Chloé Serre

par Leila Couradin

Les conventions ordinaires, la BF15, Lyon, 19.09 – 17.11.2018

Depuis la rue, quelques silhouettes anthropomorphes immobiles investissent un décor d’intérieur que l’on croit reconnaître. S’il nous apparaît familier, le mobilier (si tant est qu’il s’agisse de cela), présente toutefois quelques incongruités formelles. Sommes-nous en présence de sculptures modernistes ou d’outils déconcertants en attente d’une quelconque activation ? L’exposition de Chloé Serre à La BF15 se présente comme une énigme.

Le corps semble tacitement convié à investir l’espace de l’exposition comme un espace public. La BF15 revêt alors des allures de salle d’attente ou de hall de gare. Ici un banc, les portes d’un ascenseur, un vestiaire, un arrêt de bus. Faut-il s’asseoir, prendre un ticket, se vêtir ou se dévêtir, lire ou téléphoner ? Autant de micro-actions pourtant révélatrices de comportements individuels sources d’interactions sociales. Chloé Serre, inspirée par les travaux des sciences sociales —d’Erving Goffman notamment — étudie ces gestes infimes, les analyse, les répertorie, puis en écrit le script. Elle propose ensuite la reconstitution d’un espace semblable à une scène dont les sculptures constituent le décor, le cadre des « conventions ordinaires », ces actions dénuées de narration qui y seront interprétées. Elle formalise alors, dans l’espace d’exposition, la thèse de Goffman qui utilise le paradigme du théâtre pour décrypter les comportements sociaux quotidiens.

À la manière du chorégraphe contemporain Jérôme Bel, Chloé Serre questionne également, utilisant les codes de la danse, de l’art contemporain, et du théâtre, la spécificité de médiums en tant que dispositifs immersifs.

Cette exposition interdisciplinaire s’anime donc lors de temps de performance inclus dans le programme de la Biennale de la danse 2018. Ce sont alors, outre les corps des visiteurs, ceux de danseuses qui manipulent et activent les formes sculpturales. Ces performances sont accompagnées de compositions musicales live dont l’écriture renvoie avec humour aux bandes impersonnelles qui habillent phoniquement les lieux de passage. La musique dite « d’ascenseur » accompagne une gestuelle légèrement caricaturale et accélérée produisant un effet comique qui n’est pas sans rappeler le cinéma de Chaplin ou de Tati. Accompagnées de danseuses, les sculptures-personnages se déhanchent alors dans un mouvement métronomique désopilant. Il s’agit, pour l’artiste, de « passer par le prisme de l’étrange pour parler de ce qui nous est familier ».

La proposition de Chloé Serre insiste sur la dialectique du geste dansé faisant signe et du langage faisant corps. Aussi, le caractère éminemment sémiologique de cette proposition n’est pas sans rappeler l’œuvre de la chorégraphe allemande Pina Bausch (elle aussi largement inspirée des études de Goffman sur les interactions). Le système symbolique déployé à la BF15 met en lumière une communication non verbale et pourtant adressée à l’« autre ». Quand le langage est corporel, que dit-on avec nos gestes ? Ce vocabulaire nous est-il propre ou est-il universel ?

Ce questionnement se poursuit dans un second espace où une série de photographies met en présence un individu et une forme sculpturale qui semble lui être parfaitement adaptée. Ici, le geste personnel a trouvé son « objet » nécessaire, de telle sorte que, d’un individu à l’autre, cette forme insolite ne saurait être interchangeable. L’envie est pourtant forte de s’en saisir, de manipuler les sculptures accrochées en regard des portraits, afin d’en extraire à son tour une nouvelle utilité.

Cette exposition développe, à travers un dispositif interdisciplinaire, une multitude de concepts émanant de différents pans des arts plastiques, des arts vivants et des sciences sociales. Les réponses aux questions que Chloé Serre soulève ne sont pas données, faisant de cette proposition une thèse problématisée au cœur de laquelle réside le geste quotidien et sa réception dans un espace public (fictif, évoqué par les sculptures en mouvement, ou réel, celui de la galerie). Le visiteur s’y invite et, subitement, le projecteur s’allume.

(Image en une : Chloé Serre, vue de l’exposition Les conventions ordinaires, 2018. Production et photo La BF15 ; autres images : Chloé Serre, Les conventions ordinaires, épisode chorégraphique, 2018. Production et photo La BF15.)


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