Entretien avec Pascal Neveux
Inauguré en mars dernier, le nouveau bâtiment du Frac Paca s’inscrit dans un quartier de Marseille en pleine requalification. Rencontre avec Pascal Neveux, directeur de cette institution majeure de l’art contemporain en région.
Guillaume Mansart : Quels sont les nouveaux enjeux de ce Frac de deuxième génération ? A-t-il de nouvelles missions ?
Pascal Neveux : L’arrivée des nouveaux bâtiments qui ont tous été lancés entre 2006 et 2007 a changé considérablement la donne. Cela n’a pas modifié foncièrement les choses, la trame et les missions historiques de diffusion, d’acquisitions, de production d’expositions, de conservation, de médiation restent les mêmes, en revanche c’est une étape importante, structurelle. Les Frac de deuxième génération sont dotés d’objets architecturaux qui sont des projets ambitieux, avec en moyenne plus de cinq mille mètres carrés, qui leur donnent une visibilité différente. Le nouvel enjeu ne se situe pas tant au niveau des missions qu’au niveau de l’explication, de la clarification, du projet artistique et culturel. Comment travailler aujourd’hui en conservant une dynamique de programmation importante et une dimension liée au territoire ? On a cette double activité en permanence en tête pour la constitution de l’identité du Frac, il nous faut conserver cette dynamique et être une plateforme de diffusion.
Faut-il voir dans les deux premières expositions du Frac Paca, qui convoquent un grand nombre d’artistes de la région, la volonté d’une inscription territoriale ?
P.N : Oui, avec la construction de ces bâtiments qui ouvrent de nouveaux horizons de partenariats dépassant largement le cadre régional, c’est aussi le moment pour les Frac de réaffirmer une dimension de proximité. Celle-ci s’opère aussi bien à travers des invitations à de jeunes artistes, à travers de la production ou des résidences, qu’à travers une valorisation d’artistes qui sont installés dans cette région depuis des années et qui n’ont pas fait pour autant l’objet d’expositions ou de projets en région. Nous ne souhaitons pas renvoyer l’image d’une structure qui d’un seul coup se positionne uniquement dans une circulation de musées européens mais au contraire affirmer que le Frac demeure une structure inscrite au cœur d’un tissu d’associations, de lieux relais, patrimoniaux, historiques… Nous sommes dans une région très dense en foyers artistiques, en artistes, en événements, en festivals, en écoles d’art… Cela facilite l’inscription du Frac sur ce territoire mais ça nécessite également que l’on y joue un rôle réel et pas simplement celui de vitrine ou de deuxième musée d’art contemporain à Marseille.
Quelles sont les ambitions internationales du Frac Paca ?
P.N : Ces ambitions se jouent en partie à travers l’architecture du bâtiment : la visibilité qu’offre le nom de Kenzo Kuma à l’international fait que nous sommes aujourd’hui sollicités, nous avons des visites de directeurs de musées qui viennent aussi bien du Japon, des États Unis, d’Italie, d’Espagne, d’Allemagne… Ils trouvent avec le Frac un potentiel d’échange qu’ils ne voyaient pas forcément auparavant : les échanges se concentraient essentiellement autour de la collection, il n’y avait pas cette idée de s’inscrire dans la co-construction d’une exposition. À présent, cela se met véritablement en place et de façon très accélérée. Les retours sur la ville sont unanimement positifs, la dynamique de Marseille et son identité génèrent des pistes nouvelles.
Depuis sept ans, l’objectif principal était de construire ce bâtiment et la dimension internationale avait été assez peu développée, ce n’était clairement pas une priorité. On sent qu’il y a aujourd’hui cette nécessité de s’affirmer sur une cartographie qui dépasse la dimension régionale.
Quel est le point de vue du directeur d’une institution importante de Marseille sur les bouleversements de la ville à l’heure de la capitale européenne de la culture ?
P.N : C’est un bouleversement profond et violent, ce n’est pas qu’un bouleversement culturel qui ne toucherait que le tissu associatif et les lieux de l’art contemporain, c’est aussi un bouleversement urbain, c’est une réappropriation de la ville. Ce chantier, qui est le plus vaste chantier d’Europe, touche toutes les strates de la population, des plus pauvres au plus aisées et de façon plus ou moins forte d’ailleurs.
Le bouleversement est violent parce qu’il y a presque une inversion dans l’affichage que l’on a avec la capitale culturelle, on met en avant une dynamique qui est avant tout institutionnelle, avec les musées, le Frac, la Friche, les fondations… On met en avant des machines qui sont importantes et nécessaires et on sent bien que c’est le tissu associatif qui, lui, a toujours été dans une très grande précarité et qui fait la richesse de Marseille, qui subit de plein fouet cet inversement, alors que cette ville a toujours été attractive pour le nombre de ses associations et l’offre qu’elles procuraient. On voit que ces structures sont les plus malmenées, aussi bien pendant la période de la capitale culturelle mais de façon encore plus violente à partir de 2014 compte tenu de la situation économique. C’est un moment délicat, on sait bien que dans les villes qui ont été capitale culturelle, il y a eu un avant et un après, avec des structures qui ont disparu et d’autres qui se sont affirmées.
Un nouveau bâtiment, des projets ambitieux, le Frac semble être épargné par le contexte difficile de la culture, est-ce une réalité ?
P.N : Épargné non, parce que ce qui pourrait le laisser entendre c’est le financement de Marseille-Provence 2013 : le projet Ulysses, par exemple, n’aurait jamais pu se faire sans eux. Donc nous sommes loin d’être épargnés, la dynamique budgétaire est très rigoureuse, au niveau des ressources humaines notamment, mais avec une communication en 2013 qui ne le traduit pas du tout, qui laisse supposer qu’on est sur un vaisseau qui ne pose aucun problème dans son fonctionnement ni dans son financement, ce qui n’est pas du tout le cas. Les vrais enjeux sont de définir le projet artistique et culturel à partir de 2014 sur la base des financements et des partenaires que nous avons aujourd’hui, qui sont l’État et la Région, que nous serons amenés à compléter avec des sollicitations auprès d’autres collectivités et puis un développement des fonds propres du Frac, que ce soit du mécénat, de la privatisation, le fait qu’on soit passé sur une politique tarifaire, la diffusion de la collection qui n’est plus gratuite non plus… C’est un moment très particulier mais qui cache une réelle tension économique, une tension de construction de projet. Ce n’est pas spécifique à Marseille, à partir de 2014, nous serons comme nos camarades, dans la même situation.
Quel est le projet artistique du Frac pour 2014 ?
P.N : Nous allons vraiment réaffirmer l’aménagement du territoire, c’est-à-dire revenir sur une affirmation des lieux satellites, de ce réseau constitué à l’échelle des six départements. On a fait un gros travail d’invitation, de production, d’acquisition d’ensembles d’œuvres, l’idée maintenant c’est de pouvoir vraiment travailler sur une diffusion de la collection, sur l’édition du troisième tome lié à la collection. Il y a un vrai travail à faire pour affirmer encore plus la collection, ce qui va être notre fil conducteur. À cette dimension, il faut ajouter celles de la production, de la commande, du soutien, à travers la proue du bâtiment où pourront être organisées de plus petites expositions, sur des temporalités plus courtes, mais nous conserverons cet engagement.
Pascal Neveux in conversation with Guillaume Mansart
The new FRAC PACA building, inaugurated last March, is part of a Marseille neighbourhood in the throes of being redefined. An interview with Pascal Neveux, director of this major regional contemporary art institution.
Guillaume Mansart : What are the new challenges for this second generation FRAC (Regional Contemporary Art Collection)? Does it have new missions?
Pascal Neveux : The arrival of the new buildings, which were all launched between 2006 and 2007, has considerably changed the deal. This hasn’t basically altered things: the thread and the historic tasks of dissemination, acquisitions, exhibition production, conservation and mediation all remain the same. On the other hand, it’s an important structural step. The second generation Fracs are endowed with architectural objects which are ambitious projects, with on average 5,000 sq.m, which give them a different visibility. The new challenge is not situated so much at the level of their tasks and briefs as at the level of explanation, clarification, and art and culture projects. How are we to work today by keeping to an important programming dynamic and a dimension linked to the territory? We have this twofold ongoing activity in mind for establishing the FRAC’s identity; we have to keep this dynamic and be a dissemination platform.
Should we see in the FRAC PACA’s first two exhibitions, which summon a large number of artists from the region, a desire for territorial inclusion?
P.N : Yes, with the construction of these buildings which are opening up new horizons for partnerships going well beyond the regional framework, this is also a moment for the FRACs to re-assert a hands-on dimension. This works as much through invitations to young artists as through production and residencies and a promotion of artists installed in this region for many years, who have however not had exhibitions or undertaken projects in the region. We don’t want to reflect the image of an organization which, all of a sudden, is positioned solely in a circuit of European museums but, on the contrary, we want to assert that the FRAC is still a structure incorporated at the heart of a fabric of associations, relay venues, and historical and heritage centres… We are in a region with a large number of art venues, artists, events, festivals, and art schools… This makes it easier to incorporate the FRAC in this territory, but it also calls for us playing a real part and not simply the role of a display case, a second contemporary art museum in Marseille.
What are the international ambitions of the FRAC PACA?
P.N : These ambitions are played out in part through the building’s architecture: the visibility offered by the name of Kenzo Kuma, internationally speaking, means that today we are in demand, we have visits from museum directors coming from Japan, the United States, Italy, Spain, and Germany… With the FRAC they find a potential for exchange which they didn’t necessarily see before: the exchanges are focused mainly around the collection, there never used to be this idea of being included in the joint construction of an exhibition. Right now, this is really being established and in a very swift way. The feedback about the city is unanimously positive, the dynamic of Marseille and its identity are giving rise to new avenues.
For the past seven years, the main goal was to construct this building and the international dimension had not been greatly developed. It was obviously not a priority. Today one feels this need to assert ourselves on a map which goes beyond the regional dimension.
What is the viewpoint of the director of a major institution in Marseille about the upheavals in the city in the year of its being European Capital of Culture?
P.N : It’s a far-reaching and violent upheaval. It’s not just a cultural upheaval affecting just the associative fabric and the contemporary art venues; it’s also an urban upheaval, it’s a re-appropriation of the city. This project, which is Europe’s largest building site, affects every stratum of the population, from the poorest to the very well-off, and in a more or less powerful way, incidentally.
The upheaval is violent because there’s almost a reversal in the communication we have with the cultural capital; we’re highlighting a dynamic that is above all institutional, with the museums, the FRAC, the Friche, the foundations… We’re highlighting structures that are important and necessary, and it’s clear that it’s the associative fabric that has always been very precarious and which makes Marseille’s richness, suffering as it is from this reversal in no uncertain way, though the city has always been attractive for the number of its associations and the programmes they offer. We can see that these structures are the most ill-treated, even in the cultural capital period, but in an even more violent way from 2014 onward, given the economic situation. It’s a delicate moment, with organizations that have vanished and others that have come to the fore.
A new building, ambitious projects: the FRAC seems to be being spared by the difficult cultural context. Is this how it really is?
P.N : Spared no, because what might suggest this is the funding of Marseille-Provence 2013: the Ulysses project, for example, could never have been tackled without that. So we are far from being spared, the budgetary dynamic is very strict, at the level of human resources especially, but with a communication in 2013 that doesn’t convey this at all, and suggests that we’re on a ship that poses no problems in the way it works, or the way it’s funded, which is not the case at all. The real challenges are to define the art and culture project as from 2014 on the basis of the funding and partnerships that we have today, the State and the Region, which we shall be forced to complement with requests to other local authorities, and then a development of the FRAC’s own funds, be it from patronage, or privatization, or the fact that we’ve shifted to a pricing policy. The dissemination of the collection is no longer free… This is a very particular moment, but one that hides a real economic tension, a tension involved by constructing a project. This isn’t specific to Marseille: from 2014 on, we shall be like our comrades, in the same situation.
What is the FRAC’s art project for 2014?
P.N : We’re really going to re-assert the development of the territory, meaning returning to a promotion of subsidiary places, and the network formed on the scale of the six départements. We’ve done a lot of work involving invitations, production, acquiring sets of works, and the idea now is to be able to really work on a dissemination of the collection, on the publication of the third volume associated with the collection. There’s a real job to be done to bolster the collection still more, and this will be our main thread. To this dimension we must add those of production, commissions, support, through the spearhead represented by the building, where smaller exhibitions can be held, over shorter time-frames, but we will keep to this commitment.
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