Wilfrid Almendra, Between the Tree and Seeing It, à Chelles
Les Églises – Centre d’art contemporain de la ville de Chelles, du 23 mars au 11 mai 2014.
« Between the Tree and Seeing It » : le titre de l’exposition monographique de Wilfrid Almendra, emprunté à Pessoa, est lesté d’une vague charge poétique, de la beauté nomade et un peu boiteuse du fragment arraché à son contexte. Et pourtant, difficile de désigner avec plus de précision l’installation principale de son intervention aux Eglises de Chelles. Placée au centre de l’espace, celle-ci – Between the Tree and Seeing It, donc – n’est pourtant pas la première des pièces du parcours de l’exposition. Mais c’est la plus imposante, celle qui barre le champ visuel et accapare d’emblée l’attention : organisant l’espace comme un paravent, des parois de verre opaque laissent tout juste filtrer suffisamment de lumière pour permettre au visiteur de distinguer des silhouettes de plantes. Au fur et à mesure émergent également des taches colorées indiquant la présence en filigrane de fleurs ; les feuillages se découpent et se distinguent les uns des autres : philodendrons, crotons, irésines. La légende précise également : papillons.
Reprenant le principe de son intervention à Passerelle [1], l’artiste élaboré un dispositif à partir de panneaux de verre provenant d’une ancienne serre. Marqués des stigmates d’usages antérieurs, leur impression de fragilité est renforcée par le caractère effectivement précaire de l’installation : collés entre eux au scotch double-face, on imagine sans peine, au cours des trois mois que dure l’exposition, les panneaux céder sous la prolifération des contenus organiques qu’ils enserrent. A première vue tropicaux par leur exubérance, il s’agit en réalité de végétaux qui ont en commun d’avoir été génétiquement modifiés. En lieu et place des tropiques, un tropisme : un exotisme de proximité, empreint de la roideur de l’artifice, connotant à la fois l’espace climatisé des bureaux et le jardin ouvrier. Parlant de cette pièce, Wilfrid Almendra évoque l’habitat pavillonnaire, mais aussi l’histoire de la peinture : Les Glaneuses de Millet et les Nymphéas de Monet. En effet, si l’on retrouve le vocabulaire et les préoccupations auxquels il nous avait habitués, dressant par l’assemblage de matériaux trouvés un panorama de l’étiolement du modernisme à l’échelle locale, la structure vaut tout autant par ses qualités picturales, composée qu’elle est à la manière d’un tableau, par petites touches colorées.
De part et d’autre de ce dispositif central prennent place des nouvelles pièces, qui renouent avec le réel de manière plus directe. Ce dont il est question, pas besoin de le représenter ou d’en mimer la structure: il suffit de l’introduire dans l’espace d’exposition, et de le poser bien en évidence sur une table, voire à même le sol. Illustration de la première de ces deux alternatives, 25 septembre 2013 se compose d’une galette de cuivre agglutiné posée sur une table et d’un faux plafond en suspension. L’objet matérialise l’échange qui a conduit à son élaboration, le cuivre ayant été récolté par les gitans qui travaillent la chaudronnerie installés à côté de son atelier. Quant au au plafond en placoplâtre, il est installé à la hauteur standard des plafonds d’HLM, permettant d’introduire au sein de la haute voûte de l’église l’appréhension de l’espace telle qu’elle est vécue par les habitants des barres d’immeubles qui se profilent à travers les fenêtres. Dans le second cas, il s’agit d’un petit tas de pommes de terres en aluminium, disposées tout près de la porte d’entrée, mais que l’on ne remarque qu’après coup, au moment de sortir. Celles-ci ont été moulées à partir des chutes de Reconstruction of a Monument (2011), une série de sculptures réalisées à partir de profilés de vérandas récupérés à Faute-sur-Mer, village dévasté par la tempête Xynthia en 2010. Massives, incongrues, ces deux pièces s’ancrent par le choix des matériaux dans l’héritage de la sculpture publique, mais n’en charrient par moins avec elles l’histoire de leur fabrication : leur forme est en partie déterminée par les rencontres et les échanges qui se tissent au fur et à mesure de leur élaboration, volontairement laborieuse.
Pourtant, l’espace d’exposition ne se réduit pas à un réceptacle de bribes de réel. En témoigne George, la diffusion pirate sur les ondes de la fréquence radio NRJ de neuf poèmes, audibles à tout un chacun écoutant cette station radio à un kilomètre à la ronde, à raison de trois minutes tous les quarts d’heure. Dans ces poèmes, écrits en portugais et commandés par l’artiste à un maçon poète à ses heures, il est successivement question de « maisons squelettiques », de « marques du temps » et de « verre qui se ternit » ; on peut aussi choisir d’y voir tout simplement d’une incantation puissante et un peu naïve. En mettant de la sorte l’accent sur le positif des rencontres est évacuée la posture mélancolique qui guette parfois les œuvres puisant de trop près à la source du modernisme. Pas de « Zeitgeist mélancolique » [2], mais au contraire la conciliation entre une « envie d’objet » et les échanges qui en découlent. Du dilemme de l’origine, de la dialectique entre forme et fond, on ne retient ici que leur résolution dans une synthèse convaincante. Nulle place en effet pour des « lendemains d’hier » [3] aux Églises de Chelles, dont l’avenir reste incertain suite à l’arrivée d’une nouvelle équipe municipale.
- ↑ Centre d’Art Contemporain Passerelle, Brest. Wilfrid Almendra, L’intranquilité. 5 octobre – 4 janvier 2014.
- ↑ Tristan Trémeau « Pour en finir avec le Zeitgeist mélancolique » (revue L’Art Même, n°50, 2011)
- ↑ Voir l’exposition Les lendemains d’hier, Musée d »Art Contemporain de Montréal. 21 mai – 6 septembre 2010 (cur. Lesley Johnstone) qui demandait : « Pourquoi tant d’artistes contemporains retournent-ils aujourd’hui aux formes, aux idées et aux aspirations de l’époque moderniste ? »
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- Du même auteur : Explore, collection du Frac Île-de-France, David Douard, Des corps compétents, L'Ange de l'histoire,
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