Why stand when you can fall
Charlie Jeffery – Le Quartier, centre d’art contemporain de Quimper
1er juillet – 23 octobre 2011
Charlie Jeffery est une véritable usine à déchets – sans vouloir le vexer. Une entreprise de retraitement du réel, à la chaîne, qui prend sa source dans la dimension processuelle du recyclage. Jeffery est attentif à la notion de productivité ; au sens le plus élémentaire, celui de l’efficacité d’un procédé de transformation. Chez lui, pourtant, le rendement n’est pas synonyme de standardisation, comme l’a démontré l’exposition Why stand when you can fall qui lui fut consacrée cet été au centre d’art de Quimper.
Certains peignent à la truelle, Jeffery sculpte à la hache : photocopieur détruit, éclats de vitres réassemblés, modules post-minimalistes bricolés… Dans la première salle de l’exposition, une vidéo montre l’artiste sous un masque d’âne démolissant des meubles (Donkey work, 2007). Le montage à rebours – la fin au début – transforme le processus destructif en une sculpture quasi temporelle. La dimension évolutive de ses méthodes de fabrication brouille la frontière qui sépare l’atelier de la galerie. Une ambiguïté entre espace de production et de diffusion qui, malheureusement, s’est un peu estompée dans le bel accrochage du Quartier. Un côté « rétrospective », un peu trop « white cube » pour accueillir le bric-à-brac de Jeffery…
Au cours de sa carrière, Jeffery a détruit des photocopieurs et des réfrigérateurs, comme si les deux engins se complétaient : l’un conserve, l’autre reproduit. Une dialectique qui n’est pas sans rappeler le double régime de l’objet d’art à l’époque contemporaine, auquel Jeffery s’attaque : d’un côté l’artefact artistique doit être conservé parce qu’il est unique, de l’autre il est dématérialisé par la reproductibilité technique de masse. En parcourant son exposition, on pense naturellement aux postures « anti-art » historiques. Jeffery, pourtant, s’en démarque. Ni volonté de réunir l’écart entre l’art et la vie, ni tentative naïve de détruire la dimension objectale pour que l’œuvre échappe à sa destinée marchande. Lorsque Jeffery dilue l’unicité de ses pièces en les recyclant, en les assemblant et en les multipliant, ce n’est pas contre l’objet. La sérialité post-minimale de sa démarche relève davantage d’une caricature des méthodes entrepreneuriales[1] basée sur le retraitement à valeur ajoutée des formes pauvres et des matériaux de récup’. L’exposition, dès lors, devient une plate-forme qui se bâtit sur le modèle des cycles de production, de diffusion et d’obsolescence de notre société.
[1] Il y a bien un rapport à Fluxus chez Jeffery, mais il se situe moins au niveau d’une dissolution utopique de l’art dans la vie que dans cette dimension entrepreneuriale, ironique et dérisoire, que l’on retrouve aussi bien dans les fluxbox des années 1960 que dans les activités du MUD Office. Cette structure collaborative, créée par Jeffery et Dan Robinson, déploie des stratégies économiques arborescentes basées sur la boue, archétype du produit dévalué.
- Partage : ,
- Du même auteur : Sarah Braman au Confort Moderne,
articles liés
Lydie Jean-Dit-Pannel
par Pauline Lisowski
Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica
par Patrice Joly
GESTE Paris
par Gabriela Anco