Didier Fiuza Faustino & Philippe Rahm
Didier Fiuza Faustino & Philippe Rahm
Paysage mental pour un néo-humanisme
Par Aude Launay
On l’annonçait comme un duel, un combat des chefs de file d’une certaine architecture anthropique; on anticipait alors une tension palpable, un affrontement aux joutes visionnaires acérées, un chaud et froid revendiqué, mais c’est bien plutôt comme un paysage métaphorique mais praticable que se donne l’exposition qui réunit en ce moment Rahm et Faustino à Château-Gontier. L’espace d’un blanc impressionnant que dessine l’installation de Philippe Rahm dans la chapelle, par le reflet de ses 186 ampoules sur une plateforme qu’illuminent six nuances de blanc, est soudain troué par un étrange siège au velours chair rosie de plaisir, entre cocon utérin et trône pour souverain bipolaire.
L’objet (les Liaisons dangereuses) est bien évidemment l’œuvre de Faustino, douce perversion façon petites filles pas si modèles, double fauteuil au mystérieux orifice central, à l’endroit, à l’envers, dans lequel on se cale et qui presque nous entrave, et dont la drôle d’assise plafonnée fait écho aux sensations télescopiques de l’Alice à la poursuite d’un certain Lapin blanc. Poursuivant ce qu’il nomme son « exploration topomorphique » du corps, Didier Faustino inscrit (après Love me tender, 2001, sa chaise d’acier aux pieds acérés qui scarifiaient le sol à mesure que le corps s’y laissait aller) un nouveau siège déviant au cœur du merveilleux désincarné de Rahm. La Géographie blanche de ce dernier, créée pour l’occasion, ressemble à s’y méprendre à ce que Faustino décrit comme l’Hygienapolis (« une ville où les corps n’existent plus », dans laquelle « tout est lisse et poli », et pour laquelle « la perfection est l’unique modèle »1) et pourtant, par delà la blancheur d’apparence uniforme, se dévoile une multiplicité inattendue sous la forme d’un dégradé de blancs du chaud au froid, comme la climatisation d’une clairière devenant par-là a-temporelle, à la fois close et ouverte. Nous nous trouvons en effet dans une zone de luminosité intense, qui, même lorsqu’on y pénètre, nous exclut physiquement de manière radicale par sa lisséité la positionnant à l’encontre de toute notre physicité. On est ébloui, demeurant à l’extérieur, ex-istant. Reprenant alors, à la suite d’Heidegger et Sloterdijk, l’idée que l’homme est l’être qui évolue dans un monde (à la différence des animaux qui eux, évolent dans un environnement), et suivant les conceptions du second lorsqu’il signifie, par la notion d’anthropotechnique, que l’humain chez l’homme provient de sa capacité à se construire un monde à soi, c’et-à-dire à se domestiquer, donc à se produire lui-même, nous voyons, dans cette Géographie blanche aux Liaisons dangereuses, l’illustration du propos de Peter Sloterdijk dans La Domestication de l’Etre: « le véritable environnement de la créature humaine, c’est la cage idéale ouverte dans laquelle l’attitude de l’animal peut s’accomplir comme un processus naturel que rien ne vient troubler ».
1 Didier Fiuza Faustino, Against a Hygienapolis, à lire sur http://www.mesarchitecture.org
Didier Fiuza Faustino & Philippe Rahm (commissariat Christophe Le Gac), à la Chapelle du Genêteil, Château-Gontier, du 4 avril au 7 juin.
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- Du même auteur : Entretien avec Gaël Peltier, "Passages" ou la chrono-nécrologie d'un centre d'art, Bruno Peinado, Tokyo Academy 2,
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