Engagez-vous, réengagez-vous…
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Finies, les envolées sartriennes sur la nécessité d’un art engagé. Oubliées, les années 70 et leur esthétique et politique radicalité. Les désillusions du post-modernisme sont passées par là, et auraient ridiculisé toute velléité d’engagement de la part des artistes. Faut-il pour autant tirer un trait définitif sur cette notion qui offrit à l’art quelques unes de ses belles heures ? Etre « engagé », cela consiste-t-il simplement aujourd’hui à reproduire en céramique une bagnole cramée type banlieue, pour la valoriser dans un centre d’art des quartiers populaires avant qu’elle ne tombe dans le trésor d’un méga-milliardaire ? Aussi radical chic qu’un treillis en strass dans une vitrine de l’avenue Montaigne… La crise qui s’est abattue sur le monde pourrait mettre en lumière des remises en question plus profondes : faire exister, en art, une position viable entre le parano pataud et l’activiste de pacotille ; entre le râleur forcené et l’alter-esthète de boulevard. Susciter de nouvelles voix pour les sans–voix. Inciter à appeler, comme le fit au printemps l’écrivain Edouard Glissant pendant les révoltes dans les Dom, à une « insurrection poétique ».
En 2003, Dominique Baqué faisait un constat amer dans son essai « Pour un nouvel art politique ». En pleine ère de l’intime, elle reniait toute capacité des artistes à éveiller la conscience d’un autre monde possible. « Quand il n’y a plus d’Histoire à laquelle s’adosser, plus de mythologies collectives à inventer, grande est la tentation du repli – plus ou
moins frileux, plus ou moins autarcique- sur les micro-histoires et sur les mythologies personnelles », analysait-elle. Ses bêtes noires : les Delphine Kreuger et autres Rebecca Bournigault, qui faisaient de leur nombril le centre du monde. Seule voie possible pour une parole à la fois plastique et politique : le documentaire. C’était oublier un peu vite combien, en portant une parole collective et en mettant à mal la notion d’auteur, la génération des Pierre Huyghe, Philippe Parreno et Dominique Gonzalez-Foerster donnaient, à leur manière, une assise politique aux mondes qu’ils mettaient en scène. Mais dans son ensemble, le constat paraissait juste.
Il n’y a pas eu de « génération hardcore », pour reprendre le titre de l’exposition qui, en 2003 au palais de Tokyo, tentait maladroitement de prôner une nouvelle posture : celle du « art-cker », entre artiste et hacker. « Il semblerait qu’une nouvelle génération d’artistes réinvestisse le politique ou le social, espérait alors Jérome Sans, son commissaire. Dans les années 80, on ne parlait que d’économie, et tout était dilué dans l’euphorie générale. Depuis la fin des années 90 et l’effondrement des grandes idéologies, c’est le retour du bâton. Cela fait longtemps que certains artistes tirent la sonnette d’alarme et évoquent ces questions, à l’avant-garde de la société civile. Mais on ne les écoutait pas : surtout pas dans le monde de l’art qui privilégiait l’audimat, le bruit et le spectaculaire». Après le coup de bambou d’avril 2002, il jugeait « plus que jamais nécessaire de réaffirmer une certaine violence politique». Pas de génération Hardcore, pourtant: artistes tombés au champ d’honneur avec leurs alter ego de l’altermondialisme, las. La pionnière paranoïa d’un Alain Declecrq semble avoir fait long feu ; aujourd’hui, son sens du brouillage, des pistes comme des sons, sa conscience aigüe d’une société hyper-surveillée, est partagée par tant et tant qu’elle se noie dans la masse. Parasitages, piratages, ces pratiques sont aujourd’hui communes à tous les geeks que nous sommes devenus. Quant à la posture démagogique de Jota Castro, qui imposait un « tri sélectif » des visiteurs, comme dans une boîte de nuit, elle a fait plus de mal que de bien à l’espoir de voir renaître un art activiste.
Six ans plus tard, en 2009, qu’en est-il ? Claude Lévêque intitule Le Grand soir son installation plutôt anar pour la biennale de Venise. Dominique Gonzalez-Foerster donne, avec son projet pour le Turbine Hall de la tate Modern, une image de la crise. Et l’écologie devient terre commune à nombre d’artistes. Formé aux voies du marxisme, le philosophe Jacques Rancière pointe pourtant toujours la perte de capacité critique de l’art, et de sa faculté de mobilisation « Il fut un temps où l’art portait clairement un message politique et où la critique cherchait à déceler ce message dans les œuvres. Je pense à l’époque de Bertolt Brecht, par exemple, où le théâtre dénonçait explicitement les contradictions sociales et le pouvoir du capital, ou aux années 1960 et 1970, quand s’est développée la dénonciation de la société du spectacle, avec Guy Debord : on pensait alors qu’en montrant certaines images du pouvoir – par exemple un amoncellement de marchandises ou des starlettes sur les plages de Cannes – on ferait naître chez le spectateur à la fois la conscience du système de domination régnant et l’aspiration à lutter contre. C’est cette tradition de l’art critique qui, selon moi, s’essouffle depuis trente ans. » Selon lui, l’art politique ne convainc que les convaincus : « Voyez les montages de l’artiste Martha Rosler, qui insérait des photos de la guerre du Vietnam dans des publicités pour des intérieurs américains. Bel exemple d’« art critique » qui espère vous faire réagir ! Pourtant, cette œuvre ne vous mobilise que si vous êtes déjà convaincu, d’une part, que ce qui est critiqué dans l’image est l’impérialisme américain, d’autre part que les Américains sont impérialistes. Sinon, vous avez l’impression d’être devant une image de propagande ».
Que dire dès lors ce tous ces motifs sociétaux et de ces tentatives de bonne conscience qui envahissent les centres d’art ? Revendiquant une envergure politique à son œuvre, Kader Attia s’en est fait une spécialité. Sa rhétorique est simple, voie naïve : elle consiste à fusionner en une même image motifs arabisant (moucharabieh, plan de ville algérienne, couscous, poème soufi) et objets sécuritaires (menottes, matraque, couteaux), pour provoquer des états de choc qu’il espère « universels ». Mais leur portée en termes de conscience collective ? Davantage d’espoir est à porter sur des postures plus complexes, moins frontales : celle, par exemple, déconcertante au premier abord, de Jean-Luc Moulène. Après avoir réalisé deux séries radicalement politiques avec Les objets de grève et les Objets palestiniens, ce dernier définit aujourd’hui de manière moins directe son rapport au politique : « Puisqu’on attend de moi un discours politique, j’avais envie de dire : maintenant, parlons d’art !, analyse-t-il en évoquant sa récente rétrospective au Carré d’art de Nîmes. On m’attend sur la Palestine, c’est pourquoi je me tais. Même si je peux dire aujourd’hui que je suis « palestiné ». Pour moi, cette exposition est la plus politique que j’ai jamais faite, une manière plus violente d’être politique que d’avoir un « discours sur »: parce que la politique suppose une conscience, et travailler à une conscience est peut-être plus fort que d’afficher un « soutien à ». Par exemple, Matisse a produit un tel imaginaire qu’il est forcément politique. En ce sens, les musées finissent presque par se constituer comme une histoire des contre-pouvoirs ».
Cette posture se rapproche de ce que Jacques Rancière appelle de ses vœux : l’« émancipation du spectateur ». Car oui, un art politique est encore possible, « à condition de bousculer les stéréotypes et de changer la distribution des rôles. Souvenez-vous de la phrase un peu provocatrice de Godard, qui disait que l’épopée est réservée à Israël et le documentaire aux Palestiniens. Que voulait dire Godard ? Que la fiction est un luxe, et que la seule chose qui reste aux pauvres, aux victimes, c’est de montrer leur réalité, de témoigner de leur misère. Le véritable art critique doit déplacer ce type de partage fondamental. Certains artistes s’appliquent d’ailleurs à le faire, comme Pedro Costa, qui filme des immigrés et des drogués dans les bidonvilles de Lisbonne en leur permettant de construire une parole à la hauteur de leur destin, en rendant la richesse matérielle de leur monde ».
Emanciper le spectateur, c’est aussi lui redonner un corps, à la fois intime et social : ce à quoi s’emploie Claude Lévêque, quand il nous rappelle que les tressaillements de nos chairs et âme sont peut-être la dernière forme de résistance possible. La cubaine Tania Bruguera nous fait la même invite : qu’elle réactualise symboliquement le suicide collectif commis par les populations indiennes après que les espagnols les aient réduites en esclavage ; qu’elle soumette le spectateur au bruit d’un tir de pistolet en le livrant à une nuit noire ; qu’elle fasse surveiller par des vigiles les visiteurs en train de se goinfrer de petits fours. Selon elle, « lorsque les gens ont peur, ils sont plus conscients, sont sur le qui-vive et déploient d’autres moyens pour comprendre ce qui est en train de se passer. La peur est un moyen d’apprendre et c’est une fois que nous savons la gérer que nous pouvons être libres ». C’est par « l’émotion vécue » que la politique, en art, se partage.
Emanciper le spectateur, c’est enfin lui livrer les secrets de fabrication de ce monde, et de ses images. C’est à cela que s’emploie notamment Sean Snyder. Ses analyses des espaces urbains et des représentations médiatiques emprunte au meilleur de la sémiotique 70’s, pour lui donner une envergure toute contemporaine. Déconstruction des symboliques sociales, idéologiques et urbaines de ces non-lieux que sont aéroports, MacDonalds et bases militaires désaffectées ; analyse de l’impact de l’archivage numérique sur le statut de l’image, mai aussi déstructuration des archétypes globalisant, de la pensée comme de l’architecture… Son travail se rapproche de celui, fondateur, du documentariste et plasticien berlinois Harun Farocki. Un de ses secrets, qu’analyse le catalogue de l’exposition HF/RG au Jeu de Paume ? « Etre dans sa propre langue un étranger », comme le prônait Gilles Deleuze et Félix Guattari. « Devenir le nomade et l’immigré et le tzigane de sa propre langue ». D’où son analyse précieuse, son dé-montage savant, de la façon « dont le monde peut être formalisé, formaté, contrôlé ». Dans ses films comme dans ses installations vidéo, il parvient à examiner d’un même élan l’état du monde et le statut de l’image. Ne craint pas de montrer et de démontrer, de monter et de remonter ; de rappeler l’origine (une bombe !) des images dont on nous abreuvait pendant la guerre du golfe ; de démanteler les vidéos-surveillance, d’analyser les stratégies perfides de la consommation. Autre secret : le temps, celui qu’il s’accorde et celui qu’il exige de nous, pour pénétrer entre les images. Dans un film des années 60, on le voit se brûler à la cigarette pour évoquer les effets du napalm, 15 fois supérieurs. Cette cicatrice, cette capacité à se blesser, voilà ce qu’il a gardé, jusqu’à aujourd’hui. Voilà comment, à sa manière de soft monteur, il perpétue la tradition d’un Chris Burden. Pas un hasard si c’est à Berlin que naît cette parole : là où l’occident a gardé trace de ses violences. Pas un hasard s’il est plus facile (plus essentiel) pour un artiste israélien, comme Yael Bartana, ou palestinien, comme Emily Jacir ou Nida Sinnokrot, de s’engager en art : mais l’occident, en perdant aujourd’hui ses certitudes, en écoutant davantage ses archipels, pourrait suivre leur chemin. « Les mondes en transformation appartiennent aux poètes carnassiers », écrivait René Char.
S’engager, aujourd’hui, ce n’est pas partir la fleur au fusil, en corps à corps frontal, mais avancer de biais, pour mieux s’immiscer dans les failles : à la manière d’un Gianni Motti qui, après s’être présenté aux élections américaines et s’être incrusté à l’Onu pour donner parole aux minorités, rêve de faire de la prison de Guantanamo un centre culturel. Belle inconscience politique ! Ou d’un Mircea Cantor, qui tente « non de parler de politique à travers des choses poétiques, mais de parler de poétique à travers le politique ». Bref, entre activisme pur et démagogie poisseuse, il est temps de revenir à davantage de subtilité. C’est que prône la très politique commissaire Catherine David: « Quand l’art se prétend politique, je pars en courant. Pour moi, l’écrivain le plus politique, c’est Beckett ou Mallarmé. Ce n’est pas pour autant qu’ils ont écrit sur les pauvres ou pour expliquer qu’on est mieux riche et bien portant. Le politique est dans la latence, pas dans le slogan. Avec ses monochromes blancs, Robert Ryman est tout aussi politique que Hans Haacke, dans sa critique de la matérialité. L’esthétique est politique quand, dans la langue comme dans les arts plastiques, on en arrive au bord de la permanence, de la bascule. Quand on n’est ni dans le fixe ni dans le garanti, ni dans la transparence ou l’immédiateté, mais dans la béance. Je n’ai pas besoin d’une image pour me faire comprendre qu’il n’est pas bon être clochard. Pas besoin de Salgado, mais d’artistes qui essentialisent. Qui sont dans une durée non réductible, dans le délai. Le politique, c’est ce qui est entre, les interstices, comment les choses se passent là, comme un pas de danse, une syncope très subtile ».
“Enlist, Re-enlist!”
Gone are the Sartrean tirades on the necessity of an engaged art. Forgotten, the 1970s and their aesthetic and political radicalism. The disillusions of post-modernism have already been there, and are always ready to ridicule every weak stab at political engagement that issues from art world. Is it time that this notion, responsible for some of art’s beautiful moments, be definitively crossed off the list? Does being “engaged” today boil down to creating a ceramic reproduction of a burned car in the French banlieue, valorizing it in art space in an impoverished neighborhood, then watching as if falls into the hands of a multimillionaire? As radical-chic as army fatigues in lead glass in a shop window on the Avenue Montaigne… The crisis that has ravaged the world occasions some deeper soul-searching: to create, in art, a viable position between the heavy-handed paranoiac and the Saturday afternoon activist, between the ranter and raver and the dilettante alter-aesthete. To generate new voices for the voiceless. To raise the call for a “poetic insurrection,” as the writer Edouard Glissant did in the Spring during the insurrections in the French Overseas Departments.
In 2003, Dominique Baqué came to a bitter realization in her essay “Pour un nouvel art politique.” In the era of intimacy in art, she renounced her belief that artists were still capable of raising consciousness of another world. “When there is no more History to lean back on, no more collective mythologies to invent, great is the temptation of a return–more or less cold-footed, more or less self-sufficient–to micro-histories and personal mythologies,” she argued. Her demons: the Delphine Kreugers and the Rebecca Bournigaults, who seemed to transform their own navel into the center of the world. The documentary becomes the only available avenue for a language both plastic and political. Perhaps this prognosis turned the page on the generation of Pierre Huyghe, Philippe Parreno, and Dominique Gonzalez-Foerster a bit too quickly; these artists, who developed collective language and unsettled the notion of the author, built their worlds, after all, upon a political foundation. But, as a whole, the realization seemed to hold.
There was never a “hardcore generation,” to revive the title of the 2003 exhibition at the Palais de Tokyo, which made a clumsy attempt at a new political stance: that of the “art-cker,” somewhere between an artist and a hacker. “It would seem that a new generation of artists is re-infiltrating the political and the social,” wrote a hopeful Jérome Sans, the show’s curator. “In the 1980s, all we talked about was the economy, and everything was diluted by the general euphoria. Since the end of the ‘90s and the disintegration of the great ideologies, we are witnessing a case of history gone full circle. Certain artists have been sounding the alarm and raising these questions for a long time, from the avant-guard to civil society. But we don’t listen to them, especially not in the art world, which privileges press ratings, noise, and sensationalism.” After the shock of the French presidential elections of 2002, he deemed it “more necessary than ever to reaffirm a certain political violence.” Not exactly a hardcore generation, to say the least: these artists fallen from grace with their alter-mundialist egos, drained. The pioneering paranoia of an Alan Declerq seems to have been raging for a long time; today, its use of static, its fuzziness of idea and sound, its heightened consciousness of social surveillance, has become so ubiquitous that it drowns out in the mass. Parasitism, pirating, are now quotidian practices for the geeks we have all become. As for the demagogic stance of Jota Castro, who instated a “quota-based selection process” on the visitors to his exhibition at the Palais de Tokyo–like that of a nightclub–it has done more harm than good concerning the hope for a rebirth of an activist art.
What has become of this hope in 2009, six years later? Claude Lévêque entitled his rather anarchist exhibition at the Venice Biennial “Le Grand Soir” (“The big night”). Dominique Gonzalez-Foerster, with his project for the Turbine Hall at the Tate Modern, gives us an image of the crisis. And ecology has become common ground for numerous artists. Drawing on his background in Marxism, the philosopher Jacques Rancière continually points to the loss of art’s capacity to critique, and of its power to mobilize. “There was a time when the art carried a clear political message, and when criticism attempted to elucidate this message in art works. I’m thinking of the era of Bertolt Brecht, for example, when theater explicitly denounced the social contradictions and the power of capital, or of the 1960s and ‘70s, with Guy Debord’s denunciation of the Society of the Spectacle: people thought that by showing certain images of power–a display of merchandise, for example, or starlets on the beaches of Cannes–they could awaken both a consciousness of the prevailing system of domination and the desire to struggle against it. It is this tradition in critical art that, I believe, has been running out of steam over the last thirty years.” According to Rancière, political art can only preach to the converted: “Look at the photomontages by the artist Martha Rosler, who inserted photographs of the Vietnam War into advertisements for American interiors. A beautiful example “of critical art” that hopes to make you react! But this work will only mobilize you if you have already been convinced, first, that American imperialism is what is being criticized in the image, and second, that Americans are imperialists. If not, you feel like you are standing in front of an image of propaganda.”
What can we say, then, of all of these societal motifs and all this striving for a clear conscience that we encounter in the centers of art? Kader Attia has made laying claim to a political art her personal speciality. Her rhetoric is simple, perhaps even naive: the artist fuses stereotyped Arab motifs (Mashrabiyas, Algerian city maps, couscous, sufi poetry) with objects associated with civic security (handcuffs, police clubs, knives) in a single image, aiming to incite a “universal” shock response. But what is the value of these images in terms of collective consciousness ? Perhaps we can put more hope in more complex stances, less obvious ones: that, for example, of Jean-Luc Moulène, always disconcerting at first glance. After realizing two radically political exhibitions, Les Objets de grève and Les Objects Palestiniens, Moulène articulates his relation to politics in less direct terms: “Since everyone expects me to talk about politics, I wanted to say: let’s talk about art now!”, he states, evoking his recent retrospective at the Carré d’Art in Nîmes. “They’re waiting to hear me say something about Palestine, and that’s why I’m keeping quiet. Even if I can say today that I am ‘Palestinized.’ For me, this exhibition is the most political one that I have ever made, a way of being political that is more violent than having a ‘discourse on’: because politics presupposes a consciousness, and working on consciousness is perhaps more powerful than flaunting ‘support for’. Matisse, for example, created such a vast imaginary that he is perforce a political artist. In this sense, the museums almost finish by constituting themselves as a history of the opposition.”
This stance links back to Jacques Rancière’s chief hope: the “emancipation of the spectator.” Because yes, a political art is still possible, “provided that it unsettles stereotypes and changes the distribution of roles. Let us recall that slightly provocative statement by Godard, saying that the epic is reserved for Israel and the documentary for the Palestinians. What was Godard trying to say? That fiction is a luxury, and that the only thing left for the poor to do, for the victims, is to show their reality, to bear witness to their own misery. The true art critic must shift this kind of fundamental division. Certain artists also try to do so, like Pedro Costa, who films immigrants and drug addicts in the slums of Lisbon and allows them to develop their own language for describing their fate, for conveying the material richness of their world.”
To emancipate the spectator is also to restore to him a body, both intimate and social, as Claude Lévêque suggests when he reminds us that the shudders of our flesh and soul are perhaps the last possible form of resistance. The Cuban artist Tania Bruguera extends a similar invitation, whether she symbolically reenacts the collective suicides of the indigenous American populations after the Spanish reduced them to slavery; submits the spectator to the sound of a gun fired in the dark; or has security guards monitor visitors as they stuff themselves with pastries. “When people are afraid, they are more conscious, more on the alert, and they use different means for understanding what is happening. Fear is a way of learning and we become free once we know how to handle it.” It is through “lived emotion” that politics, in art, is shared.
To emancipate the spectator is to reveal to him the secret ways in which the world and its images are fabricated. Sean Snyder is one noteworthy proponent of this aim. His analyses of urban spaces and media representations take the fruit of 1970’s semiotics and resituate it in the present. A deconstruction of the social, ideological, and urban symbolisms of the non-spaces we call airports, McDonald’s, and abandoned military bases; an analysis of the impact of digital indexing on the status of the image; the denaturing of global archetypes, of thought, of architecture… Snyder’s work recalls that of the Berlin-based artist and documentarian Harun Farocki, one of the founding fathers of this approach. One of Farocki’s secrets, according to the exhibition catalogue for HF/RG au Jeu de Paume? “To be a stranger in one’s own language,” as Gilles Deleuze and Félix Guattari once wrote, “to become the nomad and the immigrant and the gypsy of one’s own language.” Which is where the artist’s invaluable analysis comes from, his skillful dismantling of the ways in which “the world is formalized, formated, controlled.” In his films and video installations alike, he succeeds in examining the state of the world and the status of the image simultaneously. Do not be afraid of showing and concealing, of assembling and disassembling, of reminding us of the origin (a bomb!) of the images we were spoon-fed during the Gulf War, of destroying surveillance cameras, of analyzing the treacherous strategies consumption. Another secret: time, the time it takes and the time we need to penetrate between images. In a film from the 1960s, we see the artist burning himself with a cigarette to illustrate the effects of napalm, 15 times more potent. This scar, this capacity to be hurt, remains with Farocki to the present day. And this is how, through his smooth editing, he perpetuates the tradition of a Chris Burden. It is no accident if this discourse was born in Berlin, the city where the Occident retains traces of its violence; no accident if it is easier (or more essential) for an Israeli artist, like Yael Bartana, or a Palestinian one, like Emily Jacir or Nida Sinnokrot, to make engaged art. But the Occident today, in abandoning its certainties, in lending more of an ear to its neighbors, might be able to follow in the latter’s footsteps. “The worlds in transformation belong to the carnivorous poets,” wrote René Clair.
To be engaged, today, is not to act brashly, to fight the world head-on, but to advance sidelong, penetrating society through its fault lines: like Gianni Motti who, after presenting his candidacy for the American presidential elections and infiltrating the United Nations to give the floor to an absent minority, dreams of turning the Guantanamo Bay prison into an art space. Such glorious political recklessness! Or a Mircea Cantor, who attempts, “not to speak of politics through the poetic, but to speak of the poetic through politics.” In other words, given the two poles of an out-an-out activism and a dubious demagogy, it is time to return to subtleness. This is certainly what the highly politicized curator Catherine David has to say: “When art pretends to be political, I run away. For me, the most political writers are Beckett and Mallarmé. And that’s not because they wrote about the poor, or explained that people are better off rich, alive, and kicking. Politics is in latency, not in the slogan. With his white monochromes, Robert Ryman is just as political as Hans Haacke, in his critique of materiality. Aesthetics is political when, in language as well as in visual art, it brings us to the edge of permanence, of upheaval; when we exist neither in stability, nor in the guarantee, nor in transparency or immediacy, but in the breach. I don’t need an image to be convinced that it is not good to be homeless. We do not need a Salgado, but artists who essentialize, who work across an unlimited time frame, and not by the deadline. Politics is what is between, in the interstices, how things happen there, like a dance step, a very subtle syncopation.”
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