Guillaume Leblon

par François Aubart

Dans Quatre-vingt-treize, roman tragique sur la Terreur, Victor Hugo se livre à une comparaison entre un château féodal et la guillotine révolutionnaire qui lui fait face. Il lance un irrévocable « un édifice est un dogme, une machine est une idée ». Il semble en effet illusoire de ne pas approuver que tout ce qui est construit véhicule un discours. Pourtant le caractère transitoire des œuvres de Guillaume Leblon semble avoir comme unique objectif de faire bégayer cette rhétorique.

L'arbre, 2005,  Bretigny sur Orge, courtesy galerie Wolff

L'Arbre, 2005, Bretigny sur Orge, courtesy galerie Wolff.

L’Arbre est un plant de Ginkgo recouvert d’une peinture grise qui vient plastifier sa surface naturelle. Exposé au CAC de Brétigny, il se présente en suspension, laissant un espace de quelques centimètres entre l’extrémité de son tronc et le sol. Son état naturel se confond ainsi avec une fonction, celle habituellement remplie par les reproductions en plastique utilisées pour signifier les végétaux dans les maquettes d’urbanisme. Son absence d’enracinement appuie le fait que cet objet n’est qu’indicatif, il ne dépend pas du contexte dans lequel il se trouve et n’est finalement là qu’en tant qu’évocation. L’Arbre incarne ainsi deux mouvements contradictoires, celui d’être un arbre et en même temps d’être la représentation d’un arbre. De lui-même plus exactement. On retrouve cette contradiction dans Vue depuis l’entrée vers l’escalier, un escalier en colimaçon qui semble mener vers un étage supérieur. Fait de carton-plume, matériau caractéristique des maquettes d’architecture, son titre nous confirme qu’il s’agit bien de la représentation d’un objet manufacturé. En tant qu’évocation, cet escalier n’a évidemment aucune vocation utilitaire. Son matériau ne peut supporter le poids d’un utilisateur et ne mène nulle part. Ce statut ambigu, qui par sa taille ne répond pas aux besoins d’une maquette et par son matériau ne peut être un élément architectural, révèle le caractère construit et assujettissant de notre environnement bâti. une maquette formalise une intention. Elle relève ainsi de la planification, préconise un agencement et de fait impose un comportement à son utilisateur. Seulement ici la préconisation se réalise en forme mais pas en acte. Incapable de remplir sa fonction, l’affirmation est posée, mais pas assumée. C’est donc bien le même trouble, provoqué par une coagulation de l’objet et son image, qui tourmente L’Arbre et Vue depuis l’entrée vers l’escalier. Pour- tant leurs effets varient. La première brouille l’image alors que la seconde altère la fonction.

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Landscape, 2003-2008, vue de l'exposition au musée de Saint-Jacques de Compostelle, courtesy de l'artiste.

Ce caractère paradoxal place les œuvres de Guillaume Leblon dans une position énigmatique quant à leur utilité. C’est le cas notamment de Contour, composée de néons suspendus dont les courbes dessi- nent la forme d’un lustre. La forme est fonction, car c’est bien la lumière elle-même qui dessine l’objet qui la produit. Les ornements qui caracté- risent ce type d’objet disparaissent, le privant de sa vocation d’apparat. Devenu strictement fonctionnel, le lustre perd de son prestige et déjoue le rôle qui lui paraît assigné. Il en va de même avec son National Monument qui n’a probablement de monumental que la taille et de national sûrement pas grand-chose. C’est un cube d’argile continuellement humidifié par des brumisateurs. Son suintement continu l’empêche de prendre une forme immuable et donc de commémorer définitivement devant l’éternité. Guillaume Leblon refuse également d’administrer une forme stable à ses œuvres lorsqu’il les photographie dans son atelier. Ses images sont prises dans une pénombre qui rend leurs sujets difficilement perceptibles. Nommées Sans titre, les formes que l’on y discerne semblent en effet refuser de divulguer leur identité. Par ces images, les œuvres de Leblon apparaissent fantomatiques, prêtes à se dérober. L’artiste va ainsi jusqu’à camoufler ses œuvres dans ses propres expositions. à Kerguéhennec, certains des éléments composant le décor habituel de n’importe quelle exposition, tel que l’écran de projection vidéo ou les bancs, sont construits en placoplâtre par l’artiste. Réitérant la confusion entre utilité et œuvres, ces réalisations s’adressent directement à l’expérience que nous en faisons. Car si rien n’a changé, les bancs et les écrans ayant leurs formes et fonctions habituelles, leur facture nous indique juste qu’ils ne sont pas ce qu’ils semblent être.

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Maisons sommaires, vue de l'exposition au Domaine de Kerguéhennec

On retrouve cette fascination pour un quotidien étrangement habituel dans la vidéo April Street. Il s’agit d’un travelling latéral dans la rue d’un quartier résidentiel inondé. La caméra, probablement posée sur une embarcation, filme un défilement de façades de maisons et de jardins envahis d’eau. Il faut ici se souvenir que l’invention du travelling remonte à 1896 et qu’on la doit à Alexandre Promio, qui, envoyé à Venise par les frères Lumière, eut l’idée de placer sa caméra sur une gondole descendant le Grand Canal. Ce geste contribua à enrichir le vocabulaire cinématographique en lui permettant de dépasser le cadre du seul plan fixe. Paradoxalement, le travelling introduit également une mise en doute de la représentation. Cette découverte d’une nouvelle façon de témoigner du réel souligne dans le même temps la séparation entre l’expérience et sa retranscription en mettant en lumière le fait que cette dernière est toujours partielle. Le travelling de Leblon a ceci de particulier qu’il utilise un événement exceptionnel, l’inondation, pas vraiment pour en rendre compte mais pour filmer une enfilade d’habitations des plus banales. L’événement n’est pas l’objet de cette vidéo, il est l’occasion d’une redécouverte du lieu commun où il prend place. Ce n’est donc pas vraiment le déplacement du cadre qui ouvre à une nouvelle approche du réel mais l’eau elle-même. En effet, la présence inexorable de cette étendue liquide formule un nouveau paysage où n’apparaissent que les parties supérieures des maisons. Dans l’image, horizontalement divisée en deux, la partie inférieure est occu- pée par le reflet de ces constructions. La possibilité de nommer clairement cet environnement semble elle-même submergée. Et par ce doute se noie la stabilité d’une affirmation qui permettrait de qualifier définitivement ce à quoi nous sommes confrontés. Toute présence se fait vaporeuse et instable. Par cette nature mouvante, les œuvres de Leblon déjouent leur formulation, à l’image de L’Arbre qui lorsqu’il fût exposé au Musée départemental de Rochechouart se présentait horizontalement, posé sur des tréteaux, retournant de lui-même l’angle selon lequel nous pouvions l’observer.

François Aubart

GUILLAUME LEBLON DOMAINE DE KERGUÉHENNEC, BIGNAN, Du 3 FÉVRIER Au 6 AVRIL 2008.

MUSÉE D’ART CONTEMPORAIN, CGAC, SAINT-JACQUES DE COMPOSTELLE, ESPAGNE, Du 11 AVRIL Au 29 JuIN 2008.

April street, 16 mm film, 8 mn, courtesy galerie Wolff


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