Le best of de Patrice Joly
1 – Hamish Fulton, “En marchant”, Centre d’Art Contemporain de Sète, 30.10.2013 – 02.02.2014. (Curatrices : Muriel Enjalran et Noëlle Tissier.)
Trois bonnes raisons de mettre l’exposition de Fulton en haut de la liste : primo, c’est une exposition qui signe le retour en France d’un artiste majeur de la scène internationale qui emprunte à des registres aussi divers que la performance, l’art conceptuel, le monochrome et le Land Art bien qu’il réfute catégoriquement cette appartenance à ce mouvement des années soixante-dix. L’art de Fulton met en scène le hiatus irréductible entre l’expérience de la marche et sa traduction en des termes formels, picturaux et photographiques, sans toutefois prétendre surmonter définitivement cette irréductibilité. Secundo : sans faire réellement une exposition in situ (au sens où il prendrait l’architecture du lieu comme matière première), Fulton réussit à tirer magistralement parti de l’architecture radicale et minérale du CRAC pour y déployer l’abstraction nécessaire à la transcription des paysages traversés au cours de ses pérégrinations. Tertio : c’est la preuve qu’on peut parfaitement monter des expositions de tout premier ordre en province malgré la concentration des moyens et des budgets dans la capitale.
2 – Philippe Parreno, “Anywhere, Anywhere, Out of the World”, Palais de Tokyo, Paris, 23.10.2013 – 12.01.2014 (Curateurs : Jean de Loisy et Mouna Mekouar.)
C’est manifestement l’exposition la plus réussie depuis la prise de direction du Palais par Jean de Loisy et qui nous ramène aux moments forts de l’histoire de l’institution : les cartes blanches à Ugo Rondinone ou Jeremy Deller sous l’ère Wahler. Comme ces dernières, l’exposition de Parreno occupe l’ensemble d’un Palais de Tokyo augmenté cependant de quelques milliers de mètres carrés. La difficulté d’investir un lieu aussi vaste n’a visiblement pas fait peur à l’artiste habitué à de tels challenges, qui s’accomode parfaitement d’agir en solo dans ces vastes plateaux et qui “orchestre” ici un véritable tour de force : le terme n’est d’ailleurs pas anodin pour une exposition parcourue de fond en comble par la figure de la partition et qui retourne systématiquement les disparités et les imperfections de l’architecture. C’est là le véritable talent de Parreno, du reste, de réussir à sublimer ce qui pour d’autres pourrait se révéler un handicap, mais c’est aussi le signe que les défaillances ou les errements d’un “grey” cube ne peuvent que donner des ailes aux artistes géniaux.
3 – Markus Schinwald, CAPC, Bordeaux, 16.05.2013 -15.09.2013 (Curateur : Alexis Vaillant.)
Ici encore il s’est agi pour un artiste d’investir intégralement un lieu et de se jouer de ses imperfections ou, comme pour Parreno, de faire de ses faiblesses ou de ses difficultés un véritable atout. Le CAPC n’est certes pas le centre d’art le plus facile de la terre : la vaste halle centrale semble avant tout inviter aux grands gestes curatoriaux et à la monumentalité. Schinwald, en ménageant des espaces plus intimes, en réorganisant intelligemment la circulation, en imaginant des issues possibles vers des ailleurs imaginaires comme cet escalier orphelin en plein milieu de l’espace, reconquiert petit à petit le centre pour déployer des moments de retrait, indispensables à l’appréhension d’un travail pour le moins sombre et parcouru de tensions mélancoliques. L’équilibre entre la redistribution d’espaces de “recueillement” et la préservation de l’amplitude de la nef confère à cette exposition une indéniable justesse.
4 – Pierre Huyghe, Centre Pompidou, Paris, 25.09.2013 – 06.01.2014 (Curatrice : Emma Lavigne.)
Difficile de s’extirper de la lecture du texte brillantissime que Tristan Garcia a produit pour le catalogue de l’exposition : ce dernier constitue une grille extrêmement séduisante mais du coup très prégnante pour appréhender une exposition touffue, dense, qui s’active et se désactive au fil d’un aléatoire savamment inprogrammé. D’ailleurs, cette quasi rétrospective a le mérite de mettre en avant l’attrait singulier de l’artiste pour les formes issues du milieu naturel. Les installations qui accueillent des animaux vivants — qui, pour certains, se sont vus rajouter des appendices (tel le masque de Brancusi pour le bernard-l’hermite) — trouvent leur pendant dans les interventions sur la réalité même (un peu la marque de fabrique de l’artiste) dans un désir de concurrencer le réel ou plutôt d’en augmenter la présence (cf. justement le concept d’intensité développé par Garcia). Mais il n’est pas sûr que l’exiguïté de l’espace rende hommage à l’extrême sensibilité de l’artiste et à son acuité ubiquitaire : il y a une dimension de “maquette” dans l’exposition qui fait que, malgré les astuces d’une scénographie s’ingéniant à faire oublier les imperfections de l’espace, on est parfois gêné d’entendre résonner le son d’une vidéo voisine quand on en visionne une autre. On se plaît à imaginer ce que cela aurait pu donner si on avait confié à Pierre Huyghe quelques milliers de mètres carrés supplémentaires…
5 – Marianne Vitale, “Bright Dark future”, Le Confort Moderne, Poitiers, 14.03 – 18.08 (Curateur : Yann Chevalier.)
Non, il ne s’agit pas de céder à la pression du quota en introduisant in extremis dans cette liste une artiste femme : le travail de Marianne Vitale témoigne d’une telle vitalité (sic) qu’il laisse loin derrière lui ce genre de considérations. À Poitiers, l’artiste américaine proposait un ensemble de pièces malicieusement rassemblées sous une symbolique cosmologique pour le moins déroutante. Ce qui ne l’empêche pas de déployer un vocabulaire sculptural tout en puissance où se conjugue — ou plutôt s’opposent — une esthétique de la “pétrification” à une monumentalité parfaitement assumée, voire à une certaine “virilité”. La jeune brooklynoise sait judicieusement prélever des éléments immédiatement reconnaissables de la courte histoire architecturale US, tels les fameux ponts couverts ou les madriers massifs des piers qu’elle incruste dans ses installations après leur avoir fait subir divers outrages. La symbolique du bois brûlé renvoie de manière assez évidente à l’idée d’une civilisation litéralement carbonisée, d’où les traces du passé ne sont autorisées à subsister que sous une forme “folklorisée”, sans doute pour ne pas laisser affleurer quelque idée de périssabilité de la civilisation ou de la marchandise. Entre McCarthy (Cormac) et Thoreau pour l’ambiance, Mark di Suvero et Oscar Tuazon pour la puissance formelle…
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- Du même auteur : Capucine Vever, Post-Capital : Art et économie à l'ère du digital, Chaumont-Photo-sur-Loire 2021 / 2022, Paris Gallery Weekend 2021, Un nouveau centre d'art dans le Marais. (Un tour de galeries, Paris),
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