Pierre Besson à la Chapelle du Genêteil

par Eva Prouteau

Première réussite de l’exposition : le display comme principe d’immersion, simple mais efficace (un sol/socle gris pâle + un bloc pénétrable de même facture) qui plonge sans détour le visiteur dans une situation sculpturale. Pierre Besson dévoile ici un scénario où se promener et condenser librement une diversité d’œuvres en une seule entité, sans pour autant priver chacune de son autonomie. La bande son de l’ensemble, pulsation hypnotique créée par David Toop pour l’installation Life on the inside, contribue à unifier la couleur de cet univers tout sauf stationnaire, défini par des focales qui se recomposent en permanence.

La circulation du regard est essentielle dans l’exposition : l’œuvre de Pierre Besson consiste principalement à passer d’un espace à un autre, et à programmer le jeu d’une profonde désorientation, à base de détournement d’objets, de manipulations d’échelle, et d’imbrications de réalités. Comment procède l’artiste ? Il moule des éléments industriels du quotidien (pièces d’aspirateur, composants de scanners ou d’ordinateurs), et modifie leur taille, libérant des analogies avec des formes de design ou de modules d’habitation. Ces mêmes objets s’incrustent aussi dans des photos d’architectures retravaillées sur ordinateur, et montées ensuite sur caissons lumineux. La méthode est discrètement spectaculaire — et les plans trompe-l’œil s’interpénètrent pour installer de véritables fictions scopiques.

Pierre Besson, vues d’ensemble de l’exposition Life on the Inside.

Pierre Besson, vues d’ensemble de l’exposition Life on the Inside.

Ces paysages photomontés, tous caractérisés, sont pourtant proches à maints égards : ils décrivent un monde « global », post-moderne, de verre et d’acier, et suggèrent un type particulier d’excursions mentales. Devant ces chimères architecturales désertées, entre apaisement et qui-vive sensoriel, on pense à James Ballard et Bruce Bégout, mais aussi à certains architectes psychotropiques — Walter Pichler, le collectif Haus-Rucker-Co ou Hans Hollein. Dans le spleen et l’ivresse de ces espaces technocratiques, Pierre Besson marquette ses propres visions intérieures au gré d’indomptables perspectives, et rejoint au passage La Maison des feuilles, celle du roman fou de Mark Z. Danielewski, dont la surface, soumise à des lois non euclidiennes, est plus grande à l’intérieur qu’à l’extérieur. Quelle que soit la technique explorée (image-objet sur caisson lumineux, mais aussi alugraphie, ou sérigraphie), la composition est réglée au millimètre, la netteté de trait parfois sidérante, et la chorégraphie des ombres portées impeccable. De manière étonnante, un plaisir matiériste et pictural surgit souvent dans la douceur particulière qui se dégage de l’énergie minérale, au détour d’une surface de béton, comme drapée de brume.

Pierre Besson, (à gauche) sans titre, résine, 25 x 16 x 12 cm, 2013 / (à droite) sans titre, résine, 35,6 x 31,6 x 10,7 cm, 2013.

Pierre Besson, (à gauche) sans titre, résine, 25 x 16 x 12 cm, 2013 / (à droite) sans titre, résine, 35,6 x 31,6 x 10,7 cm, 2013.

Quant aux maquettes architecturales ou objets reliés au design, ils ont une qualité de présence similaire : mentale. Volumes posés comme des énigmes closes, ils se lisent eux aussi comme les différentes pièces d’un même bâtiment cérébral. Le spectre de Giulio Camillo n’est pas loin, cet homme qui au tournant du XVIe siècle imagina la construction d’une merveilleuse machine, le Théâtre de la mémoire, un amphithéâtre de bois rempli d’images confiées suivant un ordre précis et par association d’idées pour stimuler l’imagination et raviver la mémoire. Tropisme psychologique, l’exposition de Pierre Besson raconte aussi une vision introvertie de la ville, où l’individu contemporain vit principalement seul, traversé de perceptions individuelles, en un vaste intérieur continu. À une époque où l’appartenance à des collectifs identificateurs est devenue moins prégnante, où les habitants des métropoles occidentales sont, selon la formule de Marcel Gauchet, «désenglobés», le propos de l’artiste appréhende ainsi en creux la question du « faire société », dans un contexte où s’affirme la puissance des climats affectifs solitaires, qui projettent au-dehors de soi d’étranges cartographies de l’esprit.


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