Fabricateurs d’espace à l’IAC
Espaces gravitationnels
C’est une fine équipe qu’on réunit rarement dans une même exposition, une sorte de dream team spécialisée dans des catalyses spatiales monumentales peu propices au voisinage. Et Fabricateurs d’espaces aurait pu n’être qu’une succession de monographies tant chacune des œuvres cultive son autonomie. Mais l’histoire qui se tisse ici parvient étonnement à régler une composition continue. En s’attaquant à la sculpture par un autre référentiel que celui de l’objet, omniprésent dans la production actuelle, l’exposition délivre aussi l’espace de la sculpture lié au bâti de son dialogue avec les architectes. Fabricateurs d’espaces est un bien un moment de dé-architecture, de dislocation continue du white cube, un postulat résolument néo-moderniste de la sculpture. S’en suit un phrasé en pleins et déliés quasi sans fautes à commencer par le mur d’Hans Schabus. Après avoir englouti le pavillon autrichien de la biennale de Venise sous une montagne et fait déambuler le spectateur dans un univers digne des prisons de Piranese, après avoir découpé un trailer et en avoir tiré une architecture étendue jusqu’au paysage au SITE de Santa Fe, l’artiste a bloqué la façade de l’IAC avec une palissade imposante. Une manière redoutable de souligner la soustraction, de rapatrier sur le devant les espaces d’exposition ainsi empêchés. Demolirerpolka s’est nourrie d’une partition de 1862 écrite par Strauss à propos de la démolition de l’enceinte médiévale de Vienne. Cette histoire de limites et de territoire constitue un embrayeur judicieux et offre une image de chantier qui symbolise à merveille l’importance du process et de la non-fixité des œuvres farouchement cultivée par les artistes. Dans cette série de négatifs et de positifs qui rythme le parcours, les deux dernières propositions de Vincent Lamouroux tracent une colonne vertébrale intangible de part et d’autre du centre d’art. A.R 09 déploie ses armatures sèches et métalliques dans le premier vestibule, variation géométrique sur la distorsion de formes cubiques a contrario d’A.R. 07, espace étouffant de matière blanche. Dans cette salle immaculée, une suite de cubes pleins chutent depuis le mur et se répandent sur le sol. Dans ce diptyque qui démontre sans forcer sa filiation à la SF et à la matérialisation d’un espace mental analytique, on retrouve un artiste au meilleur de sa forme qui livre une proposition à la hauteur de ses précédents Scape et Grounded, deux pièces dans lesquels germait d’ailleurs cette même qualité paysagère sourde, totalement intuitive et indicielle. Les deux A.R. déploient désormais une caractéristique archaïque et moléculaire, comme une échappée au cœur de la matière.
Fabricateurs d’espaces ménage quantité de points de fuite, une expérience renouvelée de perspectives contrariées et d’attentes déjouées dans une version low-tech, ce qui n’empêche pas (fort heureusement) une belle emphase. Les Four Ladders de Guillaume Leblon s’y emploient à merveille. Ces ailes véritables de moulin simplement suspendues dans un espace devenu ridiculement petit par un étrange phénomène de proximité avec les pales de l’engin, orchestrent une réflexion excitante sur le potentiel énergétique et la force d’inertie, le progrès et l’obsolescence. Le sentiment d’expérimenter une anamorphose spatiale s’impose avec violence grâce à ce démembrement sauvage des repères et des échelles. Rarement une déformation se sera faite aussi stimulante. C’est finalement par cette économie du geste et de l’usinage du matériau que cette exposition s’impose, une sécheresse minimale abstraite et redoutable. Que l’on observe le Trou noir, matérialisé en bois récupéré, néons et plafonniers de cage d’escalier par Bjorn Dahlem, sublime parabole gracile déployant ses ellipses dans une dynamique vernaculaire, ou National Chain de Rita McBride, l’approche qui est faite des espaces cultive une réticence salutaire. Sans maniérisme, McBride a descendu à environ un mètre cinquante du sol une surface énorme de rails de faux-plafonds, générant une mise au carreau des salles d’exposition et massacrant la sacro-sainte grille moderniste. Outil de l’internationalisation de l’architecture, l’orthogonalité et la rationalisation partent en vrille ; l’artiste américaine excelle lorsqu’elle tire ses structures aux franges du fonctionnel, s’employant par la même à cultiver un décoratif asséché.
Difficile ainsi de ne retenir qu’un moment mais l’une des pièces qui résume peut-être le mieux cette exposition, pourrait être les Sondes d’Evariste Richer. Trois sondes d’avalanche installées ensemble dans l’angle d’un couloir, en simples métronomes ou étalons d’espace au potentiel dramatique, renvoyant violemment au sublime. Fabricateurs d’espaces porte bien son nom, métabolise dans l’envers, cette interrogation de la sculpture à travers cette valeur-refuge qu’est le white cube.
Fabricateurs d’espaces, à l‘IAC, Villeurbanne, du 17 octobre 2008 au 4 janvier 2009.
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- Du même auteur : Forensics: The Anatomy of Crime / Images à charge…, Jean-François Chevrier, Formes biographiques, Winipeg, super nodale, Vancouver, the new Mecca ?, Los Angeles Confidential à Pougues-les-Eaux,
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