Christophe Viart
Assemblée Générale
Passage Sainte-Croix, Nantes, 22.01-03.04.2021
« Assemblée générale » est un titre d’exposition assez énigmatique dans la mesure où nous ne savons à quelle communauté elle se réfère : celle d’actionnaires, de grévistes, de sportifs, de co-propriétaires, des Nations unies ? Réalisée en collaboration avec des étudiants de l’École nationale supérieure d’architecture de Nantes (Ensan) et de l’Institut Mines-Télécom Atlantique (IMT), des élèves du lycée professionnel Louis-Jacques Goussier de Rezé et le studio de design officeabc, l’exposition que nous propose l’artiste Christophe Viart est visible au sein du Passage Sainte-Croix1, espace implanté dans un ancien prieuré bénédictin du XIIème siècle au centre de Nantes.
Les deux premières salles accueillent des œuvres qui semblent s’opposer tant les moyens plastiques mis en œuvre diffèrent. En entrant dans la première salle nous sommes directement confrontés à une maquette d’architecture au 1/10e de la salle même dans laquelle nous nous trouvons. Vous comprenez dès lors que la proposition de l’artiste est de nous signifier que nous sommes partie prenante de l’exposition, où la mise en abîme est renforcée par la présence d’une maquette dans la maquette que nous sommes en train d’observer. C’est donc une invitation à découvrir, dans un espace obscur, prismatique et tapissé de grandes tentures noires, un dispositif « médiagraphique » qui pourrait nous rappeler ceux élaborés par Dan Graham ou Bruce Nauman. Nous faisons alors face à un écran fragmenté en fines lanières, sur lequel des formes lumineuses ectoplasmiques apparaissent. Ces formes fantomatiques, qui pourraient encore sortir d’un tableau d’Yves Tanguy, sont en fait générées par un algorithme qui métamorphose notre image et celles qu’une caméra de surveillance capture des visiteurs. Le premier pas dans ce dispositif platonicien de l’exposition se prolonge par le passage du rideau-écran, sorte de traversée du Styx, pour redoubler notre expérience visuelle et kinesthésique puisqu’une autre caméra nous filme de nouveau. Viennent alors s’ajouter sur l’écran les ombres portées des spectateurs présents, qui troublent par conséquent les images algorithmiques projetées, comme si le mythe de Dibutade revenait hanter la représentation digitale humaine.
La seconde salle est occupée par Assemblée générale, une œuvre participative – qui n’est pas sans rappeler l’art pariétal – où les mains des spectateurs sont dessinées en suivant leurs contours au feutre de couleur, par l’artiste lui-même ou bien par le visiteur, directement sur les deux murs qui se font face. Le geste enfantin qui touche à l’identité et la simplicité du dispositif en font une œuvre digitale joyeuse, tissant un réseau relationnel qui vient brouiller le dessin figuratif. L’idée de foule et celle d’anonymat sont renforcées par la présence au sol d’une œuvre au titre poétique, tiré d’un vers de La Divine Comédie de Dante, Le soleil qui flambait rouge derrière nous, était brisé devant mon corps, car je faisais obstacle à ses rayons, et qui se compose d’un socle sur lequel sont disposées, habilement et en piles, les impressions offset, sur un beau papier translucide gris, d’images de foules issues de la collection de l’artiste, et que les spectateurs peuvent emporter.
Au centre de la cour est suspendue une œuvre, aérienne, dont la forme pourrait évoquer un nuage. Elle est constituée des silhouettes évidées des élèves du lycée professionnel invités à collaborer à l’exposition, qui les ont fabriquées dans leur atelier de métallurgie. Cette foule de portraits est animée par les courants d’air, à l’instar des mobiles de Calder, pour parfois s’entrechoquer et créer une musique abstraite et carillonnante, comme pour un appel à l’assemblée générale.
Enfin, en sortant de la cour, dans le jardin qui longe l’église Sainte-Croix le regardeur attentif peut découvrir la dernière œuvre de l’exposition accrochée à un palmier. Intitulée Habiter en oiseau, elle est une sorte de nichoir ; boîte en bois percée de deux trous et customisée d’un smiley sourire qui semble nous narguer, comme pour nous signifier que nous pouvons maintenant nous envoler puisque nous avons pris le temps de nous arrêter sur une œuvre exigeante. Mais cette légèreté pourrait devenir tout aussi inquiétante si, derrière ce grand sourire, nous imaginions que la boîte avec ses deux orbites n’était là que pour laisser un œil mécanique stéréoscopique enregistrer nos déplacements physiques et mentaux.
Christophe Viart nous invite à nous questionner sur nos rapports au monde contemporain – un monde de surveillance numérique – et à la représentation humaine grâce à un dispositif d’exposition qui peut convoquer aussi bien le cauchemar – suscité par la disparition de notre image à travers le filtre technologique – que la rêverie poétique, pour nous sortir des cercles de l’Enfer.
Image en une : Christophe Viart, Profils perdus, 2020, Acier. Collaboration Lycée Goussier, Rezé. Photo: Philippe Piron
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- Du même auteur : Le rire de Jacques Lizène résonne encore dans ma tête., Claire Fontaine, Arthur Chiron, Hypnose, Laurent Tixador,
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