Anna Solal
« La Convalescence » , New Galerie, Paris, 20.01—3.03
Dans une de ses premières séries de dessins, Anna Solal a imaginé une histoire d’amour entre Lady Gaga et une algue dont cette dernière devenait le véritable personnage principal. Une certaine sensibilité générationnelle traverse ces dessins : l’intention n’est plus simplement celle d’abolir les hiérarchies entre culture mainstream et underground, mille fois réitérée, mais surtout les frontières de l’humain et du non-humain.
Si la dimension baroque de l’icône pop intéresse précisément Anna Solal dans ce qu’elle évoque de « la disparition de la vie normale, de l’exclusion de la communauté des humains », cela ne concerne pas son caractère exceptionnel mais, au contraire, sa proximité d’avec le grotesque et l’abjection dans une logique que l’on pourrait qualifier de queer. Dans son ouvrage Art Queer : une théorie freak, l’artiste Renate Lorenz affirme que la figure du « drag radical » ouvre à de nouvelles subjectivités relationnelles (y compris avec des objets ou des non-humains) plutôt qu’à des représentations, et fait appel aux disability studies, les études anglo-saxonnes sur l’handicap, pour questionner ce qui constitue un corps valide et / ou productif.
Anna Solal avait déjà réalisé une autre série de dessins sur des alitées et imaginé une lettre que Joseph Merrick (connu en tant qu’Elephant Man) aurait adressé à Michael Jackson, dont la rumeur veut que ce dernier aurait acheté la dépouille du célèbre personnage de l’ère victorienne.
Fin de siècle et décadentisme traversent aussi les dessins de l’artiste pour illustrer les essais sur Huysmans signés par son père, Jérôme Solal (auteur par ailleurs d’une biographie du chanteur transgenre Antony Hegarty). Pour l’artiste, cette galerie de personnages constitue l’endroit d’un renversement de ce qui est désigné comme « freak », figure déjà évoquée par Renate Lorenz, refusant la biopolitique de la norme jusqu’à métamorphoser la géographie du sensible et des objets de fétichisation. « Je ne comprends pas certains types de fétichisme qui voudraient, par exemple, que l’analogique détienne une aura plus intense que le numérique », explique l’artiste. « Pour moi, le fétichisme correspond à une plus-value sentimentale. Je vis dans un monde précaire, sans moyens et sans espace, guidée par une certaine urgence, donc ce serait absurde de faire appel aux codes préfabriqués d’une sculpture noble, que ce soit au niveau des matériaux ou de la nécessité du socle ». Elle emploiera ainsi des écrans cassés d’iPhones dans ses assemblages, ces miroirs noirs cassés devenus talismans du nouveau siècle, rappelant la dimension matérielle de ces outils virtuels. L’artiste les désignera de « vanités ». Cette vie matérielle d’objets trouvés ou achetés dans des magasins discount se trouvera recodifiée dans ses compositions artisanales, employant souvent la symétrie, évoquant des figures (tambour, horloge, cerf-volant) et faisant régner la vie animale (raies mantas, hirondelles). Le titre de son exposition à la New Galerie, « La Convalescence », évoque une forme de spleen pour ce début de siècle, faisant coexister des formes technologiques et archaïques. Les totems qu’elle fabrique sont des outils de soin, de détoxication et de réparation : des dessins des tasses de thé ou de soupe sont entourés de cadres aux figures d’anges, formant des sortes de reliquaires palliatifs. Les matériaux de pacotille utilisés dans ses « vanités » peuvent cependant s’avérer agressifs, à l’image d’oiseaux composés avec des lames de rasoir. L’artiste renverse et rend queer les codifications associées à certains rebuts : qu’il s’agisse de la manière dont ceux-ci sont codifiés de façon arbitraire comme étant masculins (cravate, baskets, lames de rasoir) ou féminins (cœurs fantaisie, barrettes pour cheveux), ou associés à un lifestyle dominé par le régime sportif et sanitaire (ballons de football, chaînes de vélo, cordes d’escalade, outils de massage).
« Cela m’a toujours intéressée qu’un sport comme le foot puisse à la fois être marqueté à outrance et la chose la plus démocratique qui soit, il suffit d’un ballon et d’amis. De même, la mode peut à la fois être exaltante et morbide, avec des corps sacrifiés et une fascinante décharge d’énergie, c’est beau et grotesque, une caricature de l’humain », nuance l’artiste. « Dans mon travail, il s’agit toujours de trouver les moyens d’affronter la vie quotidienne et c’est là que s’introduisent des éléments issus du fantastique. Quand Diane Arbus photographie ses modèles hors normes, elle dit que parfois il n’était même pas nécessaire de développer ses photos : dans le rapport de jeu et d’altérité, elle considérait déjà avoir atteint le summum de la beauté ».
(Image en une : INFUSION CAMOMILLE, 2017/2018. Combs, children shoes, massage stick, metal rod, carpet, tulle, steering wheel protection, plastic
supermarket box grid, plexiglas, colored pencil on paper, 94 x 46 x 8 cm. Courtesy: New Galerie, Paris. Photo: Aurélien Mole)
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- Du même auteur : Céline Ahond, Digital Gothic, Puppies Puppies,
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