[Écritures documentaire] Filmer l’invisible

par Mathilde Villeneuve

Quelle gageure que de vouloir s’atteler au « cinéma documentaire » ! Au fil de mes recherches et discussions avec les artistes, chaque tentative de définir ce genre en regard d’un autre (celui des arts visuels, de la fiction ou du cinéma expérimental) explosait en vol. Le choix de l’objet, l’expérience de terrain, l’improvisation, tout ce qui semblait a priori constituer le fer de lance de l’objet documentaire se voyait catapulté par des contre-exemples d’objets hybrides, définitivement hors catégories. Alors il a bien fallu se rendre à l’évidence : la question n’est pas celle du genre ni du médium. Elle ne l’a jamais été. Les frères Lumière (1895) ont accéléré le temps de la marche de la sortie d’usine pour qu’elle puisse être contenue dans la bobine. Robert Flaherty n’a pas hésité, dans Nanouk l’Esquimau (1922) à faire rejouer les protagonistes et mettre en scène des pratiques ancestrales pourtant abandonnées. Le cinéma est né fiction autant qu’il est né documentaire.

Catherine Dalfin Can we go quickly to the sun?, 2008. Vidéo, 44 min. Courtesy Catherine Dalfin.

 

 

Ce qui reste alors, ce sont des « images en mouvement » qui entretiennent un certain « rapport au réel », plus ou moins dilaté, plus ou moins anticipé. Ce qui doit guider notre analyse, c’est la caractérisation de ce rapport : ce que les artistes perçoivent et la manière dont ils le mettent en partage. J’ai pris le parti ici d’appuyer ma réflexion sur des films de Clarisse Hahn, Florence Lazar, Catherine Dalfin et Noëlle Pujol, élaborés ces dix dernières années, parce qu’ils me semblaient partager un certain nombre de principes de réalisation et procédaient d’une intention similaire qui refuse l’anesthésie du regard et rend visible ce qui ne l’aurait été autrement. Images « nécessaires » autrement dit, qui décentrent notre regard et renouvellent notre compréhension du monde. Tandis que l’image médiatique joue encore de la possibilité d’un regard objectif, les artistes non seulement ne renient pas leur « mise au point » subjective, mais assument pleinement une écriture, aussi infime soit-elle, inhérente au dispositif cinématographique. Disons le encore, l’appui sur une réalité préexistante ne dispense pas de la question de la mise en scène. Il y a toujours cadrage, composition, découpage, interprétation, c’est à dire l’expression de la réalité selon un certain aspect de la caméra. Quand bien même le réel adviendrait sans nous, il ne pourrait être vu sans qu’on le regarde. La mise en récit, l’organisation du regard participent à cette mise à jour. En réaction à un tout visible et accessible, à l’image médiatique et à l’écriture d’une histoire des puissants, les artistes produisent, mine de rien, des poches de contrepouvoir. Des « images manquantes », pour reprendre le joli titre d’un colloque récemment organisé par le BAL, des images qui manqueraient à la vue.1

Florence Lazar Les paysans, 2000. Vidéo, 18 min. Courtesy Florence Lazar. La prière, 2008. Vidéo, 20 min. Courtesy Florence Lazar.

 

 

 

Donner la parole

Pour autant, ces artistes ne revendiquent pas de jouer un rôle directement politique, entendu comme un militantisme qui afficherait sa carte au parti. Ils préfèrent tirer la leçon de leurs aînés, Jean-Luc Godard entre autres, qui consiste à trouver dans l’image elle-même, le lieu de l’engagement. Ni visionnaires, ni clairvoyants, ils s’inscriraient davantage dans la pensée de Georges Franju qui entend « révéler l’invisible, pas au sens métaphysique d’un arrière monde ni d’un passé enfoui mais au sens matérialiste de ce qu’on ne sait pas ou ne veut pas voir dans le réel présent »2. Cette percée des apparences passe moins par l’affirmation de leur point de vue que par le déclenchement de celui des autres. Sans connaître au préalable ce qu’ils vont y trouver, ils partent à la rencontre de lieux et de personnes qui attisent leur curiosité, et, les maintenant dans leur contexte d’origine, tentent de les analyser. Florence Lazar met en scène des moments de parole donnée à ceux qui n’y ont pas accès. Si elle s’intéresse aux situations d’après-guerre en ex-Yougoslavie, c’est par volonté de comprendre des conflits de territoire que régissent des volontés de pouvoir et de domination. En privilégiant l’expérience du terrain, elle tente de rattraper l’écart des perceptions décalées qui nous en parviennent. Elle étire les évènements et en interroge les traductions possibles, en particulier dans l’espace mental des minorités qui les ont vécus. Dans Les paysans (2000), elle donne la parole à deux agriculteurs. De la même manière que le plan fixe se fait réceptacle discret, l’homme, pris dans une action quotidienne et mécanique (le triage de pousses de vignes), peut enclencher la mise en mouvement de sa pensée. C’est alors qu’on assiste à l’élaboration de son argumentation éclairée : celle d’une possible coexistence pacifique entre les peuples, neutralisée par la nécessité de l’échange commercial. En privilégiant la microhistoire, le récit intime, Florence Lazar ouvre des brèches sur des évènements complexes et traumatiques. Le sentiment d’urgence des témoignages, celui des peuples opprimés, n’aboutit pas pour autant à la fabrication d’un message. Procédant par réduction d’information sur le contexte, elle donne la priorité à la présence de l’image. Pour Catherine Dalfin, mieux voir c’est voir moins. Au choix qu’elle fait de zones non surchargées, répond celui d’un dispositif léger et d’une économie des signifiants de l’image. Embarquant seule avec sa caméra, elle adopte une démarche phénoménologique qui tente de capter ce qui est en passe d’apparaître (et de disparaître). À la manière dont François Niney a défini les enjeux de l’« horizon du documentaire », le dénuement du regard qu’elle propose fait coïncider, en toute subtilité, le monde qu’elle habite avec son territoire cinématographique. S’infiltrant au milieu d’espaces de survie, elle choisit de filmer ceux qui, laissés au bord de la route, s’efforcent de réinventer un rapport au monde pour le rendre possible. Can We Go Quickly To The Sun? (2008) montre une base militaire secrète créée par les soviétiques en Lettonie pour espionner l’Europe, puis abandonnée suite à l’indépendance du pays. Depuis, des habitants se sont réappropriés les lieux et ont tenté de réhabiliter le télescope, en le détournant de sa fonction d’origine. Cette manière de filmer les invisibles entre en résonnance avec All the children but one (2008) de Noëlle Pujol qui confère, via les récits d’enfants d’un village de Hongrie, une présence à l’absence de leur ami décédé. Installant des temps de paroles, desquels elle évacue délibérément l’adulte, l’artiste fait surgir un rapport humain avant tout déterminé par les reconstructions de souvenirs partiels et diffractés, d’histoires multiples où s’introduit sans difficulté l’imagination. C’est aussi ce que Florence Lazar explore dans Prvi deo (2006), quand elle s’introduit dans l’actualité du premier procès à Belgrade qui voyait accuser de crime de guerre des serbes pour leur participation au massacre d’Ovcara, en 1991. Elle y aménage des espaces alternatifs de parole, y définit un cadre non institutionnel de témoignages. Embarquée à bord d’une voiture, la cinéaste invite une croate à revisiter son passé en circulant, de surcroît la nuit, sur les lieux du crime. La conductrice évoque les traces invisibles d’un traumatisme auquel seule une mémoire énoncée peut donner forme, et constituer une preuve. Outre cette scène qui ouvre et ponctue le film, Florence Lazar suit un groupe de familles de victimes, autorisées à assister au procès. Comme il lui est interdit de pénétrer dans la salle, elle en expose les contours : dans les couloirs et les salles d’attente, avant et après, et, ainsi, choisit l’évènement contre le monument pour lutter contre l’oubli, opte pour la multiplicité des prises de paroles subjectives, susceptibles de produire une histoire complexe.

Noëlle Pujol Le Préparateur, 2006. Vidéo 37 min.

 

 

 

Le temps de l’apprentissage

Si Clarisse Hahn va pour la première fois rencontrer la grand-mère de son mari escortée de sa caméra (Kurdish Lover, 2010), que Noëlle Pujol installe la sienne avant de recevoir un secret de famille (Histoire racontée par Jean Dougnac, 2010), ces expériences qui touchent directement l’intimité des cinéastes ne prennent pas la forme d’une exploration narcissique : elles adressent la problématique plus large d’une co-présence du cinéaste et du sujet filmé. Aucune des artistes que l’on vient d’évoquer ne se soustrait complètement au système de l’image. Elles se savent un des éléments constitutifs de la réalisation du film mais n’en occupent pas pour autant le devant de la scène. Leur voix ou celle de leur traducteur se fait entendre, on les voit ponctuellement, leurs interlocuteurs les interpellent… Clarisse Hahn s’achemine vers des communautés régies par des codes d’appartenance identitaire dont elle décrypte les modes de vivre ensemble et dont les attitudes corporelles en constituent un des symptômes. Ce qu’elle voit à travers Karima (2003), jeune fille qui se meut aisément entre plusieurs codes culturels a priori antithétiques — ceux de son origine maghrébine et de sa pratique du sadomasochisme —, c’est un nœud social, une dynamique singulière d’affirmation de soi. Lors d’une séance de visionnage de la scène SM qui vient de se jouer, elle décide de rentrer dans le champ de la caméra aux côtés des protagonistes et ainsi participe à la construction de leur regard analytique. À ces expériences extrêmes s’opposent la pudeur et la rigidité des corps d’une famille protestante qu’elle interroge sur son rapport à la tradition, à l’argent, au bonheur… Dans ce film, Les protestants (2006), la caméra cherche sa place face aux corps, privilégie les plans fixes, zoome pour mieux les sonder et rentre plein pot dans l’image des tableaux ou des journaux de famille qui lui sont présentés. L’impression d’appartenance familiale qui protège autant qu’elle contrarie les individus est augmentée par l’effacement des délimitations entre les lieux d’habitation, dû en partie au resserrement du cadre sur les sujets. La proximité que Clarisse Hahn entretient avec ses protagonistes — elle connaît la famille protestante, devient l’amie de Karima ou de l’actrice porno Ovidie, avec qui elle va jusqu’à partager un logement — semble constituer une condition sine qua non à l’instauration d’un rapport de confiance et le moyen de trouver la juste distance avec ceux qu’elle filme.

Noëlle Pujol All The Children But One, 2008. Vidéo, 40 min.

« Le cinéma, art de l’instant et de l’instantané, est à mon avis l’art de la patience et l’art du temps », dira Jean Rouch3. Alors que les médias « pressent » la vision et, ce faisant, compressent et amputent notre compréhension du monde, les artistes donnent le temps à la complexité du réel de s’installer. Contre les temps forts de l’action, les « temps faibles » de l’infra-ordinaire. « Ni crescendo, ni climax, mais une incubation dans la durée »4. Florence Lazar, pour La prière (2008), installe fixement sa caméra dans la rue à l’endroit d’une prière musulmane. Grâce à la persistance du cadre et à l’attention donnée du début à la fin de l’action, ce que l’on aurait pu penser une foule homogène, réunie un temps dans l’espace public, apparaît hétérogène et formé de temporalités singulières à chacun. Sollicitant du temps de regard, l’artiste rend visible la coexistence du collectif et du singulier. Contre une vision programmatique et messianique qui voudrait anticiper l’image, les artistes privilégient la posture de l’apprenti. « Nous avons constaté […] dans l’art du XXe siècle, » écrivent Jean-François Chevrier et Philippe Roussin, « l’apparition d’un nouveau rapport : entre la division du sujet, dans un processus de formation mêlant apprentissage et méconnaissance, et le témoignage ou l’enquête comme expérience d’une altérité sociale, culturelle et même anthropologique, qui se démarque des normes nouvelles de l’information médiatique.5 Dans Le Préparateur (2006), Noëlle Pujol met en abyme les étapes de production du film par procuration du métier d’autrui. Partageant l’espace circonscrit et scientifique d’un taxidermiste et de son cygne mort, la cinéaste filme, depuis la séparation du corps jusqu’à sa reconstitution, le processus de remontage de l’animal. Passant de la photo au dessin, de la sculpture au théâtre, l’action enregistrée apparaît comme la métaphore du film en train de se faire. Et comme c’est souvent le cas dans les films de Noëlle Pujol, elle commence par la fin : l’animal mort, la fin du travail, un enfant disparu. Cet hommage rendu à la patience artisanale fait de précision, pourrait faire écho, le fantastique en moins, au film Les yeux sans visage de Franju qui, au lieu de retourner les images comme le fait Chris Marker, incise le réel pour aiguiser notre regard, comme par opération chirurgicale. C’est au moment de la pose de l’œil — moment propice à l’apparition des visages — que Noëlle Pujol décide d’apparaître dans le champ. « J’ai eu le sentiment […] de faire entrer dans le cadre ce qui se trouve derrière le tableau. Instant où j’ai senti que j’étais devenue à mon tour le modèle pour la reconstitution du cygne. »6

Si dans l’image d’actualité, la réalité montrée et la vérité énoncée se recouvrent, les images en mouvement des artistes que l’on vient d’évoquer ne sont jamais pleines, ni univoques. D’abord parce qu’une image n’est pas « suffisante », elle soustrait ou déborde du réel et en appelle toujours une autre pour faire sens, ensuite, parce que même une fois mises bout à bout, ces images continuent à ne courir après aucun dénouement. Mués par le désir de s’emparer du passé et d’écrire l’histoire au présent, ces artistes éduquent notre regard : ils proposent des perspectives alternatives et ouvertes qui mettent l’imaginaire du spectateur au travail.

 

1 Séminaire automnal organisé par Le BAL, « Les images manquantes », les 24 et 25 octobre 2011, à l’EHESS, Paris.

2 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, 2e éditon, De boeck, 2011, p. 107.

3 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, op.cit., p. 157.

4 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, op.cit., p. 126.

5 Jean-François Chevrier, Philippe Roussin, Le parti pris du document, in EHESS Communications, 71, 2011, Seuil.

6 Noëlle Pujol, journal du Festival du film documentaire, 2006.

 

Filming Invisibles

by Mathilde Villeneuve

 

Re-information

What a challenge to want to hitch yourself to the “documentary film” bandwagon! During my research, and my discussions with artists, each and every attempt to define this genre in relation to any other (the visual arts, fiction, or experimental film) exploded in mid-air. The choice of the object, the experience in the field, improvisation, everything which, on the face of it, seemed to represent the spearhead of the documentary object, saw itself catapulted by counter-examples of hybrid objects once and for all beyond any pigeonholing. So it has indeed been necessary to see things the way they are: the issue does not involve genre or medium. It never has. The Lumière brothers (1895) speeded up the tempo of the pace of factory production so that it could be contained in the reel. Robert Flaherty, in Nanook of the North (1922) got the protagonists to re-enact and stage ancestral, albeit abandoned, activities. Cinema  came into being as fiction as much as it came into being as documentary. So what remains are “moving images” which have a certain “relationship to reality”, more or less dilated, more or less anticipated. What should steer our analysis is the characterization of this relationship: what artists perceive and the way in which they share it. I have here decided to base my line of thinking on films by Clarisse Hahn, Florence Lazar, Catherine Dalfin and Noëlle Pujol, produced over these past ten years, because they seemed to me to share a certain number of direction principles, and proceeded by way of a similar intent which turns its back on the anaesthesia of the eye, and the way it sees, and renders visible what would otherwise not have been. Otherwise put, “necessary” images, which off-centre our eye, and how it sees, and renew our understanding of the world. While the media image still plays with the possibility of an objective way of seeing things, artists are not only not turning their backs on their subjective “focus point”; they are also fully assuming a manner of writing, albeit tiny, inherent to the cinematographic system. Let us say it again: a reliance on an already existing reality does not dispense with the issue of staging and presentation. There is always framing, composition, cutting, interpretation, i.e. the expression of reality based on a certain aspect of the camera. All the same, when reality arrives without us, it cannot be seen without us looking at it. The narrative organization, the organization of the eye and how it sees, are part and parcel of this elucidation. Reacting to a whole that is visible and accessible, to a media image and to the writing of a history of the powerful, artists, believe it or not, produce pockets of challenge to the powers-that-be. “Missing images”, to borrow the nice title of a conference recently held by the BAL (art centre dedicated to the document-image in Paris).1

 

Passing the mike

For all this, these artists are not laying claim to playing a directly political part, understood as an activism which might be ‘fully paid-up’. They are happier learning from their elders, Jean-Luc Godard inter alios, which consists in finding in the image itself the venue of commitment. They are neither visionaries nor soothsayers, so they tend to adhere to the line of thinking of Georges Franju, whose intent is “to reveal the invisible, not in the metaphysical sense of a hinter-world or of a buried past , but in the materialist sense of what one does not know or does not wish to see in the present reality.”2 This breakthrough of appearances proceeds less by way of the assertion of their viewpoint than by way of the triggering of that of others. Without previously knowing what that will find there, they set off to discover places and people who sharpen their curiosity, and, by keeping them in their original setting, try to analyze them. Florence Lazar stages moments when the mike, as it were, is passed to those who do not have access thereto. If she is interested in the postwar situations in the former Yugoslavia, it is because she wants to understand territorial conflicts which govern desires for power and domination. By preferring field experience, she tries to retrieve the discrepancy in the off-kilter perceptions which come to us from all that. She draws out events and questions their possible translations, especially in the mental space of the minorities who have experienced them. In Les Paysans (2000), she lets two farmers talk. Just as the static shot becomes a discreet receptacle, man, caught in an everyday and mechanical action (sorting vine shoots), can trigger the setting-in-motion of his thinking. This is when we witness the development of his enlightened reasoning: that of a possible peaceful co-existence between peoples, neutralized by the need for commercial trade. By pinpointing micro-history, and the private narrative, Florence Lazar opens up gaping gaps with regard to complex and traumatic goings-on. The feeling of urgency in the reports, that of oppressed peoples, does not, for all that, culminate in the manufacture of a message. Proceeding by way of a reduction of information about the context, she prioritizes the presence of the image. For Catherine Dalfin, seeing better is seeing less. The choice she makes of non-overloaded zones is answered by that of a lightweight arrangement and an economy of image-related signifiers. Setting off on her own with her camera, she adopts a phenomenological approach which attempts to capture what is in the process of appearing (and disappearing). Like the way in which François Daney has defined the challenges of the “horizon of the documentary”, the baring of the eye that she proposes creates an overlap, with much subtlety, between the world which she lives in and her cinematographic territory. By working her way into the midst of survival spaces, she elects to film those who, left by the roadside, strive to re-invent connection with the world in order to make it possible. Can We Go Quickly to the Sun? (2008) shows a secret military base created by the Soviets in Latvia to spy on Europe, then abandoned after the country’s independence. Since then, inhabitants have re-appropriated those places and tried to rehabilitate the telescope, removing it from its original function. This way of filming invisibles dovetails with All the Children But One (2008) by Noëlle Pujol, who, by way of tales told by children in a Hungarian village, lends a presence to the absence of their deceased friend. By installing times for words, from which she intentionally removes grown-ups, the artist brings forth a human relationship determined above all by the reconstructions of partial and diffracted memories, and many different stories into which imagination is introduced without any difficulty. This is also what Florence Lazar explores in Prvi deo (2006), when she introduces herself into the topicality of the first trial in Belgrade where Serbs were accused of war crimes for their participation in the Ovcara massacre of 1991. Here she arranges alternative spaces for words, defining a non-institutional framework of testimony. Getting into a car, the film-maker invites a Croatian woman to revisit her past by driving around the scene of the crime, at night, to boot. The woman driving describes the invisible traces of a trauma to which only a declared memory can give shape, and offer proof. In addition to this scene which opens and punctuates the film, Florence Lazar follows a group of victims’ families, authorized to attend the trial. Because she is not allowed to go into the court, she shows what lies around it: in the corridors and waiting rooms, before and after, and, in this way, she chooses event over monument to fight against oblivion, and opts for the multiplicity of subjective utterances, capable of producing a complex (hi)story.

Clarisse Hahn Karima, 2003. Vidéo SD, 98 min., couleur.

 

 

The Time of Apprenticeship

If Clarisse Hahn goes for the first time to meet her husband’s grandmother escorted by her camera (Kurdish Lover, 2010), and if Noëlle Pujol installs hers before receiving a family secret (Histoire racontée par Jean Dougnac, 2010), these experiences, which directly affect the film-maker’s privacy, do not take the form of any narcissistic exploration: they address the wider issue of a joint presence of film-maker and subject filmed. None of the artists whom we have just mentioned is completely removed from the image system. They know that they are one of the component parts of the making of the film, but, for all this, they are not centre stage. Their voice or their translator’s voice can be heard. We see them at specific times, and the people talking with them call out to them…  Clarisse Hahn heads towards communities governed by codes of identity-based membership, where she deciphers ways of living together, and whose physical attitudes represent one of the symptoms. What she sees through Karima (2003), a girl who moves easily between several, on the face of it, antithetical cultural codes—those of her North African origins and her practice of sadomasochism—is a social node, a particular dynamic of self-assertion. During a viewing session of the SM scene which has just been enacted, she decides to re-enter the camera’s field alongside the protagonist, and she thus takes part in the construction of their analytical way of seeing things. These extreme experiences contrast with the propriety and rigidity of the bodies of a Protestant family whom she questions about their relationship to tradition, money, and happiness… In this film, Les Protestants (2006), the camera seeks its place opposite the bodies, favours static shots, zooms, the better to delve into them, and enters in one fell swoop into the image of the family pictures and diaries which are shown to her. The impression of family membership, which is as protective as it is bothersome, is increased by the erasure of the boundaries between the dwelling places, partly due to the frame squeezing the subjects.  The closeness that Clarisse Hahn enjoys with her protagonists—she knows the Protestant family, she becomes a friend of Karima and the porn actress Ovidie, with whom she will even share accommodation—seems to represent a sine qua non condition for the establishment of a relationship of trust and a way of finding the right distance with the people she is filming.

Clarisse Hahn Karima, 2003. Vidéo SD, 98 min., couleur.

 

 

“Cinema, art of the instant and the instantaneous, is, in my view, the art of patience and the art of time”, in the words of Jean Rouch.3 While the media “hasten” vision and, in so doing, compress and amputate our understanding of the world, artists provide the time for the complexity of reality to be established.  Versus the highpoints of action, we have the “low points” of the infra-ordinary.  “Neither crescendo nor climax, but an incubation in time”.4 For La prière (2008), Florence Lazar fixes her camera in the street at the place of a Muslim prayer. Thanks to the persistence of the frame and the attention given from the beginning of the plot to the end, what we might have thought to be a homogeneous crowd, brought together for a period of time in the public place, appears heterogeneous and formed by time-frames peculiar to each person. In seeking out the time to look, the artist gives visibility to the co-existence of the collective and the singular. As opposed to a programmatic and messianic vision which would anticipate the image, artists prefer the apprentice’s stance. “We have noted […] in 20th century art,” write Jean-François Chevrier and Philippe Roussin, “the appearance of a new relationship: between the division of the subject, within a process of formation mixing apprenticeship and ignorance, and the report or inquiry as an experience of social, cultural and even anthropological otherness, which stands apart from the new norms of media information”.5 In Le Préparateur (2006), Noëlle Pujol duplicates the stages of the film’s production by procuring the trade of someone else. Sharing the defined and scientific space of a taxidermist and his dead swan, the film-maker films the process of putting the animal back together, from the separation of the body to its reconstruction. Shifting from photo to drawing, and from sculpture to theatre, the action recorded appears like the metaphor of the film in the process of being made. And as is often the case in Noëlle Pujol’s films, she starts at the end: the dead animal, the end of the work, a child who has disappeared. This tribute paid to the craftsman’s patience with its precision might echo, minus the fantastic factor, the film Les yeux sans visage made by Franju who, instead of reversing the images as Chris Marker does, incises reality in order to sharpen our eye, as if by a surgical operation. It is at the moment when the eye is cast—a moment propitious for the appearance of faces—that Noëlle Pujol decides to appear in the shot. “I had the feeling […] of bringing into the frame what happens to be behind the picture. A split second when I felt that I had, in my turn, become the model for the swan’s reconstruction”.6

If the reality shown and the truth stated overlap in the image of actuality, the moving images of the artists we have just mentioned are never full, or unambiguous. First and foremost because an image is not “sufficient”, it extracts from reality or spills beyond it, and invariably calls upon another image to make sense, subsequently, because even once put end to end, these images continue not to chase after any dénouement. These artists, prompted by the desire to take hold of the past and write the history of the present, educate our eye: they propose alternative and open outlooks which put the viewer’s imagination to work.

 

1 Autumn seminar organized by the BAL, “Les images manquantes”,  24 and 25 October 2011, at the ‘EHESS, Paris.

2 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, 2nd edition, De boeck, 2011, p. 107.

3 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, op.cit., p. 157.

4 François Niney, L’épreuve du réel à l’écran – Essai sur le principe de réaité documentaire, op.cit., p. 126.

5 Jean-François Chevrier, Philippe Roussin, Le parti pris du document, in EHESS Communications, 71, 2011, Seuil.

6 Noëlle Pujol, journal of the Festival du film documentaire, 2006