Entretien avec Georges-Philippe Vallois
Aude Launay : Vous avez commencé à travailler avec Paul McCarthy très tôt, comment cette rencontre s’est-elle passée ?
Georges-Philippe Vallois* : On a entendu parler de Paul McCarthy en 1992, lorsqu’Éric Troncy nous avait montré une photo de la performance Grand Pop (1977) le représentant avec un masque et tenant une bouteille de ketchup, une poupée badigeonnée coincée entre ses jambes ; la brutalité de cette image nous a marqués. Puis nous avons vu son travail à la Biennale de Venise et avons décidé d’aller le rencontrer à Los Angeles où il nous a présenté certains de ses étudiants, dont Martin Kersels, avec qui nous travaillons depuis 1999. Il avait quarante-cinq ans et ne commençait à vendre que depuis peu; il enseignait à UCLA avec Chris Burden pour gagner sa vie et avait un petit atelier derrière sa maison. À cette époque, les artistes de la côte Ouest étaient reconnus mais n’existaient pas commercialement. C’était la crise financière des années quatre-vingt-dix. Du coup, il était assez facile d’aller rencontrer des artistes de cette envergure ; les galeries, importantes ou non, étaient alors plus ou moins sur un pied d’égalité. Nous avons produit l’une de ses premières grandes sculptures motorisées, cela nous avait coûté 12 000 francs, je crois, ce qui pour nous était alors une somme énorme. Dans l’exposition, il y avait donc douze dessins à 60 000 francs l’ensemble et cette œuvre : Innocence, une pièce qui jouait du contraste entre clichés racistes et une esthétique Disney à destination des enfants. Autant dire qu’elle fut très mal perçue… Ce fut un fiasco financier !
Pourtant vous avez persévéré dans cette lignée en présentant d’autres artistes proches de lui…
G-P.V : Paul nous a en effet fait rencontrer Richard Jackson, alors totalement inconnu et qui avait dix ans de plus que lui. Puis Jackson nous a à son tour présenté Adam Janes, Mike Bouchet et Julien Bismuth. Nous n’avons que peu retravaillé avec Paul. Le marché américain s’est remis en place avant le marché français et ensuite Hauser & Wirth s’est intéressé à McCarthy avec d’autres moyens que les nôtres. Aujourd’hui, ces artistes sont restés les mêmes, malgré le changement d’échelle, ils sont toujours un peu bohèmes. Ils font des installations dingues mais continuent à mener des vies très tranquilles avec barbecues dominicaux.
L’exposition Pacific Standard Time, à Los Angeles, a fait redécouvrir de nombreuses perles; si McCarthy ou Jackson s’en sont tirés par miracle, il en reste sûrement encore beaucoup dans l’ombre, comme Wallace Berman que Frank Elbaz a contribué à faire reconnaître. Nous avons récemment présenté Paul Kos, qui est de San Francisco et a, de fait, un travail beaucoup plus européen que les Angelenos. Il y a aussi Spandau Parks que nous avons exposé il y a huit ans et qui peint depuis plus de trente ans la même série de vingt toiles dont il ne montre jamais que des images, photo ou vidéo…
Bien sûr, nous continuons à regarder les jeunes artistes de LA, mais nous nous tournons également vers ceux des années soixante-dix et, surtout, nous cherchons tout autant à exporter nos artistes français là-bas, Julien Berthier y est d’ailleurs en résidence.
*Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine, 75006 Paris.
Interview with Georges-Philippe Vallois
Aude Launay : You started working with Paul McCarthy very early on. How did you happen to meet him?
Georges-Philippe Vallois* : We started to hear things about Paul McCarthy in 1992, when Eric Troncy showed us a photo of the performance Grand Pop (1977) depicting him with a mask and holding a bottle of ketchup, with a doll splattered with sauce wedged between his legs. We were struck by the image’s brutality. Then we saw his work at the Venice Biennale and decided to go and meet him in Los Angeles, where he introduced us to some of his students, including Martin Kersels, whom we’ve been working with since 1999. He was 45 and had only just started selling; he was teaching at UCLA with Chris Burden, to make a living, and he had a small studio behind his house. At that time, West Coast artists were recognized but they didn’t exist commercially. It was the financial crisis of the 1990s. All of a sudden it was quite easy to go and meet artists of that stature; at that time, galleries, large and small alike, were all more or less on an equal footing. We produced one of McCarthy’s first large mechanized sculptures. It cost us 12,000 francs I think, which was a huge amount of money for us then. So in the show there were twelve drawings priced at 60,000 francs for the whole lot, and that work: Innocence, a piece that played with the contrast between racist clichés and a Disney aesthetic aimed at kids. Needless to say, it was not well regarded…
That was a financial fiasco!
Yet you persevered in that spirit by showing other artists close to him…
G-P.V : Paul in fact got us to meet Richard Jackson, then totally unknown, who was ten years older than he. Then, in his turn, Jackson introduced us to Adam Janes, Mike Bouchet and Julien Bismuth. We haven’t worked much with Paul since then. The American market recovered before the French market, and then Hauser & Wirth became interested in McCarthy, with a different kind of money to ours. Today, these artists have remained the same, despite the change of scale; they’re still a tad Bohemian. They make crazy installations, but they go on leading very quiet lives, with Sunday barbecues.
The exhibition Pacific Standard Time, in Los Angeles, turned up a lot of gems. If McCarthy and Jackson miraculously emerged from all that unscathed, there are certainly plenty still in the shadows, one such being Wallace Berman, whom Frank Elbaz helped bring to notice. We recently showed Paul Kos, who’s from San Francisco; his work is actually much more European than the Angelenos. There’s also Spandau Parks, whom we exhibited eight years ago, and who, for more than thirty years, has been painting the same series of twenty canvases, which he never shows, except in photo or video images…
Needless to say, we’re still looking at young LA artists, but we’re also turning towards people from the 1970s, and, above all, we’re trying just as much to export our French artists over there. Incidentally, Julien Berthier has a residency there right now.
*Galerie Georges-Philippe et Nathalie Vallois, 36 rue de Seine, 75006 Paris.
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- Du même auteur : Paolo Cirio, RYBN, Sylvain Darrifourcq, Computer Grrrls, Franz Wanner,
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