Bernard Quesniaux
En remontrer, Galerie municipale Jean-Collet, Vitry-Sur-Seine, 30.03 – 5.05.2019
À l’opposé des institutions qui saisissent au vol la ou le dernier artiste du moment et contribuent à faire qu’on voit les mêmes partout, la Galerie municipale Jean-Collet, par le biais de sa directrice Catherine Viollet, a choisi d’exposer l’œuvre, bien connue des artistes mais moins du public, de Bernard Quesniaux. De la génération de ses amis Olivier Cadiot et Arnaud Labelle-Rojoux avec lesquels il partage bien des traits de sa démarche, érudition et désinvolture mêlées, il est l’auteur depuis les années 1980 d’une œuvre qui se régénère d’elle-même, de fil en aiguille, ou plus exactement de décisions en protocoles partiellement suivis ou modifiés en cours de route, afin de favoriser au maximum des expérimentations aux tournures inattendues.
Occupant les deux étages de la Galerie, l’exposition « En remontrer » en remontre donc (des œuvres plus ou moins anciennes) tout en présentant des peintures réalisées récemment, voire ces dernières semaines. L’ensemble est accroché sans logique préétablie, ni chronologie, ni série, plutôt comme une improvisation, le choix d’une œuvre en appelant une autre par réaction mais surtout selon le principe, comme l’explique Bernard Quesniaux, d’une « exposition mal réglée ». Par exemple, à l’étage, d’un côté les volumes de l’Ensemble non monochrome mais rehaussé par têtes d’éléphant débordent allègrement du mur jusqu’à l’espace central, tandis que, de l’autre côté, des peintures récentes sur toiles ultra plates sont inversement comme repoussées et écrasées. Ce principe n’est pas sans rappeler celui qui gouverne quelques-unes de ses compositions, astucieusement déséquilibrées, intitulées de manière générique Mauvaise répartition. Ailleurs, c’est une petite peinture aux teintes très sombres, digne d’une Ultimate Painting d’Ad Reinhardt, qui s’est glissée entre deux colorées, parce que dans une exposition il faut bien, toujours selon l’artiste, apporter une touche sinistre. Toutes les œuvres sont accrochées suivant une ligne à même hauteur, choix classique qui pourrait surprendre par rapport à la nature des œuvres mais qui, en réalité, devient une sorte de commentaire, affirmant que, oui, ne l’oublions pas, nous sommes bien ici en pleine histoire de la peinture. À moins qu’il ne s’agisse d’une amorce de narration. Dans la salle du bas, la même règle d’un accrochage au feeling et un peu déséquilibré a été suivie, l’espace central étant peuplé de grandes sculptures éphémères en polystyrène aux formes approximatives de chiens (mais on pourrait aussi dire de canards). Totalement impliquées dans des questions d’ordre esthétique, en même temps que distanciées par l’humour, elles incarnent une fois de plus la démarche si singulière de l’artiste. Ces sculptures ont en effet été pensées comme des white cubes, émanations de l’art minimal puriste, qu’on aurait retournés pour en faire au contraire de joyeux, presque kitsch, objets pop, et même pop corn (toujours selon l’artiste) étant donné leur matériau de base. Aux murs, on trouve des peintures récentes très simples, fond blanc, quelques coups de pinceaux de couleurs qui tracent des visages incongrus, avec par exemple des nez en vrille ou en trompette, partiellement recouverts d’un vernis qui leur apporte par contraste de doux reflets. Car ces peintures, si drôles, sont aussi belles. Enfin, il faut noter les angles arrondis de ces tableaux récents — ils ont même été à l’origine du titre d’une précédente exposition de l’artiste [1] — contrainte qu’il s’impose pour que ses tableaux aient des formes dans l’air du temps, très précisément pour les faire ressembler à des iPad géants. Blague ou réelle réflexion, ce détail souligne en tout cas la manière dont Bernard Quesniaux remet sans cesse en cause les acquis de sa peinture en tentant des changements de paramètres surprenants, parfois loufoques.
Une dernière caractéristique reste à souligner qui,
en revanche, n’est peut-être pas suffisamment mise en valeur dans
l’exposition : la richesse des titres de ses œuvres et plus généralement
de ses écrits dont il faut prendre connaissance en lisant le catalogue. Dans
les salles, en l’absence de cartels, ils sont seulement accessibles à travers les
légendes inscrites sur les dessins avec, par exemple, le très spirituel
« il avait dit Deleuze devant tout le monde » qui accompagne un petit
personnage ou, encore, l’énigmatique « c’est le frère du curator qui avait fini les pistaches ». Les textes sont aussi
présents dans une vidéo au titre lui-même judicieusement pensé puisque
suggérant une filiation broothaersienne, Le
Département des vélos (où il est bien sûr aussi question d’aigles). Mais on
aurait aimé que les titres accompagnent les œuvres sur les murs tant ils leur
procurent encore une dimension supplémentaire, littéraire, et pourraient même
être considérés comme une production autonome.
[1] « Arrondir les angles », Galerie Alain Gutharc, 2017
Image en une : Vue de l’exposition de Bernard Quesniaux, En remontrer, Galerie municipale Jean-Collet. Photo : Galerie Jean-Collet.
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- Du même auteur : Wael Shawky - Dry culture Wet culture, Defiant Muses, Un énoncé surpris par hasard, Lytle Shaw, Pierre Ardouvin, Nathaniel Mellors,
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