Interview de Gregory Lang pour Territoires Hétérotopiques

par Patrice Joly

Centre Wallonie Bruxelles du 14 octobre au 13 novembre 2024


Territoires hétérotopiques, la dernière exposition du Centre Wallonie Bruxelles réunit neuf artistes et collectifs autour de la question de l’architecture et de sa potentielle déconstruction/reconstruction dans un versant autant imaginaire et onirique que frontal.

Mettre en avant le concept d’hétérotopie, créé par Michel Foucault dans les années 1970, pose la question de l’effectivité de propositions circonscrites lorsqu’on les déploie à l’échelle d’un bâti, d’un quartier ou d’une ville. Le propos ici n’est pas de répondre à un concours d’architecture utopique en opposition à la majorité des projets immobiliers ou autres conçus selon des objectifs de rentabilité immédiate ou bridés sur le plan de l’imaginaire par d’innombrables contraintes administratives et urbanistiques. Ici, il s’agit plus de se laisser aller à l’évocation d’alternatives possibles pour réenchanter et réimaginer nos modes d’habiter. L’exposition proposée par Gregory Lang, curateur basé entre Paris et Bruxelles en lien avec la curatrice des spectacles vivants et de l’événement Performissima, agrège, sans les fondre mais en les autonomisant, des propositions de tous ordres, qui résonnent avec les préoccupations très actuelles de nos contemporains. Les murs en béton sont-ils « genrés » ? Peut-on « cultiver » des parpaings végétaux ? Le « vol » de la graine de l’érable peut-il nous faire échapper au confinement de nos enceinte de béton ? Pourquoi vouloir systématiquement canaliser le cours des fleuves plutôt que de leur laisser emprunter des chemins de traverses ? la vidéo peut-elle traverser les murailles et déplacer les montagnes de nos barrières mentales ?

Autant de questions naïves et poétiques que ces aires de jeux posent à notre entendement, nous amenant à déjouer nos certitudes et reconsidérer l’ordre a priori nécessaire et intangible de nos environnements. 

02 Il est toujours assez compliqué de vouloir « exposer » des propositions architecturales dans un milieu architecturé, qui plus est celui d’un centre d’art qui, mécaniquement, recadre ces dernières en les fictionnalisant. N’as-tu pas peur que la mise en abyme que crée cette situation ne réduise la portée de ces propositions ?

Je me suis attaché de mon côté à une observation assidue des espaces et de ce qu’ils pourraient engendrer. Le dialogue construit avec les artistes reposait justement sur comment déjouer l’évidence du lieu d’exposition, décomposé en espaces pouvant accueillir des imaginaires, ce qui m’a permis de l’amener ailleurs. Ce projet a été conçu sous l’angle de la poïétique, ayant pour objet l’étude des potentialités inscrites dans une situation donnée qui débouche sur une création nouvelle. 

Inspirée par la notion de dé-coïncidence, un concept développé par le philosophe François Jullien (1951), dans son ouvrage « Rouvrir des possibles – Dé-coïncidence, un art d’opérer » (Éditions de l’Observatoire), nous avons envisagé, avec les artistes et collectifs d’architectes, les différents espaces et recoins du bâtiment comme des aires de jeu devenant ainsi des terrains d’émancipation, de réinterprétations liminales de l’architecture, bousculant nos usages.

En m’appuyant sur des démarches prospectives, les installations se sont développées in situ. Chaque œuvre a été conçue pour la singularité de l’architecture avec laquelle elle rentre en relation étroite. Elles constituent pour moi autant de regards qui déjouent l’évidence de lieux concrets et architecturés, de leur fonction, pour ouvrir des écarts et se frayer un ailleurs.

S’il y a une tentative de fictionnalisation, elle n’est pas ici de l’ordre du réenchantement mais du déplacement du regard et du questionnement de l’expérience. Grâce à des gestes architecturaux subtils et des dispositifs immersifs inédits, les installations produites repensent et re-potentialisent les lieux, modifiant notre rapport à leur usage habituel. À distance respectable les unes des autres, elles se livrent à l’attention du public et ne cherchent pas à provoquer un effet spectaculaire malgré leur caractère parfois frontal ou immersif. Je tenais à ce qu’elles permettent aux visiteurs et visiteuses de les appréhender progressivement, en parcourant l’espace et en les observant sous différents angles.

Chacune de ces propositions offre plutôt la possibilité d’un temps d’observation prolongé, invitant à une expérience attentive pour mieux percevoir et apprécier le geste architectural. L’intention de l’écart engagé de ceux et celles qui les ont créées, vient perturber l’existant et reconfigurer l’espace et l’ordre établi. Singulières et généreuses, elles traversent ou se laissent traverser, ouvrant des espaces qui invitent le public à un vagabondage interstitiel et poétique.

02 Tu parles d’aires de jeux dans ton statement mais a priori les aires de jeux nécessitent des joueurs et une activation « réelle » ou du moins symbolique de ces dernières, en renvoyant l’exposition à une espèce de performativité architecturale, un peu comme si les visiteurs étaient amenés à s’emparer des espaces et à en redessiner les contours, à se les approprier physiquement et mentalement. Qu’en est-il de ce rapport au jeu censé bousculer nos usages de l’architecture (surtout du white cube) que tu mets en avant ?

Cet espace d’exposition complexe et dense m’a interpellé car justement il ne s’apparente pas à un white cube. L’enjeu a aussi été d’en dépasser les limites, au sens littéral, en investissant également le théâtre, le cinéma et les cours extérieures du CWB. Ainsi l’ensemble du site revêtant plusieurs fonctions a été offert aux artistes comme une aire de jeu. Car oui, cela a été avant tout une aire de jeu pour les artistes. Tout au long de la construction des projets, j’ai été très stimulé par nos échanges dans ce qu’ils contenaient de réappropriation en toute liberté. Ce qui m’a guidé ici, c’est cette aire sans bord ni limite tel un espace potentiel, qui définit la place de l’individu dans le monde en lui permettant de perturber et de reconfigurer son environnement. La demande de déconstruction et de re-potentialisation était ainsi légitimée et a permis de changer nos rapports habituels ou attendus aux espaces désignés. En jouant la carte de l’in situ, chaque artiste ou collectif a su créer un univers unique, propice à une expérience spécifique pour le public, investissant moins un lieu qu’une aire de relation et de changement.

Cette posture m’a été inspirée, entre autres, par la notion d’affordance, développée par le psychologue James J. Gibson (1904-1979), qui traduit la faculté de guider nos comportements en percevant ce que l’environnement offre en termes de potentialités d’actions.

Morgane Tschiember, RUNNING BOND. Crédit photo © Thomas Halkin

02 La pièce de Morgane Tschiember me paraît la plus radicale et la plus disruptive dans ce qu’elle redessine l’espace et « glamourise » un banal mur de parpaing, -symbole de solidité masculine- qu’elle féminise d’un ciment rose pailleté. L’autre aspect saillant de sa « sculpture » est l’investissement de l’espace public, en l’occurrence la promenade qui jouxte le centre Pompidou : Running Bond traverse littéralement les murs du centre d’art pour se prolonger ex situ et se fondre dans le mobilier urbain et ses multiples accidentalités. Cette excroissance hybride a ainsi suscité la réaction des graffeurs, qui s’en sont emparés, plus dans un geste de co-création que de recouvrement frontal, la validant de fait comme appartenant de plein droit à l’espace urbain. Penses-tu que cette intrusion de la fiction expositionnelle dans son hors champ, le brouillage qu’elle induit dans la lecture des espaces et de leur porosité, réussisse à étendre le domaine de l’hétérotopie et à reconsidérer notre rapport aux architectures conventionnelles ?

Tout à fait. L’installation en question, Running Bond, de Morgane Tschiember détourne la fonction même d’un mur, qui ne sert plus à soutenir une construction, ni à séparer des espaces, ni à établir une limite entre intérieur et extérieur. Elle se joue de ce qui est à priori impossible et irréalisable, en créant sans cesse de nouveaux procédés techniques. Son œuvre est composée de parpaings bruts empilés et cimentés d’un mortier teinté dans la masse d’un rose évoquant de la chair et de paillettes. Celle-ci déplace le champ de la construction pour dépasser les stéréotypes esthétiques genrés, et confère une sensualité inattendue à des matériaux industriels. Le processus de montage avec des professionnels du bâtiment a, ici encore, été caricatural, comme à chacune de ses itérations, nous démontrant au travers d’une expérience vécue la pertinence de sa démarche et l’urgence d’une évolution systémique de la société.

Le mur érigé des deux côtés de cette façade relevant des monuments historiques face au centre Pompidou perturbe volontairement l’économie des échanges visuels et symboliques qui définissent le champ artistique, en interrogeant ici son interaction dans l’espace public. Avec son geste « glamour » et radical à la fois, traversant et monumental, son mur sculptural crée un nouvel espace permettant une perception empirique de la densité de la matière, de la couleur, de l’économie et du processus de fabrication, ainsi que du mouvement nécessaire pour l’appréhender dans son entièreté.

Comme cela a déjà été le cas dans une de mes expositions précédentes, le dialogue contrasté s’est particulièrement bien opéré entre les œuvres de Morgane Tschiember et de Nadia Guerroui. 

L’installation vidéo in situ de cette dernière traite d’une autre économie, celle de l’attention, et se donne à voir dans la justesse de son placement. En induisant la contemplation, elle confère un rôle décisif aux déplacements des visiteurs et visiteuses, influant ainsi sur leurs comportements à venir dans l’espace et leurs perceptions.

Nadia Guerroui, Un peu au delà de ce qui est déjà là. Crédit photo © Thomas Halkin

Avec Un peu au-delà de ce qui est déjà là, elle se déjoue également de la fonction même du mur de la salle d’exposition -dont elle révèle les qualités par ailleurs- qui ne sert plus simplement de support, d’arrière-plan ou d’enveloppe de l’espace, mais devient partie intégrante de son espace de travail. Ce mur amène vers un espace autre au-delà du mur qui devient alors un passage vers un autre monde, tel un pli du paysage. Il change ainsi d’échelle par l’onirisme et l’image mentale. En se mêlant aux textures, aspérités, reliefs et couleurs du béton brut, les faisceaux lumineux projetés évoquent la fluidité originelle d’une matière qui semble absorber et redistribuer la lumière captée. Cet espace immersif immatériel, relevant du registre du sensible, est le fruit de sa longue et méticuleuse observation du lieu. Et elle va jusqu’à opérer une fusion entre les qualités intrinsèques de l’espace et un signal vidéo, abrogeant les frontières obsolètes entre monde physique et virtuel.

En substance, chaque intervention proposée en dialogue et en regard des autres et du contexte constitue un espace concret hébergeant l’imaginaire, propice à l’expérience, à la réflexion, de nouveaux environnements, localisations physiques de l’utopie pour certain.e.s.

En générant des possibles et en créant une porosité à travers des installations artistiques, l’exposition offre une relation plurielle à l’espace et au temps, invitant les publics à une exploration à la fois plus attentive, plus libre et ouverte, engendrant leurs modalités de perception et leurs comportements, voire jusqu’à leur intervention physique possible, dans ce cas précis des graffeurs.

02 La projection de Vivien Roubaud apparaît comme la plus spectaculaire qui détourne la destination d’une salle de cinéma pour en faire le lieu d’une installation immersive : le dispositif aussi simple que subtil met en place une samare, une graine d’érable bien connue des enfants pour sa capacité à tournoyer dans l’air comme une pale d’hélicoptère. Maintenue à hauteur des yeux par le courant d’air ascendant d’une soufflerie, elle est prise dans le faisceau d’un spot qui la projette sur l’écran de la salle de cinéma du Centre Wallonie Bruxelles. Cette vidéo nous immerge dans une situation hypnotique que la pénombre accentue : quelle sensation l’artiste a-t’il voulu générer auprès des visiteurs selon toi, et comment relies-tu cette projection, très poétique, mais a priori très éloignée de préoccupations architecturales, aux autres œuvres de l’exposition ?

Il s’agissait de créer une multiplicité d’expériences, ayant chacune un espace dédié et un caractère propre. Il me tenait particulièrement à cœur de donner de la place à chacune des individualités présentes. Et cette démarche n’avait pas pour objectif de lisser les propositions entre elles mais bien de laisser exister des liens aussi ténus soient-ils autour d’une approche philosophique et sensible commune. À mes yeux, cette installation Samares aec (pour arc-en-ciel) de Vivien Roubaud est en relation tangible avec l’œuvre de Nadia Guerroui. Ou encore, avec celle d’Esther Denis intitulée Uchrorama, dans laquelle la lumière, la projection vidéo et l’eau qui perle, glissent et se reflètent de façon irisée sur le drapé d’un textile réfléchissant. Il et elles contrecarrent la perception de l’espace existant en créant une nouvelle enveloppe pour délimiter un espace immersif, déroutant le public vers une expérience spatiale, rétinienne et poétique. Leurs gestes in situ et aux caractères scénographiques simples leur permettent d’instaurer des univers perceptifs autonomes.

Vivien Roubaud, Samares aec. Crédit photo © Thomas Halkin

 Vivien Roubaud transcende la salle noire de cinéma classique, à travers un dispositif expérimental qui nous transporte dans le temps pour redécouvrir l’émerveillement du procédé de projection même. L’image fantomatique et stellaire animée, qui apparaît sur l’écran noir, questionne la source de l’amplification d’une expérience pour mieux écouter et voir ce que permet le cinéma. L’artiste habite l’espace en projetant une image en mouvement, générée par un phénomène visible, à l’aide d’une source lumineuse blanche modifiée par un jeu de lentilles optiques et d’une roue chromatique. L’approche plutôt intime avec l’objet de la matrice de l’image est ici inversée : les spectateur.ices se retrouvent plongé.e.s au cœur de l’installation. Le tremblement de l’envol de cette petite samare, fragile, est relativement contrôlé pour que son image blanche virevoltante et fugitive traverse le champ de la caméra et donc le cadre de l’écran qui l’amplifie. La source lumineuse en mouvement nous adresse un sujet diaphane et insaisissable qui parfois se colorise dans l’instant d’un flash RVB, traduisant par un artefact les défauts de la projection.

Il relie purement et simplement cinéma et sculpture. En effet, je garde un souvenir très vif de ses mots qu’il m’a partagé dans son atelier : « Faire entrer en résonance une œuvre avec un espace particulier, c’est la repenser le temps d’une exposition pour intégrer l’environnement qui l’enveloppe. »

Le temps d’observation prolongé induit par chacune des expériences immersives me permet aussi de déceler des échos sous-jacents. À l’instar de l’installation du collectif d’architectes Traumnovelle dans le théâtre, dont les fonctions de la scène et des sièges spectateurs ont été inversées pour y créer un univers souterrain renforcé par un jeu de lumières, l’installation autour d’une samare en suspension permanente dans les airs au milieu des sièges du cinéma, spectacularisant un phénomène physique liminal, est une invitation à une expérience contemplative en prenant place dans un espace pourtant codifié, mais temporairement transformé en une sculpture immersive. 

TRAUMNOVELLE, CAVE PEOPLE. Crédit photo © Thomas Halkin

L’espace de l’architecture peut aussi être considéré comme le simple écrin d’un état pour l’habiter. Registre qui est également celui de l’artiste Rokko Myoshi qui a créé de toute pièce un espace introspectif à expérimenter dans l’espace public de la cour, employant des matériaux rudimentaires en bois, constitutifs d’une caisse de transport d’œuvre d’art. Tel le dispositif donné à voir de Vivien Roubaud, ici aussi, un élément d’arrière-plan, qui s’efface habituellement devant le regard des spectateurs, acquiert une prédominance de première importance. Il s’agit, encore une fois, de déjouer l’évidence des usages pour re-potentialiser de façon poétique. 

Rokko Miyoshi, My kingdom for a horse. Crédit photo © Thomas Halkin

Questionnant notre rapport au vivant, ce dispositif dédié à la simple graine ailée de l’érable, est également en lien avec ceux des collectifs d’architectes : Bento avec leur boîte de perception atmosphérique intitulée Holobios, intégrant des tuiles produites en mycélium et des lentilles d’eau pour créer les conditions d’une expérimentation sensorielle d’un biotope en milieu humide, et 21-28]°C avec leur installation Dilivium en extérieur. Ces derniers ont élaboré in situ une construction permettant de récolter de l’eau de pluie de la cour principale pour célébrer cette ressource vitale.

02 La plupart des propositions présentées font état de préoccupations sociétales et/ou environnementales comme c’est le cas pour le mur de Morgane qui repose facétieusement la question d’un genre en architecture, de la canalisation des cours d’eau avec les propositions du collectif [21-28]°C, de l’utilisation de matériaux organiques avec le collectif Bento, etc. : malgré tous les constats sur les impasses d’une architecture basée sur l’utilisation exponentielle du béton, toujours aussi polluante, toujours aussi peu sensible à son impact environnemental, toujours aussi cloisonnante et isolante socialement, il semble assez peu probable qu’elle se révolutionne dans son fonctionnement et son économie. Je vais te poser la question rituelle : penses-tu que les artistes puissent avoir un quelconque impact sur l’évolution vertueuse de cette dernière ?

En effet, c’est un enjeu essentiel. Les champs artistique et philosophique entrent toujours en résonance avec l’architecture et doivent intégrer la vulnérabilité d’un monde en mutation. La portée de cette exposition, dans ce qu’elle peut contenir d’esprit critique et de créativité, inspire, je l’espère, un rapport différent au monde qui nous entoure et auquel nous appartenons pour faire face à la crise écologique. Quel que soit son degré, l’art est partie prenante de la transformation de notre environnement et son impact est certain. Il est, en tout cas, de notre devoir en tant qu’acteurs de la culture d’agir notamment dans le registre du sensible et des idées.

Dans un registre plus concret, la plupart des propositions artistiques présentes dans l’exposition questionnent a minima la nature des matériaux de construction utilisés, la prise de conscience de leur utilisation abusive et le réemploi. Certaines explorent les processus tant du vivant avec qui nous partageons l’espace que les notions performatives et de genre dans les modalités de construction. Les artistes et collectifs d’architectes invité.e.s pour ce projet recherchent d’une manière ou d’une autre le décloisonnement entre les disciplines, avec les sciences de la vie, les sciences humaines et sociales, l’écologie, le monde économique ou l’action citoyenne sur des territoires. Ils et elles sont dans leur rôle en interrogeant et critiquant nos représentations, pour chercher à ouvrir nos imaginaires et permettre à la société de changer. Par exemple, le collectif Bento a une démarche pro-active qui développe une architecture en mycélium, comme ils l’ont exposée avec Vinciane Despret au pavillon belge de la dernière biennale d’architecture à Venise, et Esther Denis collabore régulièrement sur des mises en scène, performances et chorégraphies, notamment avec la compagnie Zone Critique de Frédérique Aï-Touati.

Esther Denis, UCHRORAMA. Crédit photo © Thomas Halkin

Face au basculement et à la rapidité des changements, aux enjeux de la biodiversité et de ses interdépendances, même s’il existe quelques rares œuvres d’une grande pertinence, l’action des artistes, en général, en faveur du vivant est encore faible à ce jour et se porte vers d’autres urgences certainement tout aussi valables. Et ce, même si cela commence à se formaliser timidement tant en terme d’esthétique, de matériaux, d’inspiration, que de lien social.

Ce sujet brûlant commence seulement à être investi par le monde de l’art, via notamment en France par la création de centres d’arts contemporains et de quelques initiatives de fondations comme le prix Coal. Il a été historiquement porté, toujours en France, dans un lien art et nature encore anthropocentré, dans des lieux comme Kerguéhennec, Le Crestet, désormais disparus, puis à Vassivière et au Cairn. Aujourd’hui ces initiatives se cantonnent à des cycles d’expositions thématiques de qualité, comme Festina Lente de La Criée à Rennes, Permafrost au Mo.Co à Montpellier, Bioscenosis 21 au Parc Chanot pour le Congrès mondial de la nature de l’UICN et Vivre en Lichen à La Traverse à Marseille, ou Symbiose – Cosmogonies spéculatives avec le CWB en 2023 à la Fondation Fiminco, qui contrastent fortement avec le fonctionnement encore déconnecté de la plupart des musées, en opposition radicale avec la fuite en avant du marché de l’art, des maisons de vente et des foires.

Ce sera l’objet de rencontres pluridisciplinaires sur rechercher, créer et agir pour le vivant que je co-organise les 10, 11, 12 et 13 avril prochains à Bruxelles, avec l’école d’art de La Cambre, la faculté d’architecture, l’ULB et de nombreux partenaires.


Head image : BENTO Architecture – HOLOBIOS_Crédit photo © Thomas Halkin