Quoi de neuf, docteur
Happy Birthday ! Alors qu’on fête les quarante ans de la mythique exposition Quand les attitudes deviennent formes, le modèle de curateur-gourou que représentait Szeemann reste plus que jamais le mètre-étalon de l’art contemporain. Parce que le challenge que représente l’exposition collective représente plus que jamais une consécration tant pour le commissaire que pour les institutions, celle qui est devenu un médium constitue un enjeu sans cesse réinterrogé. Avec des problématiques vieilles comme le monde, revue des troupes…
L’exposition et son représentant le curateur constituent un nœud toujours aussi sensible et ceux qui s’y attaquent sont de plus en plus nombreux. L’enjeu attise plus que jamais les passions. Pour être « connu » et respecté, faut-il faire des expositions ? Serait-ce le seul moyen de comprendre vraiment l’art de notre temps ? Mettre les mains dans le cambouis pour savoir de quoi on parle ? Le faiseur d’exposition s’est ainsi démultiplié, toujours aussi cumulard, il est désormais sur le marché, recruté pour des expos en galeries en garant d’une plus-value intellectuelle et de l’assurance d’un étalagisme réussi. Le curateur en myth maker ? Plutôt technicien de surface ou arrangeur dans la plupart des cas, davantage susceptible de prendre la lumière que le critique. Le débat est donc surtout question de nombrils et d’aspiration à marquer l’Histoire. Mais tous ont beau chercher à définir leur rôle et l’affubler de nouveaux qualificatifs, ils se heurtent à la résistance du médium/média. Les publications analysant le phénomène dans une perspective historique – Issues in curating contemporary art and performance (Intellect book, 2007), What makes a great exhibition (PEI, 2006), Hans Ulrich Obrist, A brief history of curatoring (Jrp Ringier, 2008) ou encore Jérôme Glicenstein, Une histoire des expositions, PUF, 2009),se sont multipliées afin de démantibuler l’objet protéiforme et mutant qu’est l’exposition. Malgré tout, l’exercice du curatoring n’est pas parvenu à se dépêtrer d’une définition glissante et retorse, preuve en est, l’ambivalence des noms afférents à la fonction : curateur, commissaire, auteur, responsable, artiste, producteur…À l’aune de la décennie qui vient de s’écouler, la boîte de Pandore déborde désormais de problématiques, dé-définitions, contradictions, polémiques, satyres et autres tribulations, la tête de turc du curateur-chef d’orchestre trônant sur le tout, entre divinité et homme à abattre.
Display relevant des stratégies commerciales et dénotant d’une propension certaine à la photogénie et la cosmétologie des grands effets d’ensemble, exposition à thèse et à thème, leçon de choses, barnum scénarisé concomitant à l’ingénierie culturelle, expérimentations textuelles et spatiales, l’exposition pose finalement toujours une seule et même question : est-elle le milieu naturel ou idéal de l’œuvre ? Et ne cesse d’en formuler des hypothèses, d’en réviser les hiérarchies de genre. Tout comme celui du visage idéal du spectateur. Cet objet hybride qu’est l’exposition dépendrait finalement peut-être moins de ses « acteurs-œuvres » que du désir de pouvoir intellectuel et médiatique de son interprète, le commissaire. Les purs produits curatoriaux des années 2000 – Eric Troncy, Vincent Pécoil, Alexis Vaillant, Stéphanie Moisdon – ont, par leur prise de risque salutaire et ambitieuse, tissé une doxa temporelle de l’exposition signée. Mais depuis peu, des « cliques » de commissaires ont fait leur apparition (voir l’introït du 02 n°35 consacré au curatoring). Habitués à l’exercice collectif via leurs formations respectives, universitaires (eh oui, commissaire est désormais un métier, la bonne blague, qui produit des jeunes gens pressés et redoutablement efficaces) voire artistiques, les expériences curatoriales des Gourmel/Royer, Bétonsalon, du Commissariat ou encore du Bureau, témoignent d’un effacement de l’auteur au profit d’une forme ouverte et transitoire de l’exposition et du commissariat de groupe. Du statement (parfois péremptoire) de l’individu au maelström inquiet du team qui rejoindrait la forme non arbitraire de l’espace-laboratoire, l’endroit de la tractation en quelque sorte, tout tient en ce point saillant, ce « nouveau » phénomène.
Définitif / définition versus impermanence / prospection. L’un n’empêchant, n’invalidant ou ne ringardisant pas l’autre, c’est là toute la subtilité du grand pandémonium curatorial. Dans tout cela, le spectateur (mais est-ce à lui que s’adresse vraiment une exposition ? rien n’est moins sûr) doit à la fois exercer son ultra-érudition mâtinée de super intuition. Une chose est certaine en revanche dans ce grand mezze, c’est sa perte de spontanéité. Les structures institutionnelles et leur fonctionnement sont aujourd’hui tels qu’aucune exposition ne peut plus métaboliser une présence éruptive, dissidente, et forcément expérimentale. Le
déroulé d’une exposition et son exercice curatorial s’orchestrent désormais suivant des schèmes rigides qui ont tendances à lisser les objets, soumis aux nécessités de médiation et de médiatisation. Comme un symptôme direct de cette inflation événementielle, certains étudiants d’écoles des Beaux-Arts exploitent, comme à Nice, la solution alternative d’expositions quasi minute, formulées dans des espaces domestiques, exemptées des lois du cartel et de la commodification. La spontanéité réactive à un contexte hors white-cube peut-elle apparaître comme une solution ? Elle s’adapte parfaitement aux conditions actuelles de raisonnement et de diffusion des œuvres. C’est ce qu’ont parfaitement démontré de précédentes expériences curatoriales autogérées, à la manière des blitz expositions turinoises menées par le duo A Constructed World et Charlotte Laubard sous le label More fools in town entre 2003 et 2004. Mais, pitié, ne labellisons pas pour autant de telles initiatives sous l’adjectif « frais ». Ce que pointe ce type d’expérience, c’est le manque manifeste, en tout cas en France (même si le cas se relève aussi dans d’autres villes comme New York ou Los Angeles) d’espaces légers et dégagés du circuit officiel d’adoubement, afin d’expérimenter de nouvelles formes expositionnelles. L’expérience Public et son agissement collectif, avait offert à Paris une expérience hirsute et précieuse dont il a fallu désormais se passer. Sans ces intermédiaires, l’exposition, auréolée d’un pouvoir de reconnaissance et d’affirmation n’évite pas les dangers de la personnification de l’auteur. Mais le think big des super biennales n’étant plus depuis belle lurette le lieu d’expérimentation idéal pour la matière exposition, il va falloir avant tout, diversifier et renouveler les espaces pour envisager une ontologie optimisée l’exposition.
Et quid de l’invention ? Le renouvellement du genre de l’exposition de groupe paraît aujourd’hui difficilement exploitable. Il faut reconnaître à Eric Troncy un trait de clairvoyance (voir 02, n°26, été 2003), l’enjeu se situant peut-être davantage dans l’exposition monographique. Les meilleurs exemples récents, à chaque opposé du spectre, pourraient être le monument d’interprétation formulé par Rirkrit Tiravanija au Couvent des Cordeliers (A retrospective (tomorrow is another fine day), février-mars 2005) et la fantaisie concoctée aux franges du pompier par Jean-Luc Blanc et Alexis Vaillant pour le Capc de
Bordeaux (Opéra Rock, 5 mars-14 juin 2009). Entre la présence fantomatique de l’exposition d’expositions de la première, interprétée, surinterprétée, racontée et subsumée et la dramaturgie actée et scénographiée par amplification de la seconde (originale monographie chorale rassemblée autour du peintre), le petit théâtre de la monographie ouvre un territoire d’exploration et de négociation des plus excitants. Un nouvel eldorado possible ? Cela fait un petit moment que Christian Bernard y croit dur comme fer.
Faut-il pour autant prédire la fin de l’exposition de groupe, la mort du curateur comme la proclamait en couverture la revue texane Art lies cet hiver ? Ce serait aussi fin que d’annoncer le retour de la peinture. Le problème n’est pas là.Il est dans les supers pouvoirs prêtés au statut d’expert-concepteur-ambianceur. Car nombreux sont ceux à avoir en tête la figure tutélaire szeemannienne, ô combien sexy et prescriptrice, le messie. Mais ce qu’il faut se résoudre à admettre, c’est son invalidité actuelle. La fin de l’authorship aurait-elle été sonnée par « l’humilité » de l’anonymat du groupe ? Certainement, vu le nombre de cas d’espèces.En revanche, la figure du commissaire reste plus que jamais cruciale tant les expositions sans pilote affichent leurs lacunes. Le flop retentissant de l’exposition sur l’esthétique relationnelle au Guggenheim cet hiver est exemplaire. Lorsqu’on cantonne l’exercice de l’autorité curatoriale à une simple guest list, il ne faut pas s’étonner du foirage total de la manifestation, empilage de monographies ne constituant absolument pas dans ce cas précis, une exposition collective et encore moins historique. Le manque de direction est tout aussi dramatique pour une expression personnelle comme l’a cruellement révélé l’opus de Loris Gréaud au Palais de Tokyo l’an dernier, relativement mal entouré dans cette affaire. L’exposition monographique ne saurait se passer de la contradiction apportée par un commissaire, vecteur d’un décadrage souvent salutaire.
Le regain de commissariats d’artistes, de Mathieu Mercier (Dérive, Prix Ricard, octobre-novembre 2007) à Pascal Pinaud (Trivial Abstract à la Villa Arson, février-mai 2009), en passant par John Armleder (Printemps de septembre, Toulouse, septembre-octobre 2008) relève aussi certainement de cette inflexion. Mercier expliquant même à Yan Chateigné dans les pages du 02 n°39 :« l’expérience faite des œuvres dans des conditions optimum : l’exposition ». Si toutes ne suivent pas systématiquement le procédé de la méta-œuvre nourrie par celle des autres, la grande majorité se débarrasse du prétexte du sujet pour laisser libre cours à une approche intuitive de l’accrochage. Avec peut-être l’espoir utopique de « voir » dans des conditions idéales des pièces mieux respectées que par un curateur. Car les questionnements autour de la manipulation des œuvres-sujets et par là-même leur autonomie supposée, rêvée ou honnie (voir Elisabeth Wetterwald, 02 n°28), n’ont de cesse de revenir sur le tapis. On oscille toujours entre la conception de mesures de coercition active à l’adresse des spectateurs et, a contrario, le désir de décupler leur logique interprétative. Pour faire court, on est décidément pas sorti de la gadoue post-moderne ultra narcissique.
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- Du même auteur : Anthropocenia, Green is the new black,
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