Artie Vierkant, Feature Description
Galerie Edouard-Manet, Gennevilliers du 16 avril au 6 juin 2015.
Artie Vierkant fait partie de cette nouvelle génération d’artistes américains à accompagner leur démarche plastique de théories aiguisées sur le statut des images à l’ère post-Internet (The Image Object Post-Internet, 2010). Ses textes téléchargeables forment les outils critiques à l’appréciation d’un art désormais en libre accès dont les contours ne cessent de se redéfinir selon ses formats de diffusion (galeries, musées, internet, édition).
À la galerie Edouard-Manet, rien n’indique au spectateur qu’il sera le détenteur d’une vue exclusive, non reproductible de Feature Description. À tous ceux qui n’auront pas fait le déplacement jusqu’en banlieue parisienne, Artie Vierkant réserve une sorte de « kit » d’images dont toute ressemblance avec l’exposition sera fortuite. Le centre d’art s’est s’engagé auprès de l’artiste à ne diffuser que les vues retouchées de l’accrochage. Aucune autre image distribuée par ses canaux de diffusion ne doit filtrer.
Les artistes conceptuels, dont Robert Barry, soulevaient déjà à la fin des années soixante la question de la dématérialisation de l’art et de ses multiples sources de diffusion —transmission orale, écrite ou visuelle — ; le Xerox Book de Seth Siegelaub (1968) affirmait un principe d’équivalence entre la reproduction photographique et l’œuvre elle-même. La publication avait alors valeur d’exposition. À l’ère post-Internet, la perte d’ancrage physique contraint l’œuvre à une certaine forme de volatilité, toutes ses manifestations restant cependant co-dépendantes. Les multiples variantes reproductibles de Feature Description en sont le pendant virtuel. Exit la surmédiatisation de l’exposition qui constituait jusqu’à présent un temps fort ; l’œuvre d’art existe à travers la complexité de ses nouvelles modalités d’apparition qui, elles, restent sous contrôle.
Dans son texte « In Defense of the Poor Image », Hito Steyerl souligne l’inflexion de ces images banalisées à trop avoir été téléchargées, partagées, compressées et manipulées : « Elles sont les détritus qui envahissent les rives de l’économie numérique1 ». En réaction, « la qualité cède le pas à l’accessibilité, l’exposition a valeur de culte, les films se transforment en clips et la contemplation en simple distraction ».
À l’inverse, Artie Vierkant perçoit dans la déperdition de qualité, et donc d’aura, un gain substantiel. Il tire des fichiers d’animations prêts à l’emploi d’étranges chorégraphies dans les deux vidéos Antoine Office et Antoine Casual (un personnage dont l’artiste a acquis les droits). La série Bodyscan Object procède de nombreux allers-retours entre technologies 3D et 2D. L’image semble se replier sur elle-même après avoir exploré tant de champs possibles. La recomposition point par point des 200 prises de vue HD des Bodyscan Object aboutit finalement à la production d’images lacunaires et abstraites. Les découpes réalisées sur dibond brossé ne coïncident pas mais rappellent étrangement les enveloppes (2014) de Seth Price, artiste précurseur à avoir pensé l’œuvre selon ses formats de diffusion. Il est vrai que l’art à l’ère post-Internet tolère ces appropriations : « Même s’il est possible de remonter à la source, la substance (en terme de matérialité et d’importance) de l’objet original ne peut plus être considérée comme supérieure à l’une de ses copies2 ».
1 Hito Steyerl, « In Defense of the Poor Image », e-flux journal#10, 11. 2009.
2 « even if an image or object is able to be traced back to a source, the substance (substance in the sense of both its materiality and its importance) of the source object can no longer be regarded as inherently greater than any of its copies » Artie Vierkant, « The Image Object Post-Internet », 2010 http://jstchillin.org/artie/vierkant.html
À lire aussi ici : entretien avec Artie Vierkant par Rémi Parcollet publié dans le numéro 70 de la revue 02 (été 2014).
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- Du même auteur : Edith Dekyndt,
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