Mike Kelley, « Retrospective »
Stedelijk Museum, Amsterdam, du 15 décembre 2012 au 1er avril 2013
Le Stedelijk Museum propose actuellement une importante exposition de Mike Kelley (1954-2012) qui s’annonce à tous points de vue comme un événement tant par la place déterminante que l’artiste californien occupe dans l’art de ces trente dernières années et le nombre d’œuvres présentées (plus de deux-cents) offrant ainsi une vue d’ensemble sur son parcours artistique depuis les années soixante-dix, que par sa dimension rétrospective (c’est d’ailleurs le titre lapidaire de l’exposition) clairement assumée qui n’est pas sans surprendre et poser problème au vu de la démarche de l’artiste. Il paraît en effet peu probable que ce genre curatorial relevant généralement de l’inscription et de la mise en perspective historique, nécessitant donc un recul nécessaire, l’ait séduit, son travail témoignant au contraire d’une rare vitalité et liberté de création. Prévu à l’origine comme une exposition de « milieu de carrière » sous forme de collaboration entre l’artiste et la curatrice Eva Meyer-Hermann, le projet prend une toute autre tournure après la mort de Kelley en janvier 2012 : pour Ann Goldstein, la directrice du Stedelijk Museum, il apparaît désormais évident et indispensable de donner à voir et à penser l’ensemble d’un travail dense et hétéroclite, d’en mieux cerner les contours, maintenant qu’il est en quelque sorte « clos ». Difficile donc de savoir quelle part du projet d’origine et des intentions de Kelley a été conservée dans cette rétrospective qui préfère à l’approche thématique initiale une progression chronologique beaucoup plus classique, censée rendre compte de la nature cyclique de sa pratique, de la persistance et de la réapparition ponctuelle de certains matériaux, concepts et préoccupations.
L’exposition débute au sous-sol du musée, allusion à peine masquée au goût et à l’intérêt de Kelley pour la culture underground et vernaculaire ne bénéficiant d’aucune visibilité institutionnelle, le refoulé (le fameux repressed memory syndrome qui hante une partie de son œuvre) et les phénomènes occultes. On y découvre d’abord ses premiers travaux réalisés à la fin des années soixante-dix alors qu’il est encore étudiant à CalArts, marqués par l’influence des comics camp et par un intérêt pour la performance et le langage dans un rapport frondeur à l’encontre de l’art minimaliste et conceptuel. Se déroule ensuite sur les deux étages un ensemble d’œuvres qui témoignent de l’incroyable variété des médiums utilisés par Kelley (dessin, son, performance, installation, maquette, faïence, vidéo, peintures) – on serait presque tenté de parler d’artiste total si sa pratique ne véhiculait quelque chose de profondément irrévérencieux et critique – ainsi que de ses nombreuses collaborations, notamment musicales aux côtés de Jim Shaw dans Destroy All Monsters (1973-1976) ou de Tony Oursler pour The Poetics Project (1977-1997) mêlant images et sons empruntés à l’histoire du rock. On y croise des œuvres iconiques comme Half a Man (1987-1992), travail séminal sur le repressed memory syndrome dans lequel il utilise pour la première fois des peluches maladroitement recousues évoquant le monde de l’enfance et les abus dont il peut être le théâtre. Ou encore Educational Complex (1995), une plate-forme regroupant les maquettes des différents établissements scolaires fréquentés par l’artiste, symbole du formatage institutionnel subi par les enfants et les adolescents. Systèmes de représentation, folk art, mauvais goût, principe d’équivalence entre high & low culture, dénonciation de l’institution comme structure de pouvoir, etc. tout ce qui est généralement associé à la pratique de Kelley transpire dans cette exposition qui offre un généreux panorama sur ce parcours singulier dont l’influence sur l’art contemporain est perceptible à travers chaque pièce. Si on ne boude pas son plaisir à découvrir ou redécouvrir ces œuvres, le sentiment de satisfaction – l’attente était-elle peut-être trop grande ? – n’est cependant pas total, comme si nous n’avions accès qu’à un échantillonnage de sa pratique, ce qui paraît évidemment inévitable mais qui est ici renforcé par un accrochage trop muséal voire parfois trop sage atténuant l’énergie à l’œuvre chez Kelley et la force de ses télescopages référentiels et formels. Il reste heureusement quelques moments forts comme la traversée de la galerie de portraits de Pay for Your Pleasure (1988) dans laquelle les citations d’artistes, d’écrivains ou de théoriciens politiques semblent tisser des liens entre création, violence et criminalité ou encore Day is Done (2004-2005) mêlant dans un véritable capharnaüm projections vidéos, sons, sculptures-décors utilisées dans les films, reconstitutions délirantes réalisées à partir d’une collection de photos d’albums de promotions de lycées, dont un seul des trente-deux chapitres est ici présenté.
- Partage : ,
- Du même auteur : Oriol Vilanova, Elad Lassry, Raphaël Zarka, Riding Modern Art, Liz Magic Laser, Matteo Rubbi,
articles liés
Lydie Jean-Dit-Pannel
par Pauline Lisowski
Arcanes, rituels et chimères au FRAC Corsica
par Patrice Joly
GESTE Paris
par Gabriela Anco