Céleste Boursier-Mougenot aux Abbatoirs
Céleste Boursier-Mougenot aux Abattoirs / Frac Midi-Pyrénées, Toulouse, du 30 janvier au 4 mai 2014.
Céleste Boursier-Mougenot déploie dans le sous-sol des Abattoirs un environnement sonore fait de bourdonnements, de grésillements et de larsens, régi par d’énigmatiques interférences. Musicien de formation, Céleste Boursier-Mougenot a notamment subi l’influence de John Cage ou du mouvement Fluxus, abordant la musique de manière expérimentale. Chez lui, l’instrument de musique se trouve souvent détourné de sa fonction initiale et s’intègre davantage à des performances, à des actions, ou se pense même comme une véritable sculpture. Plutôt que d’être joué par un musicien, l’instrument gagne effectivement en autonomie et devient l’acteur de sa propre performance. Aussi, les instruments et les dispositifs acoustiques mis en place par Céleste Boursier-Mougenot servent à ausculter le monde et à rendre perceptibles ses moindres vibrations et ondulations qui, de prime abord, pourraient échapper à notre perception. Ils captent, amplifient et restituent ainsi les innombrables flux d’informations qui traversent continuellement notre monde.
Ce faisant, Off Road devient la scène d’un étrange ballet mécanique. Ébahis, nous assistons à la valse de trois pianos motorisés sur roulettes qui vont et viennent, tourbillonnent, se croisent, et finissent même parfois par se heurter. Ces pianos nous feraient d’abord penser à des automates ou à des engins téléguidés de main de maître par l’artiste ou des performeurs cachés dans les dédales du musée. En réalité, les trois pianos sont connectés à des détecteurs réagissant aux éléments qui les entourent : le déplacement des spectateurs, le vent qui souffle à l’extérieur du musée, enregistré par un capteur. Des liens invisibles relient ainsi la trajectoire des instruments aux mouvements des spectateurs et aux rafales de vent. La valse des pianos se trouve alors déterminée par son environnement proche. Dès lors, les pianos n’ont pas véritablement de portée musicale : ils ne jouent pas de notes, ils n’exécutent pas une partition et ne s’adressent pas directement à notre oreille – d’ailleurs un cache est rabattu sur les claviers et seul le glissement des roues produit un son dans la salle. Les pianos deviennent plutôt les acteurs d’un ballet, créant un spectacle, une chorégraphie improvisée se construisant au fil des perturbations que provoquent le vent et les spectateurs avoisinants.
L’installation Averses repose elle aussi sur un système de détecteurs, sensibles cette fois-ci aux rayons cosmiques. Une imposante batterie Ludwig trône au milieu d’une flaque d’eau. Deux grandes cymbales surplombent la batterie comme deux paraboles et l’instrument tout entier est recouvert de gouttes d’eau. Les gouttelettes scintillent sur le revêtement métallique des fûts, créant des éclats dorés sur la surface des cymbales pareils à des astres luisants. La pesanteur de l’instrument, solidement ancré dans le sol, composé d’armatures et de fûts massifs, fait passer la batterie pour une sculpture colossale, inamovible. Son aspect compact est toutefois mis en regard avec le ciel et la légèreté de l’éther, avec la fraicheur et la fragilité des gouttes d’eau qui l’habillent. En fait, le détecteur de rayons cosmiques déclenche des ondées qui viennent s’abattre sur la batterie depuis le plafond des Abattoirs. Les trombes d’eau tombent donc de manière aléatoire et viennent frapper les peaux des fûts, créant des roulements de tambour, des crépitements, des claquements qui rappellent le grondement du tonnerre. Là encore, il n’y a pas de véritable interprète prenant l’instrument à bras le corps. Ce sont les pulsations et les ondulations invisibles de l’univers qui sont captées et traduites en musique, dans un grand fracas percussif. Le monde est comme mis sur écoute, et son battement se répercute dans de fulgurantes figures rythmiques.
La seconde partie de l’exposition sonde toujours le bourdonnement du monde, mais plus particulièrement les ondes spectrales que notre société produit et qui constituent le flux incessant des informations. D’une part, un vieux téléphone noir en bakélite est juché sur un monolithe de cire d’abeille. On se trouve alors dans une situation d’attente, impatients de découvrir ce qui va se passer : quelqu’un va-t-il appeler ? Le téléphone va-t-il se mettre à sonner et pourra-t-on décrocher ? Le téléphone U-43 est effectivement connecté à un moteur de recherche qui lui envoie un signal chaque fois que les mots « fantômes » ou « spectres » sont tapés sur la toile ou repérés dans des articles venant d’être mis en ligne. La sonnerie stridente sert alors d’avertissement ou d’alerte, et le téléphone apparaît comme un outil de recensement en temps réel, digne des systèmes de surveillance imaginés par Big Brother.
D’autre part, Zombiedrones nous place face à un écran de télévision déréglé. L’image noir et blanc saute, grésille, accompagnée d’une bande-son lancinante, comme si le signal transmis était brouillé. Or, dans le langage informatique, le terme de « Zombiedrones » désigne justement une forme de piratage où un tiers prend le contrôle d’un ordinateur, sans que son propriétaire s’en aperçoive. Ici, Céleste Boursier-Mougenot perturbe volontairement le signal vidéo et déforme donc le contenu télévisuel qui nous parvient habituellement : l’image demeure sombre, saturée, alors que l’on zappe confortablement installés dans un canapé de cuir, agacés par le brouhaha incessant qui accable nos oreilles et les perturbations qui parasitent l’écran.
Enfin, l’univers aérien et épuré de Prototype pour scanner vient contrebalancer l’obscurité latente de Zombiedrones. Un ballon blanc gonflé à l’hélium, équipé d’un micro sans fil, papillonne dans une salle où un ventilateur brasse l’air en direction du plafond. Le ballon décolle, plane, atterrit, se cogne aux murs où sont fixées huit enceintes amplifiant ce que le micro sans fil enregistre. Les pérégrinations et les collisions du ballon se traduisent alors en différentes sonorités. Une correspondance se noue entre les fréquences sonores et l’espace parcouru, et les va-et-vient du ballon produisent ainsi une onde continue qui se mue parfois en larsen. Eminemment poétique, l’installation nous renvoie la mystérieuse mélodie de l’éther et rend l’invisible enfin perceptible à nos oreilles.
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