Silvana Reggiardo
From my window, galerie Melanie Rio Fluency, Nantes, visible jusqu’au 30 juillet sur rdv au 02 40 89 20 40
Dans le cadre de l’exposition From my window, Silvana Reggiardo présente un ensemble de photographies conceptuelles à la galerie Mélanie Rio Fluency. On entend par « conceptuel » des œuvres froides et inaccessibles. Ce point de vue bordé et borné ne correspond pas au travail de Silvana Reggiardo qui, en regard de captations serrées et ténues, est d’une extrême sensibilité.
Sous le titre From my window, tu présentes à Nantes deux de tes travaux, un ensemble de vingt-sept images de la série La Mercuriale et deux images de la série Destiempo. Quoiqu’extrêmement différents, ces deux ensembles ont la particularité d’avoir en commun une certaine relation au détail ou au fragment…
En effet, bien que les deux protocoles soient différents dans le processus, ils convergent dans la volonté d’épurer l’image. Dans La Mercuriale, chaque image présente un point de vue identique dans lequel la silhouette d’une architecture occupe la totalité du cadre. Le plan serré est obtenu par les opérations successives du zoom, de l’agrandissement et du recadrage. Ces transformations gomment les détails et la forme de l’édifice est ramenée à une simple surface parallélépipédique dont les contours et la couleur évoluent au gré du temps et de la lumière. Dans Destiempo, j’ai adopté un protocole déjà utilisé dans d’autres séries en faisant appel au téléobjectif pour aplatir les effets de volume et annuler la profondeur et la perspective. En pointant l’appareil photographique vers le zénith, j’ai photographié systématiquement le couvercle nuageux du ciel parisien. L’absence de point de fuite dans l’image fait écran à la tentation surplombante du regard. L’infini du ciel s’impose par le fragment. Il en résulte des images frontales à la surface étale, aux variations chromatiques ténues, à la limite du visible, presque monochromes.
Dans les deux cas ces différents processus me permettent « d’aplatir » l’image pour l’hybrider ensuite avec les caractéristiques du support : le papier aquarelle dans la série La Mercuriale accentue cette sensation de dissolution dans l’image, les capacités réfléchissantes du verre sur lequel est contrecollée l’image dans Destiempo gênent l’appréhension de l’image.
La plupart de tes images résistent à la reproduction. De manière générale, il est crucial de voir les œuvres « en vrai » afin d’apprécier la singularité et l’originalité du travail. S’agit-il d’un positionnement politique / esthétique ?
Pour moi, l’acte photographique est avant tout une expérience, une expérience du monde médiatisée par un objet technique, et c’est autour du photographique et de l’expérience de l’image que s’est construit mon travail… En jouant sur la répétition, sur des rapports d’échelle ou en perturbant la traversée du regard, j’amène le spectateur à se décentrer en permanence pour appréhender l’image. L’œuvre résiste et ne peut jamais être saisie dans sa totalité. Cela rend difficile la reproduction des pièces et leur circulation médiatique. Mon travail ne s’est pas forcément construit contre cette circulation mais, finalement, je pense que ces freins confirment et alimentent mon propos.
Je vois dans ton travail une filiation avec la « photographie conceptuelle », peux-tu nous éclairer sur les artistes qui ont influencé ton travail ?
Certains photographes comme Lewis Baltz, Lee Friedlander, Walker Evans ont été essentiels à ma formation initiale de photographe mais je pense que le véritable tournant dans mon travail s’est opéré au moment de l’exposition Les passages de l’image, à la fin des années 80 au Centre Pompidou, alors que j’étais étudiante. Avec des artistes comme Denis Adams, Chris Marker, Michael Snow et Chantal Ackermann, j’ai découvert la possibilité d’une image à la frontière des médiums. Puis, assez rapidement, je me suis intéressée à une photographie réalisée plutôt par des artistes, comme Sol LeWitt, Dan Graham, Jan Dibbets, Ed Rusha, Douglas Huebler, Vito Acconci, Peter Downsbrough… Tous ne sont pas des artistes conceptuels. En premier lieu, leur approche, qui m’apparaissait si spontanée, m’a permis de prendre de l’assurance pour me dégager de ce savoir-faire si pesant en photographie. Et, par ailleurs, leur usage de l’image photographique tournée sur l’expérience de l’espace, de la ville, de la marche, de l’image, a été un support pour engager ma propre pratique sur cette voie-là. Il faut tout de même que je précise que mon premier contact avec l’art s’est fait à travers la littérature et des auteurs comme Juan José Saer, Alain Robbe-Grillet, Nathalie Sarraute.
Les prochaines expos ?
La photographie à l’épreuve de l’abstraction, à partir du 19 septembre à Micro Onde à Vélizy-Villacoublay. Il s’agit d’un cycle conçu en trois volets simultanés avec le Frac Normandie Rouen, le Centre Photographique d’Île-de-France et le centre d’art Micro Onde où les trois commissaires, Véronique Souben, Nathalie Giraudeau et Audrey Illouz, dressent un panorama des relations entre photographie et abstraction dans la création contemporaine. À partir du 2 octobre je participe à l’exposition 55 jours de Pékin à la galerie Le bleu du ciel à Lyon.
Image en une : Vue de l’exposition, galerie Mélanie Rio Fluency, Nantes.
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