r e v i e w s

Hippolyte Hentgen « Seconde main »

par Denise Jouan

Hippolyte Hentgen

La Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, du 12 janvier au 17 mars 2013

Hippolyte Hentgen les recueille sur l’autoroute médiatique, elles l’attendent frigorifiées sur l’aire de la reproductibilité, ces images fugitives et amnésiques qui ont oublié leur signature et n’ont qu’un vague souvenir de leur origine (la peinture, la bande dessinée, le cinéma ou la photo scientifique) quand elles échouent sur une affiche de salle d’attente ou un canevas de laine. Le duo d’artistes les « réchauffe », comme il dit, en les redessinant à quatre mains, les revigorant, les remplumant, leur redonnant le goût de transmettre des émotions et des doutes. Ces rebouteuses aux crayons soignent le mal par le mal en copiant la copie, tandis qu’ici le dessin subit un nouveau traitement de choc en repassant chez l’imprimeur et sous la machine à coudre, comme sur le billard du docteur Frankenstein. La « seconde main » commet un geste du troisième type. Et pour fêter sa résurrection, le dessin, sans peur de l’anachronisme, squatte la chapelle du Genêteil en déballant le décor d’une fête médiévale. Sur les murs, plutôt que des étendards à la tribune d’une joute, des tentures dont la matière provient de rideaux de grand-mère ou de l’atelier costumes de la kermesse. Au centre, deux dessins au crayon noir s’opposent dans des oculi en formant de possibles blasons. Par cette simple opération de transfert et de raccommodage — un fin galon de finition et hop — le dessin devient objet, d’art ou d’ameublement. Pendant ce temps-là, au centre de la nef, il a l’ambition de se faire plus haut qu’une sculpture. Ces formes unijambistes et emmitouflées dans des heures perdues de tricot ou de broderie se dressent sur leurs socles bien alignés avec une prétention un peu ridicule. Mais du ballon en simili-vison à l’esquimau en patchwork du Télé-thon, l’effort de ces aspirants-figures arrangés dans un tableau vivant façon Dalton est attachant. Surtout que dans leur hiératisme bouloché, ces sculptures au degré zéro semblent avoir conscience de leur sursis et du risque d’être déhoussées, pliées, remisées, dès que la fête sera finie.

Cette humeur réversible est commune aux tentures, trahies par la patine sur les dessins dont la source se situe dans une époque précise, celle de la naissance de la modernité enthousiaste et déjà nostalgique du monde qu’elle est en train de faire disparaître, comme les rêves d’enfant à jamais perdus dans le réalisme de la productivité. Le moment historique — indiqué ici par la référence au dessin animé, au cinéma populaire, aux premiers grands ensembles — est celui où l’image change de statut dans sa production et sa reproduction mécanisée puis dans l’asservissement à l’industrie du divertissement et à la publicité. Il correspond aussi à la rupture définitive entre la culture savante et la culture de masse, également méfiantes l’une de l’autre. Alors le dessin expurge sa bipolarité génétique dans un jeu d’association d’images. Il feint la pédagogie — tout en se jouant du mystère de la création à deux — pour déployer le lexique d’Hippolyte Hentgen où l’on reconnaît un penchant pour la mise en abîme (de l’exposition et de l’acte de dessiner), et des motifs symboliques comme le masque ou les mains gesticulantes. Jusqu’ici cette entité artistique siamoise avait déniaisé le dessin resté le territoire vierge de la mort de l’auteur, décoincé l’appropriationnisme et libéré la citation de sa névrose conceptuelle. Le dessin prend ici une nouvelle consistance, se trouve de nouveaux talents et d’autres vocations encore : une vraie bête de scène.

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