Franz Wanner
Une librairie désaffectée, une cathédrale fourmillant de touristes et d’ennuyeux immeubles de verre et de béton, voilà ce que vous verrez sans doute en vous promenant dans le centre-ville de Munich comme n’importe quel autre passant. Une fausse librairie, un clocher dissimulant une antenne radio, des appellations fictives sur les boîtes aux lettres et les sonnettes de bâtiments publics, voilà ce que vous donnera à voir le Secret Guide de Franz Wanner : les mêmes endroits que ceux figurant sur tout plan de la ville mais, cette fois-ci, chargés d’histoire(s). Sociétés de façade, camouflage linguistique, pratiques extrajudiciaires et infiltration, les tactiques des services secrets allemands se trouvent ici exposées par la cartographie du parc immobilier du service fédéral de renseignement.
Dans le contexte de l’annonce de la nouvelle loi bavaroise — finalement adoptée en mai dernier — visant à l’augmentation du pouvoir de surveillance de la police (loi permettant entre autres l’interception des communications physiques comme électroniques et l’extension de l’utilisation des données ADN à un niveau « préventif »), la divulgation par Franz Wanner, en février dernier, de l’information selon laquelle la cathédrale de Munich abritait une station radio utilisée par le service fédéral de renseignement (le BND) a donné lieu à une conférence de presse du BND, à des instructions données à ses agents et à une demande de démantèlement des appareils par le conseil catholique de la région.
À l’occasion de The Interrogation (2018), une performance qu’il a présentée à Munich en écho aux interrogatoires de réfugiés menés clandestinement dans la ville par les services de renseignement allemands, nous avons rencontré l’artiste munichois pour discuter accessibilité et diffusion de l’information dans nos sociétés démocratiques contemporaines mais aussi de ce qui se passe lorsque l’art commence à interagir avec le monde qui l’entoure.
Quelle est l’histoire du Secret Guide ? Ce projet découle de l’intérêt que j’ai développé pour la notion de « secret d’État » à force de m’y trouver confronté dans mon travail. Cette expression est une manière de décrire le dernier nœud démocratique d’un réseau alors qu’il disparaît dans une zone floue où les questions additionnelles ne sont pas autorisées et où les réponses sont refusées — la fin de la transparence, la fin de la démocratie, au cœur de l’Europe d’aujourd’hui. Parvenir à ce point à maintes reprises au cours des cinq dernières années m’a donné envie de travailler sur les structures qui le sous-tendent. Lesquelles de vos œuvres antérieures avaient occasionné cette confrontation avec le « secret d‘État » ? Des pièces concernant des sujets tels que l’industrie de l’armement et la dénomination de « double usage » — le double usage qualifiant des technologies et des produits utilisables à la fois à des fins civiles et à des fins militaires mais qui sont principalement utilisés à des fins militaires, le terme double usage servant à dissimuler cet aspect. J’ai entamé cette recherche après avoir rencontré le PDG d’une entreprise de technologie aérospatiale qui produit des pièces pour l’Eurofighter et pour d’autres avions de combat, dans ma ville natale. Au cours d’une interview télévisée, j’avais traité sa société d’entreprise d’armement, il m’avait alors contacté et, très en colère, dit que je le mettais en danger en faisant cela, exposant ses locaux et ses employés à des agresseurs potentiels, que c’était la raison pour laquelle ces entreprises n’étaient pas labellisées d’armement, mais à double usage. On change de formulation et soudain, tout va bien.
Comment avez-vous exploré ce thème ? Dual-Use (2016) est une installation composée de quatre vidéos qui présentent des protagonistes de cette « scène du double usage », dont un pilote de drone de l’armée américaine qui vit maintenant en Allemagne et travaille également comme mannequin. Comme vous le savez, de nombreuses attaques de drones réalisées par l’armée américaine sont coordonnées depuis l’Allemagne. Avec cette pièce, j’essaie de relier le niveau local du travail de ces personnes à son influence globale, un peu dans la lignée d’Inextinguishable Fire (1969) d’Harun Farocki, dans lequel il montrait comment un aspirateur peut devenir une arme opérationnelle et une mitrailleuse un appareil domestique. Et vous vous êtes donc entretenu avec ces protagonistes pour réaliser les vidéos ? Deux des vidéos sont faites de séquences trouvées et j’ai filmé les deux autres, oui. Mais comment avez-vous persuadé ces gens d’être filmés dans ce cadre ? Ce fut un processus difficile ! Le PDG m’avait invité mais il s’est avéré que c’était seulement pour s’énerver à nouveau, il m’a plus ou moins jeté dehors. J’avais une équipe de tournage avec moi, mais il nous a interdit de filmer quoi que ce soit. Je l’ai finalement convaincu quand j’ai mentionné que j’avais entendu dire qu’il était le leader du marché mondial dans sa gamme de produits — je ne m’attendais pas à ce que cela fonctionne, mais il a commencé à parler et nous avons filmé environ trois heures là-bas. Il a été plus facile d’approcher certaines des universités qui coopèrent avec le complexe militaro-industriel parce que j’enseigne aussi dans une université : sous prétexte que, dans notre faculté, nous utilisons des drones dans le cadre d’un programme de recherche sur les algorithmes d’interprétation des images capturées par les drones, j’ai pu y interviewer des professeurs et des chercheurs.
Puis Dual-Use a déclenché une requête parlementaire concernant le financement d’un campus munichois qui abrite, outre les universités techniques et scientifiques de l’État, l’Université des forces armées allemandes et des entreprises œuvrant dans le double usage comme Airbus et Siemens. Quelle est votre position par rapport à l’interaction de votre travail et des situations qu’il décrit ? Le fait d’interférer avec certaines réalités et les effets directs produits sur elles tels que ceux causés par Dual-Use et The Interrogation (2018) sont des effets secondaires de mon travail artistique, et non sa substance. De tels effets ne disent rien de la qualité d’une œuvre d’art. Ceci dit, j’ai bien évidemment utilisé comme matière pour ma pratique artistique les réactions du gouvernement, les réactions des services secrets et celles de l’Église, ainsi que les réponses qu’ils ont dû donner ou la façon dont ils ont réussi à éviter d’en donner. Les installations vidéo From Camp to Campus et Battle Management Drawings (toutes deux de 2017), par exemple, [présentées l’année dernière au Lenbachhaus de Munich dans l’exposition « Après les faits. Propagande au XXIe siècle »] sont liées à la réponse du gouvernement à cette requête parlementaire. Vous pouvez faire des recherches et découvrir beaucoup de choses mais, à un moment donné, lorsque l’État lui-même est mis en doute, vous obtiendrez la réponse qu’il est dans votre propre intérêt de ne pas savoir. Quelque chose du style : « Nous ferons en sorte que ce soit le mieux pour nous tous »— « nous tous », dans ce contexte, étant tous les Allemands ou tous ceux qui s’identifient à notre idéologie, comme je l’appellerais. Mais je pense qu’il n’est pas nécessaire de croire aux mythes nationaux. C’est pourquoi je me suis concentré sur ce point de non-réponse et de fin de la transparence.
Ce qui vous a conduit à explorer ce que vous appelez les « sites secrets » de Munich… Oui. Nous avons étrangement ici une agence de renseignement (BND) de la République fédérale d’Allemagne qui est plus ancienne que la République elle-même. Son fonctionnement est très étendu puisque, en plus de ses bureaux centraux de Munich et de Berlin, le BND a utilisé quelque 200 bureaux secrets dans le monde entier. J’en ai recensé 125 à Munich, d’anciens bureaux pour la plupart mais aussi un certain nombre qui sont actuellement exploités ; j’ai fait appel à un spécialiste des agences de renseignement pour m’aider à les cartographier. Quand j’ai commencé cette recherche, j’ai découvert que l’un de ces endroits regroupe en fait cinq bureaux dans un même bâtiment et que j’habite si près de celui-ci que je passe devant tous les jours depuis des années ! J’ai ensuite trouvé un document de la CIA — disponible sur Internet — qui donne nombre d’informations sur les sites secrets désaffectés. Il y en a d’ailleurs un juste en face de l’hôtel où vous séjournez actuellement à Munich, dans la Türkenstraße. Ce document était donc public mais ces sites restaient largement ignorés jusqu’à ce que vous en publiiez votre carte, en juillet dernier… Cette recherche a commencé à attirer l’attention un peu plus tôt, en février, lorsque j’ai révélé que la Frauenkirche — la cathédrale, le principal édifice de Munich — dissimulait dans l’une de ses tours une antenne radio utilisée par les services secrets. J’ai divulgué cette information au cours d’une interview à la radio qui m’offrait une demi-heure pour la mettre en contexte ; il a fallu deux ou trois semaines pour que les grands médias s’en emparent : Der Spiegel a publié l’information puis elle s’est répandue dans toute la presse, complètement décontextualisée. C’est devenu un gros titre. Ceci dit, il y a eu beaucoup plus intéressant pour moi que cette église qui s’est révélée être un « monument des services secrets » : ma découverte d’un lieu dédié à l’interrogation des réfugiés. Dans ce contexte, certains termes jouent un rôle très important, ils produisent en quelque sorte une réalité qui semblera au final tout à fait normale : des réfugiés viennent en Europe dans l’espoir d’y trouver un abri et ils sont alors invités à des interrogatoires par les services secrets. Invités ? Invités n’est en effet pas le bon mot. Ils n’ont pas vraiment la possibilité de refuser mais, du point de vue des services secrets, il est nécessaire qu’ils semblent s’y prêter volontairement. Et puis ils ne savent pas qu’ils coopèrent avec les services secrets, cela doit passer pour une étape normale dans le processus d’asile.
Comment sont-ils contactés ? Passe-t-on les chercher dans les camps ou… ? Non, l’Office fédéral des migrations et des réfugiés, où ils doivent s’enregistrer, recueille leurs données personnelles et les transmet au BND qui les filtre par nationalité pour décider de qui sera interrogé. L’office des migrations et les services secrets coopèrent très étroitement mais, pour que ce procédé fonctionne correctement, il est important que les demandeurs d’asile se sentent invités. On leur offre d’ailleurs souvent un soutien dans leur demande d’asile en échange d’informations. Et ça marche ? Si les gens coopèrent, leur accorde-t-on vraiment des papiers ? Pas à chaque fois, mais relativement souvent. Vous avez des preuves de cela ? Oui. On leur donne aussi de l’argent, quelque chose comme 200 ou 300 €, pour plus d’informations. Parfois, ils sont même embauchés. De quelle manière ? Lorsque l’interrogateur a le sentiment que le demandeur d’asile est en contact avec des personnes qui en savent peut-être plus que lui, il lui demande de rencontrer ces personnes en vue d’obtenir les informations souhaitées. Comment avez-vous obtenu toutes ces informations, vous-même ? J’obtiens beaucoup d’informations par le biais de documents publics. Ce n’est pas très difficile et vous n’avez même pas besoin de vous appuyer sur des lanceurs d’alerte ou sur des fuites, une grande partie de l’information est disponible dans les documents officiels, il suffit de les lire attentivement. Je pense qu’il est important de dire qu’il n’est pas nécessaire d’entrer par effraction quelque part ou d’accéder à des fuites de données : il y a une grande accessibilité de l’information contemporaine en général, bien plus qu’on pourrait le penser. On me demande souvent si mon travail relève de l’investigation et, la plupart du temps, non. Je ne fais que lire des documents et examiner de près ce qu’ils disent et les intérêts en jeu en ce qui concerne l’information en question, et je pars de là. Il est donc important de le souligner car je pense que beaucoup plus de gens pourraient utiliser cette méthode pour créer de la pression publique. Mais vous rencontrez aussi des gens pour obtenir des témoignages… Oui, je parle à beaucoup de gens. C’est nécessaire, c’est une qualité d’information totalement différente. Et vous leur dites ce que vous faites ? La plupart du temps. Mais pour Dual Use, je ne me suis pas présenté comme un artiste, mes « protagonistes » ne m’auraient alors certainement pas parlé, comme le PDG de l’entreprise de technologie à double usage. Donc, pour The Interrogation, vous avez rencontré des réfugiés qui ont subi ces interrogatoires ? Oui, et des avocats qui travaillent avec les réfugiés. Et à partir de là, vous avez écrit ce texte, qui sert de scénario pour la performance… L’idée de cette situation où, dans une pièce, quelque part — pas dans un bâtiment officiel du BND mais possiblement n’importe où, derrière n’importe quelle fenêtre de la ville —sont assises trois personnes, un réfugié et deux agents des services secrets, ces derniers essayant d’obtenir des informations qui seraient utilisées pour rendre l’État plus sûr, comme ils disent, me fascine. Le réfugié est là parce qu’il cherche à s’éloigner de structures non démocratiques et il se retrouve dans une situation à mille lieues de toute structure démocratique : c’est information contre nationalité ou information contre droit de séjour. Je l’ai pensée comme un échantillon pour microscope qui permet d’observer de très près des termes comme secret d’État et intérêts de l’État, nationalité, citoyenneté et vie privée. C’est ce qui m’intéresse dans cette reconstitution. De fait, il ne s’agit pas exactement de la reconstitution d’un interrogatoire mais de la simulation d’un exercice pédagogique dont les participants — le public — seraient en formation au BND. On leur apprend ici les méthodes rhétoriques à utiliser en cas d’état d’urgence national et quelles sont les zones extralégales où les services secrets peuvent être considérés comme une forme institutionnalisée, normale et nécessaire. La performance est-elle entièrement basée sur des informations réelles ou comporte-t-elle des parties plus spéculatives ? Ici, la voix des personnes interrogées est analysée par un logiciel qui détermine leur origine géographique. Ce type d’analyse vocale est encore à l’essai, ce n’est pas la norme actuellement, mais les autres éléments sont tous fondés sur une recherche des méthodes réellement utilisées. Comme la liste des pays « intéressants » ? Oui, je l’ai régulièrement retrouvée dans mes sources. Tout comme le fait que des mineurs sont interrogés et que des agents d’autres pays participent également aux interrogatoires, des agents français, britanniques et, bien sûr, américains. Mais pourquoi les Français et les Anglais ? Les alliés de la Seconde Guerre mondiale. Vraiment ? Oui, cela reste d’importantes relations pour la République fédérale d’Allemagne. C’est la CIA qui a fondé les services secrets allemands, en 1946. Je me souviens que vous m’avez dit qu’il n’est pas « légal » que des membres d’autres pays assistent à de tels interrogatoires. Légal n’est pas le mot exact, car ils n’ont pas à se conformer à ce qui est légal. Mais un service de renseignement est censé suivre l’intérêt national, alors la question est : comment les agents américains peuvent-ils suivre les intérêts allemands ? De 2014 à 2017, une commission d’enquête a examiné les liens de la NSA avec les services secrets allemands (pour savoir si le BND recueille des informations personnelles sur les citoyens allemands et les transmet aux États-Unis) et un rapport de 1800 pages a ensuite été publié. J’en ai tiré beaucoup d’informations. Vous dites donc que les interrogatoires peuvent avoir lieu n’importe où parce que les locaux du BND ne sont pas utilisés pour cela ? Il y avait un endroit dédié aux interrogatoires de réfugiés à Munich, mais il a été fermé en 2007. Il y en avait aussi un important à Berlin qui a fermé en 2015 dans le cadre de ce qui a été appelé l’« offensive de transparence ». Le BND avait un problème d’image à l’époque, en partie à cause de ses liens avec une scène néo-nazi, mais aussi pour d’autres raisons, comme les interrogatoires d’adolescents. Le Hauptstelle für Befragungswesen du BND a donc été fermé — ils utilisent beaucoup de monstres linguistiques, comme Bundesvermögensverwaltung Abteilung Sondervermögen (Division de la gestion des biens fédéraux, Biens spéciaux). Bien que cela sonne très allemand, personne ici ne comprend ce que cela signifie. C’est énigmatique. Une forme de déguisement. Les gens pensent que c’est officiel et bureaucratique donc ils ne s’y intéressent pas. Le « siphonnage » des réfugiés effectué par le BND s’est donc officiellement terminé en 2015 sous la pression de l’opinion publique. Depuis lors, les interrogatoires se sont poursuivis dans d’autres lieux. Votre choix de placer le public dans une position participative mais passive est-il une réaction à la participation passive que nous, citoyens, adoptons principalement ? C’est une façon de le voir. La situation qui, à première vue, semble être un exercice de reconstitution, met en évidence, dans un même mouvement, le caractère négociable de la vérité documentaire et des constellations possiblement nouvelles d’une réalité fragmentée. Après leur avoir enseigné les pratiques d’interrogation, on remet aux participants le matériel pour le cours suivant, le Secret Guide, qui est ce plan présentant 125 de ces sites secrets de Munich. Si un grand nombre d’entre eux datent de décennies antérieures, il y en a certains que le plan dévoile pour la première fois. Il donne donc la liste détaillée de ces lieux, leurs pseudonymes — tous sont des sociétés fictives — et leur usage réel, ainsi que leur période d’activité lorsque cette information était disponible. C’est un peu comme les sociétés écran utilisées pour l’évasion fiscale… Oui, mais au sein même du système étatique. Et il y a deux manières pour les entreprises de s’impliquer dans ce schéma.
Des entreprises réelles peuvent donc aussi être impliquées ? Oui, celles-ci prennent sciemment des agents secrets parmi leurs employés et en tirent un profit soit financier, soit sous forme d’une aide des services secrets à l’exportation de leur production. Les autres sont simplement factices. Comme celle qui fait face à votre hôtel, l’Akademie-Buchhandlung, qui, sous couvert d’une librairie, était en réalité un bureau du BND. L’enseigne mentionnait « vente par correspondance seulement », vous ne pouviez pas entrer dans la boutique. Bien avant Internet, il y avait ce système de librairies d’expédition où l’on pouvait commander des livres, de sorte que personne ne pouvait soupçonner qu’aucun livre n’était jamais envoyé et que la librairie n’était qu’une façade. C’était parfaitement plausible aussi car elle était à côté de l’université mais, comme c’était la faculté des beaux-arts, très éloignée de la théorie à l’époque, personne ne cherchait réellement de livres dans le quartier ! (rires). Mais de nombreuses grandes entreprises collaborent avec le BND. Comme l’a fait le Gloria Palast, l’un des cinémas les plus prestigieux de Munich, après la guerre. À l’époque, l’on craignait que des activités communistes se développent dans les petites villes allemandes, et le BND voulait des informations sur ces activités et leur potentielle dangerosité. Comme ce cinéma possédait des salles dans d’autres villes allemandes, ses employés avaient des raisons de se rendre dans ces villes pour y livrer des films, etc., le BND l’a donc utilisé comme façade, faisant passer ses propres employés pour des employés du cinéma tandis que le cinéma recevait de l’argent en échange. Les choses ont-elles changé depuis les années cinquante ? L’impact de la surveillance de masse, de par la colossale quantité de données personnelles accessibles sur Internet, diffère évidemment nettement d’il y a quelques décennies. La manière dont la réalité est produite a elle aussi beaucoup changé, je pense. Vous vous souvenez certainement de ce demandeur d’asile irakien qui avait dit lors de son interrogatoire qu’il y avait des armes de destruction massive en Irak… C’était lors de l’un de ces interrogatoires menés par les services secrets allemands. Le BND a transmis l’information aux États-Unis qui l’ont utilisée en 2003 pour attaquer l’Irak. C’est ce que j’entends par « production de la réalité ». L’information était fausse mais elle était pertinente pour les services secrets. Le demandeur d’asile a reçu le nom de code Curveball et a été engagé par l’agence de publicité Thiele und Friedrichs Marketing GbR, l’une des sociétés de façade du BND à Munich. C’est aussi une sorte de double usage… Oui, vous avez raison, on peut dire cela.
(Image en une : Franz Wanner, The Interrogation. Multimedia work, situational loop, 18-22.07. 2018, Public Art Munich. Photo : Franz Wanner.)
- Publié dans le numéro : 87
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- Du même auteur : Paolo Cirio, RYBN, Sylvain Darrifourcq, Computer Grrrls, Jonas Lund,
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