Ça & là

Pour fêter les 10 ans du Pavillon Neuflize OBC/Laboratoire de création du Palais de Tokyo, Claude Closky a endossé le costume de commissaire d’exposition et imaginé l’événement artistique invraisemblable « Ça & là ». La Fondation d’Entreprise Ricard qui l’accueille, montre en effet une gigantesque rétrospective sans œuvres ! Et pourtant les 100 ex-pensionnaires du Pavillon, artistes-plasticiens, vidéastes, photographes, critiques, etc. participent tous concrètement à l’aventure.

Ici, faire l’expérience de l’art n’est pas le contempler dans un lieu institutionnel mais se lancer dans un voyage espace/temps impossible. Poursuivant ses recherches autour de l’immatérialité, Claude Closky déploie en effet l’accrochage à travers le monde, partout sauf là où on l’attend, finalement si peu présent rue Boissy d’Anglas.

Nicolas Milhé, 'Grand Plan' (remake), 2002-2012. Impression couleur, 99 x 128 cm

Les trois grandes salles d’exposition ne sont cependant pas totalement vides comme pouvait être la galerie Iris Clert lors de l’ Exposition du vide d’Yves Klein en 1958, mais l’installation est cependant très minimale. D’un côté quelques photocopies sur le comptoir d’accueil : le texte « Email aux participants » en guise de mode d’emploi et une feuille avec liste complète des œuvres, carte du Monde et plan de Paris indiquant leurs emplacements et les dates et horaires des performances. De l’autre côté quelques 200 photocopies punaisées forment une longue frise évoluant de murs en murs et de salles en salles. Chaque œuvre y est présentée par la photographie du lieu vide, une description sommaire et un rectangle gris à la place de l’image de l’œuvre in-situ. Voilà la maquette, à peine modifiée, du catalogue qui paraîtra complet en fin d’événement. Les occultations confirment que l’exposition est ailleurs, invitant le visiteur à une chasse aux trésors ou un jeu de piste plutôt qu’à une visite classique….

Dans « Ça & là » le protagoniste est donc le lieu. L’œuvre mérite un écrin singulier et l’artiste ne devrait jamais se résigner à un espace/temps imposé. « Créer une pièce pour un lieu particulier semble provoquer davantage de sensibilité à l’art et à son environnement… » assure Closky. Son « Email aux participants » convie ainsi les artistes aux plus grandes audaces, enfantant un projet exceptionnellement riche. L’exposition résolument contemporaine fait aussi écho à l’incorporeité d’Internet et des nouvelles technologies, rappelant que « de chaque ère culturelle naît un art qui lui est propre et qui ne saurait être répété »(Kandinsky).

Emilie Pitoiset, 'Damage', 2006-2012. Affichage sauvage, Paris. Affiches, offset noir & blanc, 84,1 x 59,4 cm

Les œuvres sont aussi bien des pièces immatérielles, performances, discussion autour de l’activité curatoriale (chez Emile Renard) et autre action pour lumières (Je m’appelle Olympia d’Alice Guareschi), des pièces sonores, non réalisées ou sans lieux (Armes de Sophie Dubosc, Edelweiss Kolyma de Quentin Armand, etc.), envoyées par courrier (Cornichons de Jorge Satorre Domenech), visibles uniquement la nuit (Can U See It de Fanny Adler), en Thaïlande, aux USA, en Erythrée, des cartes postales (Carte postale pour le place de la Concorde d’Olive Martin), créations accrochées dans le film L’écume des jours de Michel Gondry (Samir Ramdani & Serge Stephan) ou affichages sauvages (Post-Position(…) de Niklas Goldbach, Damage d’Emilie Pitoiset, etc.), des œuvres sur T-Shirts (Ombre de Seulgi Lee), sur Internet (The Fourth Intuition de Jérôme Allavena, Marweb de Noëlle Pujol, etc.), sculptures (Lady Hsia-Fei de Hsia-Fei Chang, etc.), etc.

Ainsi « Ça & là » n’est pas seulement le titre d’une exposition mais aussi celui d’une œuvre conceptuelle collective vertigineuse orchestrée par Closky… un pur « OANI » – Objet Artistique Non Identifié. Son commissariat ajoute aux enjeux habituels d’un événement artistique, occupation, temporalité et définition de l’œuvre, ce qui se joue dans leurs interrelations : faire l’expérience de l’art pour le vivre plus pleinement.

• Partage :
  ,
• Du même auteur :