plus condensée et les choix du comité de sélection n’en ont été que plus restreints et parfois aussi plus exigeants. Les critiques et querelles provoquées par cette évolution sont évidemment nombreuses. Peut-être fallait-il être une galerie étrangère ou tout simplement dans la section principale sous la nef pour se satisfaire de cette nouvelle configuration? Johann König qui expose habituellement dans la section principale a choisi de défendre le projet d’une seule et jeune artiste: Helen
Marten. Il a ainsi rejoint cette année la section émergente, située à l’étage, en proposant délibérément un statement (c’est-à-dire un projet pointu et quelque peu risqué mais aussi un statement en référence aux formats proposés dans la partie éponyme de la foire de Bâle). Erika Weiss, directrice de la galerie König, explique notamment que l’ouverture des galeries supérieures une heure avant celles de la nef était une judicieuse stratégie. « Ces horaires en décalé ont permis à un groupe important de collectionneurs de circuler consciencieusement et en avant-première », précise-t-elle. Toujours à l’étage, Isabelle Alfonsi, co-fondatrice de la galerie Marcelle Alix avec Cecilia Becanovic, regrette presque de n’avoir pas pu être plus disponible pour profiter de ce trop plein soudain d’opportunités offertes par le raz-de-marée du vernissage. Les constructions géométriques et les dessins d’Ernesto Sartori ont effectivement beaucoup retenu l’attention, tout comme, dans un style très différent, les œuvres de Chloé Maillet et Louise Hervé qui détournent l’esthétique datée des muséographies de sciences naturelles, d’archéologie ou de beaux-arts du xixe siècle. Au même étage, la proposition d’éditions de Robert Morris, Lynda Benglis et Louise Bourgeois par LMFC Michèle Didier de Bruxelles n’est pas sans faire écho aux vidéos féministes et lesbiennes de Barbara Hammer. La galerie berlinoise KOW a sélectionné un ensemble de films datant de la fin des années soixante-dix et incluant un documentaire, des performances, un film sur la construction de l’identité sexuelle de l’artiste depuis son enfance jusqu’à son coming out et enfin une fiction non-narrative expérimentale directement inspirée du film de Maya Deren Meshes in the Afternoon (1943).
Est-ce une coïncidence, un regain d’intérêt pour les gender studies et les subcultures ? Le Musée d’Art moderne de la Ville de Paris présente la première exposition personnelle en France de Ryan Trecartin, artiste américain né en 1981, enfant du numérique, du net 2.0 et de sa pornographie amateur, mais surtout de tous les moyens d’enregistrement et de diffusion qui renouvellent quotidiennement l’esthétique DIY. Les questions sur la sexualité et les limites entre l’intime et le domaine public sont certes inépuisables et peuvent être taxées de lieux communs, pourtant elles ne cessent de faire débat et de problématiser des aspects primordiaux de notre société et de notre culture. L’exposition Diane Arbus au Jeu de Paume ou, de retour à la FIAC, les photographies de Leigh Ledare (Office Baroque) contribuent par exemple à enrichir ces interrogations.
D’un tout autre point de vue, celui-ci beaucoup plus formel, la peinture abstraite géométrique, le monochrome et l’art (post)-minimal semblent être des valeurs sûres du marché qui confondent plusieurs générations d’artistes. Serait-ce parce qu’il est un art sans message que l’art abstrait et minimal rassure en temps de crise? Il se retrouve de Robert Mangold (Elvira Gonzalez, Madrid) à Dan Flavin et son Untitled (to the citizens of the
Republic of France on the 200th anniversary of their revolution) 2 (1989) chez David Zwirner, en passant par l’hypnotique série des peintures Slow Motion (2011) de Philippe Decrauzat (Praz-Delavallade), les monochromes de Jacob Kassay soutenus au sol par les monochromes gris photocopiés de Pierre-Olivier Arnaud (art: concept), les monochromes sophistiqués et étrangement irrisés de Scott Lyall (Campoli Presti) ou encore les peintures abstraites et toujours en double de Bernard Piffaretti (galerie Franck Elbaz). Les formes abstraites et minimales font image ou du moins restent à
imaginer dans Variation of Incomplete Open Cubes (2011) de Joachim Koester (Jan Mot, coproduction IAC Villeurbanne). Dans une version plus brute, peut-être aussi plus complexe puisque faite d’éléments réels, l’artiste polonaise Anna Ostoya (Bortolami) présente sa série Untitled (Non-Spaces) (2011). Ces compositions géométriques consistent en des collages répétitifs de morceaux de journaux vierges de tout texte, par exemple les marges où s’amoncellent de petites combinaisons abstraites, marques de contrôle de la quadrichromie.
Quelques stands plus loin sur la même allée, la galerie Nelson-Freeman présente un tout autre type d’assemblage de matériaux bruts avec un relief de Cabrita-Reis (également connu pour ses peintures abstraites) qui articule ici la lumière d’un néon à des segments de rails d’aluminium et de bois. De retour vers l’entrée ou vers la sortie, vers les galeries piliers du marché de l’art, un autre type de constructions brutes en bois s’étendent cette fois-ci sur tout un mur: ce sont celles de Tadashi Kawamata (Annely Juda Fine Art) qui, l’année passée, ornait (dans une réalisation à plus grande échelle) la façade du Centre Pompidou.
Caroline Soyez-Petithomme
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