Green is the new black

par Benedicte Ramade

« Internaturalism » [1] au Parco Arte Vivente (parc d’art vivant) de Turin ; « Quiet Earth » [2] à la Robert Rauschenberg Foundation de New York en collaboration avec Marfa Dialogues / New York sur le changement climatique [3]; un programme de conférences organisé par COAL au Museum d’Histoire Naturel pendant la Fiac [4] et, à Long Island City, s’ouvrait le 9 novembre dernier une exposition de Tue Greenfort au terme de sa résidence dans le Queens [5] : cet automne, l’écologie semble enfin sortir de sa confidentialité et devenir le nouveau sujet chaud du moment. Pas trop tôt, pourrait-on dire, plus de quarante ans après les premières œuvres d’art écologiques réalisées aux États-Unis.

En septembre dernier, Bruno Latour exprimait dans un entretien donné à Nicolas Weill du Monde [6], la nécessité de réviser les priorités politiques de l’écologie afin d’envisager l’apocalypse inéluctable qui s’annonce : « Il ne faut pas se tromper sur le sens du mot « apocalypse », cela ne veut pas dire catastrophe. L’apocalypse signifie la certitude que le futur a changé de forme, et qu’on peut faire quelque chose. C’est comme si la forme du temps avait changé et que l’on pouvait donc maintenant enfin faire quelque chose. C’est une pensée pour l’action contre la sidération et la panique. Tant que l’on croit qu’on va bien s’en sortir, que l’on va essayer de retrouver un degré de croissance à 1 %, nulle action n’est envisageable. À l’inverse, l’apocalypse c’est la compréhension que quelque chose est en train d’arriver et qu’il faut se rendre digne de ce qui vient vers nous. C’est une situation révolutionnaire, en fait. Donc c’est assez normal qu’il y ait des sceptiques qui nient ou qui dénient le caractère apocalyptique de la situation dans laquelle nous nous trouvons aujourd’hui [7]. » Alors, on fait quoi dans cette révolution en marche ? Et surtout, que font les artistes ?

Hans Haacke, Rhine-Water Purification Plant, 1972. Impression numérique / Digital Print. Courtesy Hans Haacke, Paula Cooper Gallery. Vue de l’exposition / view of the exhibition « Quiet Earth », Marfa Ballroom/New York. Une des dernières œuvres écosystémiques d’Hans Haacke, clôturant un cycle dédié aux dynamiques naturelles. Cette station d’épuration avait ouvert un débat cinglant à l’époque dans la ville de Krefeld sur l’état de l’eau du Rhin lourdement polluée par l’industrie. / One of Hans Haacke’s last ecosystemic works, closing a cycle dedicated to natural dynamics. This purification plant triggered a bitter debate at the time in the city of Krefeld about the state of the Rhine’s water, heavily polluted by industry.

Hans Haacke, Rhine-Water Purification Plant, 1972. Impression numérique / Digital Print. Courtesy Hans Haacke, Paula Cooper Gallery. Vue de l’exposition / view of the exhibition « Quiet Earth », Marfa Ballroom/New York. Une des dernières œuvres écosystémiques d’Hans Haacke, clôturant un cycle dédié aux dynamiques naturelles. Cette station d’épuration avait ouvert un débat cinglant à l’époque dans la ville de Krefeld sur l’état de l’eau du Rhin lourdement polluée par l’industrie. / One of Hans Haacke’s last ecosystemic works, closing a cycle dedicated to natural dynamics. This purification plant triggered a bitter debate at the time in the city of Krefeld about the state of the Rhine’s water, heavily polluted by industry.

Preuve que la question se généralise, prenant au passage un caractère d’urgence, se sont récemment tenues quasiment simultanément deux tables rondes sur cette question. À New York, celle menée le 4 novembre dernier par Ann Pasternak de l’association d’art public new-yorkais Creative Time, invitait l’artiste Maya Lin (auteur ces dernières années de dispositifs assez simplistes recensant la disparition d’espèces) et Frances Beinecke du Natural Resources Defense Council, groupe de pression environnemental américain, à discuter ensemble de l’impact que pouvaient avoir les artistes et les œuvres consacrées aux désordres écologiques et à la crise de la diversité biologique et climatique ; à Paris, le 25 octobre dernier, Alice Audoin de COAL avait invité le duo d’artistes Julia Rometti et Victor Costales, l’ethno-écologue Élise Demeulenaere et la philosophe de la nature Catherine Larrère, nouvellement promue présidente de la FEP (fondation de l’écologie politique), à aborder ces mêmes questionnements et la nature de l’engagement de chacun. Les discussions n’ont hélas pas vraiment conduit à autre chose qu’à des constats de bonne volonté, d’engagements presque désemparés devant la complexité du champ à investir. Rappelant encore que la question environnementale est celle, utilitariste, de la survie de l’humain davantage que celle de la protection de la nature pour elle-même, la plupart des interlocuteurs ont reconnu la capacité des artistes à inventer et à mettre en activité des processus non homologués. Stephen Jay Gould , célèbre paléontologue de l’université d’Harvard, ne disait déjà pas autre chose au sujet de l’œuvre du peintre Alexis Rockman avec lequel il a souvent collaboré : « Les artistes, par conséquent, peuvent être plus utiles aux scientifiques en montrant le préjudice de nos catégorisations, en élargissant avec créativité le registre des formes naturelles et en fracturant les limites d’une manière franche… [8] »
Cependant, dans aucune de ces tables rondes n’a été interrogée la capacité du monde de l’art à appréhender l’utilité d’une œuvre, laissant là ouvert un débat amorcé dans les années quatre-vingt alors qu’émergeaient ces mêmes interrogations. Le statu quo est ainsi patent, presque désespérant. Sauf que les conditions bougent, comme le fait remarquer Latour, et qu’à force de séismes, les lignes bougeront peut-être aussi en art. Car à une époque où la question environnementale dépasse de loin le strict cadre d’un territoire circonscrit par des frontières, la nécessité de visualiser est primordiale. D’autant que les phénomènes comme le réchauffement climatique, par exemple, sont des concepts tentaculaires dont les échelles spatiale et temporelle dépassent de loin l’étalon de mesure que représente la perception individuelle. C’est bien l’objet du dernier opus de Timothy Morton — déjà auteur du provocant Ecology without Nature en 2007 — Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World [9], sorti cette année et qui envisage, à l’instar de ce qu’énonce Latour, la nécessité de réviser nos paradigmes et conceptions dans une perspective apocalyptique. Dans un article préliminaire cherchant à expliquer la notion d’ « hyperobjet », Morton écrivait à propos du plutonium dont la durée d’activité est de 24 100 ans (soit bien plus longue que l’histoire humaine déjà écrite) : « Cela signifie qu’il nous faut d’autres bases pour prendre des décisions par rapport à un futur avec lequel nous n’avons pas la moindre espèce de connexion. Il est urgent de créer une politique et une éthique qui ne nous avantagent pas afin de s’occuper de ces hyperobjets pernicieux. [10] »
Réviser les positions, le premier chantier est urgent et palpitant, convoquant l’imagination et la spéculation de nouveaux modèles. C’est là le point vital où les œuvres peuvent agir au lieu de toujours constater.

Étonnamment, les artistes contemporains, dont on a vu certains s’enticher de nanotechnologies et de collaborations avec des laboratoires de recherche scientifique ultra-pointus, sont peu nombreux à plonger dans l’univers complexe de ces « hyperconcepts » comme le réchauffement climatique, pour ne prendre que le plus médiatique et en même temps le plus informe et controversé de ceux-là. Il faut dire que le concept, excédant toute forme envisageable, rend toute approche esthétique périlleuse [11]. Entre l’excès de symbolique ou de métaphore accolant une étiquette pédagogique à une proposition ou le choix d’une approche micro-locale forcément restreinte, aucune « solution » plastique ne convient vraiment [12]. Mettre le mot « solution » entre guillemets, c’est revenir sur la sémantique de l’écologie et des arts qui s’en préoccupent. En effet, avec pareil sujet ou système de pensée, comment éviter les dialectiques pragmatiques qui font qu’à un problème répondent forcément une solution et l’attente de cette solution ? Et c’est bien là le problème. L’écologie, bastion d’une morale bien basique, précipite le plus souvent les œuvres qui s’y plongent et les spectateurs qui s’en préoccupent dans les affres de la bonne action, de la responsabilité et de ses corollaires bien intentionnés. Et comme une bonne intention ne se critique pas vraiment, de se retrouver avec des œuvres à la pauvreté esthétique plus néfaste que l’utilisation de matériaux non recyclables. Le jonglage auquel doivent s’adonner les artistes pour sortir du piège écologique est un exercice de haute voltige qui réussit rarement.
Là encore, la terminologie est intéressante. Réussir. L’écologie ramène presque immanquablement à une nécessité de résultat tangible. Mais bien malin qui pourra définir en peu d’arguments les conditions de réussite d’une œuvre. Parle-t-on ici d’une réussite écologique, politique, sociale, artistique, esthétique, individuelle, sociétale ? L’équation doit impliquer des ratios incluant chacune des parties représentées, à moins que le fait esthétique ne prime impérieusement, puissance supérieure indexant toute la formule ? Une nécessaire révision des critères de jugement s’impose. Finalement, l’immobilisme esthétique des arts éco-sensibles est intrinsèque au sujet, l’écologie est elle-même responsable de ce qu’elle induit comme œuvres, toutes plus ou moins captives de schémas déjà bien émoussés. En nous appelant aujourd’hui à dépasser nos perceptions et notre sens commun, Timothy Morton et Bruno Latour offrent enfin une respiration à un domaine englué dans une vision bipolaire, entre conservationnisme et préservationnisme, héritée du XIXe siècle et collée au fait naturel.

Tue Greenfort, artiste danois dont les propositions faisaient jusqu’à présent mouche en travaillant avec intelligence les effets paradoxaux et parfois délétères de la vertu écologique [13] s’est lui aussi fait prendre au piège de son sujet tout dernièrement. Au Sculpture Center de Long Island City, dans le Queens, il a dévoilé début novembre une installation d’aspect hélas passéiste. Arrangement de mauvaises photographies (dont on ignore si la piètre qualité tient à la volonté d’être sérieux [14] ou à un simple déficit d’attention liée à la fonction strictement documentaire), de tables d’observation rassemblant des objets collectés (des détritus pour la plupart altérés par les éléments naturels comme ce bloc de polystyrène déjà colonisé de coquillages) et d’une sculpture installative triangulaire, entre filtre à eau et mauvaise maquette de sciences et vie de la terre, niveau collège, l’exposition ressemble à un rejeton de Rhine Water Purification Plant d’Hans Haacke (1972) et du projet de Mierle Laderman Ukeles amorcé à Freshkills voilà plus de dix ans : un fort goût de déjà-vu et une allégeance à des modèles certes pionniers et exceptionnels mais qu’il ne semble pas vraiment pertinent de rejouer maintenant. Encore une fois, le point de départ est irréprochable et le critiquer est tout aussi désagréable. À la faveur de sa résidence, Greenfort s’est intéressé à une zone interlope entre Brooklyn et le Queens, la zone humide de Jamaica Bay. Pas exactement un paradis récréatif mais une zone néanmoins essentielle à l’équilibre écologique du réseau d’alimentation en eau de la ville. Son intention est ici de montrer que la nature n’est pas uniforme en matière de réception publique : une zone plus ou moins plaisante sera plus « attachante » qu’un marécage, aussi fondamental qu’il soit dans un écosystème. Le « bon » écologique n’a pas grand-chose à voir avec les critères des usagers davantage placés du côté des loisirs. La prémisse est impeccable comme toujours avec Greenfort qui a suivi sa méthode immersive habituelle, accompagnant le travail de bénévoles et de groupes de scientifiques afin de constituer une base d’action concrète. Ainsi, la sculpture centrale déploie-t-elle un système de vases communicants via un réseau de tubes de plastique fluo et de billes de plastique pailletées et drainantes. Impossible de savoir à ce stade si l’unité centrale fait office de métaphore simpliste du rôle fondamental de Jamaica Bay à l’échelle de l’écosystème new-yorkais ou si elle est une proposition de système de filtration low-tech destiné à rendre chaque citoyen capable d’agir à l’échelle de son arrière-cour, manière d’inverser le mécanisme du syndrome NIMBY (Not In My Back-Yard Syndrom, apparu avec l’affaire Lois Gibbs de Love Canal en 1978) [15] ?

tueGreenfort1

Tue Greenfort, vue de l’exposition / view of the exhibition « Garbage Bay », Sculpture Center, Long Island City, 2013. Photo : Jason Mandella. À partir de l’écosystème de Jamaica Bay, Greenfort a créé une installation avec un arbre provenant d’une campagne de reboisement menée par le New York Restoration projet (I’m One in a Million, 2013), un impluvium (SculptureCenter Impluvium – Ecobulk, 2013) relié à une sculpture filtrante triangulaire (The Great Gateway, 2013) où l’eau ruisselle parmi paillettes et tubulures fluo. / Based on the ecosystem of Jamaica Bay, Greenfort has created an installation with a tree coming from a re-afforestation campaign undertaken by the New York Restoration projet (I’m One in a Million, 2013), and an impluvium (Sculpture Center Impluvium – Ecobulk, 2013) connected to a triangular filtering sculpture (The Great Gateway, 2013) where water flows among spangles and fluorescent pipes.

Tue Greenfort, vue de l’exposition / view of the exhibition « Garbage Bay », Sculpture Center, Long Island City, 2013. Photo : Jason Mandella. À partir de l’écosystème de Jamaica Bay, Greenfort a créé une installation avec un arbre provenant d’une campagne de reboisement menée par le New York Restoration projet (I’m One in a Million, 2013), un impluvium (SculptureCenter Impluvium – Ecobulk, 2013) relié à une sculpture filtrante triangulaire (The Great Gateway, 2013) où l’eau ruisselle parmi paillettes et tubulures fluo. / Based on the ecosystem of Jamaica Bay, Greenfort has created an installation with a tree coming from a re-afforestation campaign undertaken by the New York Restoration projet (I’m One in a Million, 2013), and an impluvium (Sculpture Center Impluvium – Ecobulk, 2013) connected to a triangular filtering sculpture (The Great Gateway, 2013) where water flows among spangles and fluorescent pipes.

La forme d’action ici ne convainc pas vraiment celui qui n’expérimente que l’espace de l’exposition au mieux pour une demi-heure, territoire inopérant pour rendre compte de paramètres extérieurs dont l’échelle excède largement le temps et le champ d’action du spectateur. Alors quoi ? L’institution artistique a-t-elle définitivement perdu voix au chapitre, laissant à la seule action de terrain toute probité ? L’affaire n’a rien d’aussi simple. Comme en écologie, le système prévaut sur l’individu et chaque rouage a son utilité, aussi décevante soit-elle en ce qui concerne l’expérience du spectateur. L’écologie elle-même est une intrication complexe de différentes sciences et spécialités, pourquoi se résoudre à ne tracer qu’une seule voie en art ? Reste que l’écologie et les questions environnementales ont imprimé, depuis le début de leur exploitation par les arts, des modèles dont il est difficile de se départir, des automatismes de compréhension quasiment indélébiles à moins d’un changement radical qui assumerait que l’art ne peut peut-être rien pour l’écologie. En s’intéressant un peu plus aux systèmes qui génèrent les « hyperobjets » ou les « hyperconcepts », il y aurait peut-être là une opportunité de ne pas arriver après la bataille.

  1. Organisée par Claudio Cravero, « Internaturalità / Internaturalism » rassemblait au PAV de Turin , du 8 mai au 29 septembre 2013, des traductions esthétiques de problèmes écologiques et de concepts plutôt abstraits de Lucy + Jorge Orta, Henrik Håkansson, Luana Perilli, Filippo Leonardi, Laurent Le Deunff, Piero Gilardi, Andrea Caretto et Raffaella Spagna, Brigitte de Malau, CAE|Critical Art Ensemble.
  2. « Quiet Earth » (commissariat : Fairfax Dorn) rassemblait à la Robert Rauschenberg Foundation de New York, du 15 octobre au 30 novembre 2013, des réponses à la crise climatique depuis les années soixante-dix à partir du film éponyme post-apocalyptique de 1985, avec des les œuvres d’Amy Balkin, Larry Bamburg, Agnes Denes, Hans Haacke, Donald Judd, Maya Lin, Trevor Paglen et Robert Rauschenberg.
  3. Marfa Dialogues
  4. « Quand la culture passe à l’action » était le maître-mot des rencontres organisées pendant la Fiac par COAL : la première réunissait Camille Henrot, Pierre-Henri Gouyon et Jean-Michel Valentin, la seconde, Julia Rometti et Victor Costales, Elise Demeulenaere et Catherine Larrère, la dernière, Michelangelo Pistoletto, Sandrine Baudry et Virginie Maris. COAL \ Depuis 2008, cette plateforme rassemble chercheurs, scientifiques, artistes et commissaires autour de la notion d’art et développement durable. À l’origine d’un prix d’art contemporain, COAL gère désormais la programmation artistique du Domaine de Chamarande.
  5. L’exposition se tient au Sculpture Center de Long Island City (Queens) jusqu’au 27 janvier 2014.
  6. « L’apocalypse est notre chance », Le Monde, dimanche 22 septembre 2013, p.15.
  7. Ibid.
  8. Stephen Jay Gould, « Boundaries and Categories », Alexis Rockman, The Monacelli Press, 2003, p.14
  9. Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World, University Press of Minnesota, 2013.
  10. Hyperobjects and the End of Common Sense
  11. On peut signaler ici l’action menée par les artistes Hanna Husberg et Laura McLean sous la forme d’un symposium, fin septembre, à la biennale de Venise dans le cadre du pavillon des Maldives, un territoire menacé de disparition par le réchauffement climatique. Voir : Contingent Movements Archive
  12. Il ne s’agit pas ici de condamner ce type d’action mais d’en déplorer les limites.
  13. Milk Heat (2009), système de chauffage « naturel » mis en place sur le domaine de Wanås dans le Sud de la Suède, articulait brillamment les failles de l’agriculture biologique et les répercussions sur le réchauffement climatique. Greenfort avait ainsi installé à l’extérieur d’une étable, le long d’un chemin, un radiateur, alimenté par la chaleur du lait fraîchement extrait. Le lait voyait du même coup sa température descendre naturellement afin d’être transportable, tout en gaspillant l’énergie ouvertement en pleine nature. Le calorifère, délicieusement hétéroclite dans le paysage, jouait autant de l’absurdité de sa présence en plein air que de son utilité dans une combinaison parfaite.
  14. Un long débat pourrait ici être ouvert sur les vertus ou les défauts de la sublimation de la pollution. Il est d’ailleurs symptomatique que le biologiste français Francis Hallé appelle à délaisser une logique misérabiliste et axée sur une représentation catastrophiste de l’écologie pour représenter la vitalité, et ainsi conditionner un espoir dynamogène. Le parti à choisir n’est pas simple, entre la sublimation d’exploitation de sables bitumineux en Alberta à la Edward Burtinsky ou le ravissement béat, aucune « solution » ne semble entretenir un quelconque élan dynamogène générateur de changement. Encore une fois, parce que les schémas sont ceux des temps préliminaires à l’écologie et qu’on ne semble pas pouvoir s’en sortir. Restent la fiction, l’imaginaire et la science-fiction peut-être pour penser l’écologie ? Voir à ce sujet Fredric Jameson, Archéologies du futur, tome 2 : Penser avec la science-fiction, Paris, Max Milo, 2008.
  15. De 1976 à 1978, l’opinion publique américaine découvrait que des habitants de Niagara Falls, dans l’État de New York, avaient été affectés par la contamination chimique des sous-sols de leur quartier résidentiel, une pollution massive (fausses couches et malformations fœtales en ont attesté) due à la compagnie Hooker, peu scrupuleuse des règles de stockage des produits hautement toxiques. La fronde contre les promoteurs immobiliers, les entrepreneurs et les autorités fut menée et incarnée par une mère de famille, Lois Gibbs, et le scandale du Love Canal déclencha le mouvement de protestation citoyen qualifié de syndrome NIMBY acronyme de Not In My Back-Yard, littéralement en français : « pas dans ma cour » que l’on peut rapprocher des enjeux de l’environnementalisme local encore appelé localisme. Le rôle de Lois Gibbs en sentinelle citoyenne fut exemplaire.

Green is the New Black

“Internaturalism” [1] at the Parco Arte Vivente in Turin; “Quiet Earth” [2] at the Robert Rauschenberg Foundation in New York in collaboration with Marfa Dialogues/New York, whose theme is climate change [3]; a lecture programme organized by COAL at the Museum of Natural History in Paris during the FIAC [4], and, in Long Island City, on 9 November last an exhibition of Tue Greenfort opened to mark the end of his residency in Queens [5]: this autumn, ecology seems at long last to be emerging from its secrecy and becoming the new hot topic of the moment. None too early, one might add, more than forty years after the first ecological artworks produced in the United States.

Last September, in an interview with Nicolas Weill of le Monde [6], Bruno Latour talked about the need to review the political priorities of ecology in order to imagine the unavoidable apocalypse in the offing: “We mustn’t get the meaning of the word ‘apocalypse’ wrong: it doesn’t mean catastrophe. Apocalypse means the certainty that the future has changed shape, and that it’s possible to do something. It’s as if the shape of time had changed and that it was now finally possible to do something. This is a way of thinking in favour of action against astonishment and panic. As long as we think we’re going to come out of it all right, that we’re going to get back to a 1% growth rate, no action can be envisaged. Conversely, the apocalypse is the understanding that something is happening and that we have to be worthy of what’s coming towards us. It’s a revolutionary situation, in fact. So it’s quite normal that there are skeptics who deny and refuse the apocalyptic character of the situation we’re in today. [7]
So what do we do in this revolution on the move? And more especially what are artists doing?

As proof that the issue is spreading, and taking on an urgent look in passing, two round tables about this question were recently and simultaneously held. In New York, the one held on 4 November last by Ann Pasternak, of the New York public art association Creative Time, invited the artist Maya Lin (creator over the past few years of somewhat simplistic works listing the disappearance of species) and Frances Beinecke of the Natural Resources Defence Council, an American environmental pressure group. Together they discussed the impact that might be had by artists and works devoted to ecological disorders, the climate crisis and the crisis in biodiversity; in Paris, on 25 October last, Alice Audoin of COAL invited the artists’ twosome Julia Rometti and Victor Costales, the ethno-ecologist Elise Demeulenaere and the philosopher of nature Catherine Larrère, newly promoted president of the FEP (French Foundation for Political Ecology) to broach these same questions and the nature of everyone’s involvement. Sadly, the discussions have not really led to anything other than declarations of good will, and involvements almost at a loss in the face of the complexity of the field to be occupied. Reminding us once more that the environmental question is the utilitarian issue of human survival rather than that of the protection of nature for its own sake, most of those taking part in the discussions recognized the capacity of artists to invent and implement unauthorized processes. Stephen Jay Gould, the famous palaeontologist from Harvard, was already saying just this about the work of the painter Alexis Rockman, with whom he has often worked: “Artists can therefore be most useful to scientists in showing us the prejudices of our categorizations by creatively expanding the range of natural forms, and by fracturing boundaries in an overt manner (while nature’s own breakages, as subtle in concept or invisible in plain sight, are much harder to grasp, but surely understandable by analogy to artistic versions) [8]”.
But none of these round tables questioned the capacity of the art world to grasp the usefulness of a work, thereby leaving open-ended a debate ushered in in the 1980s when these same questions were coming to the fore. The status quo is thus obvious, and almost hopeless. Except that the conditions are shifting, as noted by Latour, and that, because of upheavals, the lines may perhaps also shift in art. Because at a time when the environmental issue is going far beyond the strict framework of a territory defined by boundaries, the need to visualize things is quintessential. All the more so because phenomena like global warming, for example, are tentacular concepts whose space-time scales go well beyond the yardstick represented by individual perception. This is clearly the purpose of the latest opus produced byTimothy Morton—already author of the provocative Ecology without Nature in 2007 — Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World [9], published this year, which envisages, as Latour declares, the need to review our paradigms and concepts in view of an apocalypse. In a preliminary article seeking to explain the notion of “hyperobject”, Morton wrote about plutonium, with a half-life of 24,100 years (i.e. far longer than human history as already described): “This means that we need some other basis for making decisions about a future to which we have no real sense of connection. We must urgently construct some non-self ethics and politics to deal with these pernicious hyperobjects. No self-interest theory, no matter how modified (to include my relatives, my nearest and dearest, my cat, my great grandchildren’s hamster’s vet) is going to cut it. [10]
Reviewing positions, the first task is urgent and exhilarating, calling on imagination and speculation about new models. This is the vital point where works can act instead of always observing.

Norma Jean, Potlatch 13.4/Portable Catastrophe, 2013. Installation vivante, sac plastique, graines de maïs, dimensions variables / Live installation, plastic bag, maize seeds, dimensions variable, Parco d’Arte Vivente, Turin. Photo : Valentina Bonomonte. Au début des années soixante-dix, le couple Harrison créait le programme des fermes portatives. Norma Jean en décline le principe avec des grains de maïs sélectionnés pour leur rendement et leur résistance, en faisant une espèce plus vraiment naturelle. / In the early 1970s, the Harrisons created the portable farm programme. Norma Jean updates the principle with maize seeds selected for their yield and their resistance, making a more truly natural species.

Norma Jean, Potlatch 13.4/Portable Catastrophe, 2013. Installation vivante, sac plastique, graines de maïs, dimensions variables / Live installation, plastic bag, maize seeds, dimensions variable, Parco d’Arte Vivente, Turin. Photo : Valentina Bonomonte. Au début des années soixante-dix, le couple Harrison créait le programme des fermes portatives. Norma Jean en décline le principe avec des grains de maïs sélectionnés pour leur rendement et leur résistance, en faisant une espèce plus vraiment naturelle. / In the early 1970s, the Harrisons created the portable farm programme. Norma Jean updates the principle with maize seeds selected for their yield and their resistance, making a more truly natural species.

Surprisingly, contemporary artists, some of whom have become infatuated with nano-technologies and joint projects with extremely state-of-the-art scientific research laboratories, are few and far between when it comes to delving into the complex world of these “hyperconcepts”, like global warming, to take just the most media-covered and at the same time the most amorphous and controversial of these. It should be said that the concept, going beyond any imaginable form, makes any aesthetic approach hazardous [11]. Between the excess of the symbolism and metaphor placing an educational label over a proposition or the choice of a micro-local and perforce limited approach, no visual “solution” really fits the bill [12]. Putting the word “solution” in inverted commas is going back to the semantics of ecology and the arts which are concerned with it. In fact, with this kind of subject or system of thinking, how is it possible to avoid the pragmatic dialectics which mean that for a problem there is perforce a solution and the expectation attendant upon this solution? And here lies the rub, indeed. Ecology, bastion of very basic morality, usually precipitates works which plunge into it, and spectators who are concerned in the throes of good deeds, responsibility and its well-intentioned corollaries. And because a good intention cannot really be criticized, it finds itself with works with an aesthetic poverty that is more sinister than the use of non-recyclable materials. The juggling which artists must get involved with to escape from the ecological trap is a high-wire exercise which rarely succeeds. Here again, the terminology is interesting. Succeed. Ecology almost inevitably leads to the need for tangible results. But shrewd indeed is the person who can with few arguments define the conditions for the success of a work. Are we talking here about ecological, political, social, artistic, aesthetic, individual, societal success? Must the equation involve ratios including each one of the parties represented, unless the aesthetic fact imperiously takes precedence, a higher power indexing the whole formula? A necessary review of judgement criteria is called for. In the end, the aesthetic immobilism of the eco-sensitive arts is intrinsic to the subject, ecology is itself responsible for what it introduces as works, all more or less captive in already well dulled schemes. In summoning us today to go beyond our perceptions and our common sense, Timothy Morton and Bruna Latour are finally offering a breath of fresh air to a field bogged down in a bipolar vision, somewhere between conservationism and preservationism, inherited from the 19th century and clinging to natural facts.

Tue Greenfort, Milk Heat, 2009. Radiateur, lait frais / radiator, fresh milk, the Wanas Foundation. Chauffage en plein air, l’installation alimentée par la chaleur du lait de vache fraîchement trait souligne ironiquement autant la perte énergique entraînée par le refroidissement du lait pour son transport qu’elle ne propose une méthode « naturelle » alternative pour baisser la température. / As outdoor heating, the installation fed by the heat of freshly milked cow’s milk ironically underscores the energy loss caused by the milk being cooled for transportation as much as it proposes an alternative “natural” method for lowering the temperature.

Tue Greenfort, Milk Heat, 2009. Radiateur, lait frais / radiator, fresh milk, the Wanas Foundation. Chauffage en plein air, l’installation alimentée par la chaleur du lait de vache fraîchement trait souligne ironiquement autant la perte énergique entraînée par le refroidissement du lait pour son transport qu’elle ne propose une méthode « naturelle » alternative pour baisser la température. / As outdoor heating, the installation fed by the heat of freshly milked cow’s milk ironically underscores the energy loss caused by the milk being cooled for transportation as much as it proposes an alternative “natural” method for lowering the temperature.

Tue Greenfort, a Danish artist whose proposals hitherto hit the bull’s eye by working intelligently on the paradoxical and at times deleterious effects of ecological virtue [13] has himself latterly been ensnared by his subject. At the Sculpture Center in Long Island City, in Queens, in early November, he unveiled an installation with, alas, a look that harks back in time. An arrangement of poor photographs (we don’t know if the mediocre quality has to do with a desire to be serious [14] or with a simple lack of attention linked to the strictly documentary function), observation tables bringing together collected objects (waste for the most part altered by natural elements, like this block of polystyrene already colonized by shells), and a triangular installational sculpture, somewhere between a water filter and a bad maquette of earth sciences and life on earth, college-level, the exhibition looks like an offshoot of Hans Haacke’s Rhine Water Purification Plant (1972) and the project of Mierle Laderman Ukeles initiated at Freshkills more than ten years back now: a pungent whiff of déjà-vu and an allegiance to definitely pioneering and outstanding models, but which it does not really seem relevant to re-enact today. Once more, the point of departure is beyond reproach and to criticize it is just as unpleasant. During his residency, Tue Greenfort became interested in a shady area between Brooklyn and Queens, the wetlands of Jamaica Bay. Not exactly a recreational paradise, but a zone that is nevertheless essential to the ecological balance of the city’s water supply network. His intention here is to show that nature is not uniform in terms of public reception: a more or less agreeable area will be more engaging than a marsh, not matter how crucial it may be in an ecosystem. Ecological “good” does not have much to do with the criteria of users more inclined to leisure pursuits. The premiss is flawless, as is always the case with Greenfort, who has followed his usual immersive method, accompanying the work of volunteers and groups of scientists in order to come up with a tangible basis for action. So the central sculpture develops a system of communicating vases via a network of fluorescent plastic tubes and plastic ball bearings that are spangled and draining. It is impossible to know at this stage if the central unit acts as a simplistic metaphor of the basic role of Jamaica Bay on the scale of the New York ecosystem, or whether it is a proposal for a low-tech filter system designed to make each and every citizen capable of acting on the scale of his or her back yard, a way of reversing the mechanism of the NIMBY (Not In My Back Yard) syndrome, which appeared with the Lois Gibbs affair, and the Love Canal, in 1978) [15] ?

The form of action here does not really convince those who only experiment with the space of the exhibition at best for half an hour, an unoperational territory for recording exterior parameters whose scale greatly exceeds the time and field of action of the spectator. So then what? Has the art institution once and for all lost its voice, leaving all integrity just to action in the field? The matter is nothing like as simple as this. As in ecology, the systems takes precedence over the individual and each cog has its usefulness, no matter how disappointing it may be as far the spectator’s experience is concerned. Ecology itself is a complex interweave of different sciences and specialities, so why be reduced to tracing just a single path in art? The fact remains that ecology and environmental issues have, since the start of their exploitation by the arts, imprinted models which it is hard to veer away from, automatic devices of understanding that are almost indelible, unless there might be a radical change which would assume that art can perhaps do nothing for ecology. By taking a little more interest in the systems which give rise to “hyperobjects” and “hyperconcepts”, there might possibly be an opportunity here of not arriving after the battle.

  1. Organized by Claudio Cravero at the PAV in Turin, from 8 May to 29 Septembre 2013, “Internaturalità / Internaturalism” brought together aesthetic translations of ecological problems and somewhat abstract concepts presented by Lucy + Jorge Orta, Henrik Håkansson, Luana Perilli, Filippo Leonardi, Laurent Le Deunff, Piero Gilardi, Andrea Caretto et Raffaella Spagna, Brigitte de Malau, CAE|Critical Art Ensemble.
  2. “Quiet Earth” (curated by Fairfax Dorn) brought together at the Robert Rauschenberg Foundation in New York, between 15 October and 30 November 2013, answers to the climatic crisis since the 1970s, based on the post-apocalyptic film of 1985 of the same name, with the works of Amy Balkin, Larry Bamburg, Agnes Denes, Hans Haacke, Donald Judd, Maya Lin, Trevor Paglen and Robert Rauschenberg.
  3. Marfa Dialogues
  4. “When Culture Shifts to Action” was the keyword of encounters organized during the Fiac by COAL : the first meeting brought together Camille Henrot, Pierre-Henri Gouyon and Jean-Michel Valentin; the second, Julia Rometti and Victor Costales, Elise Demeulenaere and Catherine Larrè; and the last Michelangelo Pistoletto, Sandrine Baudry and Virginie Maris. COAL \ Since 2008, this platform has been attracting researchers, scientists, artists and curators around the notion of art and sustainable development. At the origin of a contemporary art prize, COAL now manages the art programming of the Domaine de Chamarande (South of Paris).
  5. The exhibition is being held at the Sculpture Center in Long Island City (Queens) until 27 January 2014.
  6. “ L’apocalypse est notre chance ”, Le Monde, Sunday, 22 September 2013, p.15.
  7. Ibid.
  8. Stephen Jay Gould, “Boundaries and Categories”, Alexis Rockman, The Monacelli Press, 2003, p.14
  9. Hyperobjects, Philosophy and Ecology after the End of the World, University Press of Minnesota, 2013.
  10. Hyperobjects and the End of Common Sense
  11. Here we can mention the action undertaken by the artists Hanna Husberg and Laura McLean in the form of a symposium, in late September, at the Venice Biennale as part of the pavilion of the Maldives, a territory threatened with disappearance as a result of global warming. See: Contingent Movements Archive
  12. It is not a question here of condemning this type of action, but of lamenting its limits.
  13. Milk Heat (2009), a “natural” heating system installed on the Wanås estate in southern Sweden, brilliantly articulated the flaws of organic farming and the repercussions on global warming. Greenfort thus installed outside a stable, along a track, a radiator, fed by the heat of fresh milk. By the same token the milk saw its temperature naturally drop in order to be transportable, while at the same time squandering energy in the middle of nature. The heat-conveying radiator, delightfully incongruous in the landscape, played as much with the absurdity of its presence outdoors as with its usefulness in a perfect combination.
  14. A lengthy debate could be initiated here on the virtues and shortcomings of the sublimation of pollution. It is incidentally symptomatic that the French biologist Francis Hallé is calling for an abandonment of a miserabilist logic, focused on a catastrophist depiction of ecology to represent vitality, and thus package a dynamic-inspiring hope. The side to choose is not easy, between the sublimation of the exploitation of tar sands in Alberta, Edward Burtinsky-style, and blissful delight, no “solution” seems to have any kind of dynamic-creating verve which will promote change. Once again, because the schemes are those of the preliminary times of ecology, and because we do not seem able to get away from them. There thus remains fiction, imagination and science-fiction to think of ecology? See on this subject Fredric Jameson, Archeologies of the future: The Desire Called Utopia and Other Science Fictions, Verso, 2005
  15. Between 1976 and 1978, American public opinion discovered that the inhabitants of Niagara Falls in New York state had been affected by chemical contamination of the subsoil of their residential neighbourhood, a massive pollution (miscarriages and foetal malformations were witnessed) due to the Hooker company, anything but scrupulous about the rules for storing highly toxic products. The opposition against property promoters, business people and the authorities was led and incarnated by a mother, Lois Gibbs, and the scandal of Love Canal triggered the citizens’ protest described as the NIMBY syndrome, which may be likened to the challenges and stakes of local environmentalism still called “localism”. Lois Gibbs’s role as a citizen watchdog was exemplary.

articles liés

La vague techno-vernaculaire (pt.2)

par CRO : Félicien Grand d'Esnon et Alexis Loisel-Montambaux