«Saâdane Afif», Blue time, blue time, blue time…
L’exposition de Saâdane Afif à L’Institut D’Art Contemporain de Villeurbanne est construite autour d’une rengaine. Tout ce qui y est montré ou diffusé s’origine dans les paroles de Blue Time, une chanson inspirée de son œuvre éponyme et que l’artiste a commandé en 2004 à Lili Reynaud-Dewar. Cette commande d’une chanson à partir d’une de ses œuvres est l’un des opérations qui permettent à Saâdane Afif de maintenir sous tension un travail en constante réinvention. Il s’agit aussi d’un des nombreux tropes que l’artiste emprunte à l’industrie musicale pour l’appliquer à sa production d’œuvres et d’expositions.
Si un artiste comme Rodney Graham entretient une certaine équivoque, sinon une nostalgie, vis-à-vis de la posture du chanteur pop, Saâdane Afif maintient, par rapport au spectacle une nette distance critique. La musique lui fournit des outils et des concepts qu’il va directement appliquer dans l’enceinte du musée. Il y produit un glissement qui fait passer de la répétition des images à celle des musiciens, le tableau y devient poster et les statements y deviennent lyrics. Contrairement au texte critique qui reste assujetti à son objet, la chanson permet de tourner autour de l’œuvre, mais constitue également une forme autonome, elle amorce la série de mutation propre au travail de Saâdane Afif.
Le titre de l’exposition, Blue Time, blue time, blue time,… pourrait justement se lire comme une série, laquelle comprendrait wem, la pièce originale, Blue Time, la chanson et Blue Time, l’exposition. Les points de suspensions font à la fois signe vers une autre pièce d’Afif, Suspense et vers la succession des œuvres qui dérive de cette partition originale. L’exposition propose une reprise quasi-exhaustive, des expositions où Blue time a été présenté depuis 2004, remixé, mis en scène ou en musique. L’artiste et les commissaires produisent une forme somme qui échappe à la rigidité rétrospective. Elle permet d’effectuer une coupe dans le travail, de produire une sorte de compilation. La chronologie s’efface au profit d’un réseau de correspondance et de court-circuit : La première pièce de l’exposition est par exemple un poster de l’exposition Melancholic Beat, daté 2004-2013, une réalisation a posteriori pour la première exposition de Blue Time. Blue Time s’hybride avec Suspense pour donner Blue Time vs. Suspense, à la fois comme œuvre et comme chanson, à la fois comme maquette et comme scène, comme performance/concert/répétition (par Vale Poher et Carine di Vita) et comme disque (par Wesley Bryon). De proche en proche, l’exposition se déploie comme une variation, comme une stratification d’œuvres, dont les formes s’autonomisent et s’actualisent d’une exposition à une autre. Plutôt que rétrospective, l’exposition est avant tout géographique, elle rassemble en France des expositions qui ont, pour la plupart, eu lieu à l’étranger, elle mesure des écarts entre les œuvres et leurs remakes.
Exemplaire du travail de Saâdane Afif, Blue time, blue time, blue time,… traverse, à partir d’une seule pièce, une cinquantaine d’œuvres et une quinzaine d’expositions, lourdes d’autres œuvres à venir, démonstration d’un travail qui fonctionne comme matrice. La continuité de ce mouvement générateur est assurée, puisque dix nouvelles chansons sont en cours d’écriture à partir de la pièce Blue Time, et que dès la fermeture de l’exposition, ces chansons seront lues par un acteur à quelques pas de l’IAC, comme un écho de l’exposition passée et l’amorce des pièces à venir.
Saâdane Afif : Blue Time, Blue Time, Blue Time…
du 1.03 au 28.04 à l’Institut d’art contemporain de Villeurbanne, 11 rue du Docteur Dolard
- Partage : ,
- Du même auteur : Dailies - Thomas Demand, Variations sur le paysage,
articles liés
AD HOC
par Elsa Guigo
Bivouac, après naufrage
par Alexandrine Dhainaut
Cécile Paris, Conduire, danser et filmer
par Sarah Ihler-Meyer